Le 4 octobre 2024, le Belgian Working Group on Non-Invasive Cardiac Imaging (BWGNICI) a organisé son congrès annuel. La première partie de la réunion s'est concentrée sur les controverses dans le domaine de l'imagerie cardiaque. Carlos Collet, attaché au Centre cardiologique de l'OLV Aalst, a été choisi pour aborder le thème du rôle actuel et futur des techniques d'imagerie non invasives pour la détection et le traitement de l'ischémie myocardique. En tant que cardiologue interventionnel, il faisait un peu figure d'intrus dans ce congrès destiné principalement aux cardiologues généraux intéressés par les techniques d'imagerie non invasives. Ceci n'a fait que renforcer l'intérêt suscité par son exposé, intitulé 'Non-invasive ischemia testing: no longer a viable test?', ainsi que par la discussion qui a suivi.
Les cardiopathies ischémiques restent la principale cause de mortalité dans le monde. Plus de 9 millions de patients décèdent chaque année des conséquences d'un infarctus myocardique aigu ou d'une insuffisance cardiaque ischémique.1 Étant donné qu'il existe une relation claire entre l'ischémie myocardique et le pronostic du patient, avec un risque plus élevé d'événements cardiaques majeurs (MACE) à mesure que la sévérité de l'ischémie augmente, il semble logique que le pronostic s'améliore lorsque les sténoses coronaires sont traitées et que la perfusion myocardique est rétablie. D'anciennes études randomisées ont montré que, chez les patients symptomatiques souffrant d'une maladie coronarienne grave, le CABG réduisait de manière significative le risque d'infarctus myocardique et de décès d'origine cardiaque.2 Ceci a conduit au développement de tests fonctionnels non invasifs pour détecter l'ischémie myocardique chez les patients présentant une suspicion clinique de coronaropathie significative et - en cas d'anomalie - adresser le patient en vue d'une revascularisation. Hachamovitch et ses collègues ont été les premiers à démontrer le succès de cette approche dans une vaste étude observationnelle lors de laquelle une revascularisation précoce a fortement amélioré le pronostic cardiaque des patients présentant une ischémie myocardique modérée ou sévère inductible démontrée par SPECT (single-photon emission computed tomography).3
Toutefois, au cours des deux dernières décennies, on a de plus en plus insisté sur le contrôle agressif des facteurs de risque cardiovasculaire. Dans des études plus récentes, dont trois randomisées, on n'a noté aucune différence significative sur le plan de l'évolution après une revascularisation percutanée ou chirurgicale versus un traitement purement médicamenteux (tableau 1).2 L'étude randomisée la plus récente, et de loin la plus vaste, est ISCHEMIA. Dans cette étude, 5179 patients présentant au moins une ischémie myocardique modérée sur la base d'un test d'ischémie fonctionnel ont été randomisés vers un bras initialement invasif, avec coronarographie et revascularisation (PCI ou CABG) si nécessaire, ou un bras initialement médicamenteux, avec comme but le contrôle des symptômes. Dans les deux groupes, les facteurs de risque cardiovasculaire étaient traités de manière stricte. Après un suivi moyen de 3,2 ans, aucune différence significative en termes de MACE et de mortalité n'a été documentée entre les deux groupes.4 Après un suivi plus long (5,7 ans en moyenne dans ISCHEMIA-EXTEND), les différences sont restées non significatives, et ce, indépendamment du degré d'ischémie lors de l'inclusion.5 Il est important de noter que les patients présentant e. a. un angor sévère, une dysfonction ventriculaire gauche sévère (fraction d'éjection < 35 %), une insuffisance cardiaque sévère (NYHA 3 et 4) et une sténose sévère (> 50 %) du tronc commun avaient été exclus. Cela signifie qu'on a essentiellement étudié des patients à faible risque et que les résultats de l'étude ISCHEMIA doivent être interprétés avec prudence. En effet, les patients vraisemblablement les plus susceptibles de tirer des bénéfices d'une revascularisation ont été exclus de l'étude. Néanmoins, le résultat d'ISCHEMIA a (une fois de plus) mis sous pression le paradigme selon lequel la détection de l'ischémie myocardique en cas de maladie coronarienne stable est déterminante pour le choix de la stratégie thérapeutique.
Il est important de noter que dans l'étude ISCHEMIA, un angio-CT coronaire (CCTA) a été réalisé chez la majorité des patients pour exclure une maladie coronarienne non obstructive ou une sténose sévère du tronc commun (voir plus haut).4 Dans une sous-étude d'ISCHEMIA, il est apparu que c'est la gravité anatomique de la maladie coronarienne, et non l'ischémie myocardique, qui était fortement corrélée avec le résultat clinique.6 D'autres études, telles que SCOT-HEART et PROMISE, avaient déjà démontré la supériorité du CT scan avec évaluation de l'anatomie coronaire comparativement aux tests d'ischémie fonctionnels.7,8
Dans une méta-analyse, la sensibilité et la spécificité du CCTA pour la détection d'une maladie coronarienne obstructive atteignaient respectivement 97 % et 78 %, la référence pour une sténose mesurée de manière invasive étant > 50 %.10 En raison de sa valeur prédictive négative très élevée (et donc de sa capacité à exclure une maladie coronarienne significative), les recommandations les plus récentes de l'ESC donnent une indication de classe I pour la réalisation d'un CCTA chez les patients chez qui on suspecte une maladie coronarienne, qui présentent une probabilité prétest faible à modérée. Si la probabilité prétest est élevée, les recommandations préfèrent toujours les tests fonctionnels en raison de l'évaluation souvent plus difficile de la lumière coronaire dans ce groupe de patients dont les artères coronaires sont généralement très calcifiées.10 Le CCTA + fractional flow reserve virtuelle (FFRCT) permet d'évaluer l'anatomie coronaire ainsi que l'impact fonctionnel d'une sténose (voir également ci-dessous). Des études ont montré que la précision de la FFRCT par rapport au CCTA est significativement plus élevée, même lorsque les coronaires sont fortement calcifiées.11 Dans l'étude PACIFIC, qui a inclus 208 patients souffrant de douleurs thoraciques chez qui on suspectait une maladie coronarienne, il est apparu que la FFRCT est un test plus précis que le CCTA, la tomographie par émission de positons (PET) et le SPECT pour le diagnostic d'une maladie coronarienne obstructive.12 Toutefois, la FFRCT nécessite des calculs informatiques complexes et s'avère très coûteuse, de sorte que peu de centres belges peuvent proposer cet examen. Le CCTA à ultra-haute résolution constitue une autre technique prometteuse, offrant une résolution spatiale si élevée que la lumière de coronaires fortement calcifiées et des stents peut être évaluée de manière très fiable, avec une précision diagnostique comparable à celle de la FFRCT.11
La possibilité de caractériser les lésions athéroscléreuses et de détecter les plaques vulnérables (figure 1) constitue une grande valeur ajoutée du CCTA. De telles plaques ne provoquent pas d'ischémie myocardique et ne sont donc pas détectées par les tests fonctionnels.3 Pourtant, elles sont très significatives. Ainsi, dans l'étude SCOT-HEART, environ la moitié des infarctus myocardiques ont été relevés dans le groupe de patients indemnes de maladie coronarienne obstructive.7 Une analyse post-hoc a montré que les plaques low-attenuation étaient les plus fortement corrélées avec le risque d'infarctus myocardique.14 La détection de ces lésions à haut risque a par conséquent une valeur clinique importante. Des études randomisées ont montré qu'un traitement intensif visant à abaisser le cholestérol LDL est non seulement capable de ralentir le processus athéroscléreux, mais aussi de stabiliser les plaques vulnérables. Très récemment, l'étude PREVENT a été publiée. Dans cette étude coréenne, des patients présentant des plaques vulnérables non obstructives ont été randomisés vers un bras intervention avec PCI de la lésion en plus du traitement médicamenteux et un bras purement médicamenteux. Après deux ans de suivi, le nombre de MACE était significativement moins élevé dans le bras intervention (3,4 % vs 0,4 %).15
Le traitement invasif des lésions coronaires provoquant une ischémie myocardique améliore les résultats cliniques. Par le passé, des études avaient montré que l'estimation visuelle du degré de sténose n'est pas fiable pour évaluer la sévérité hémodynamique réelle de la lésion. En revanche, la mesure de la FFR quantifie l'impact fonctionnel d'une sténose, une valeur < 0,8 étant corrélée avec une ischémie myocardique significative. En d'autres termes, elle identifie les patients susceptibles de tirer des bénéfices d'une revascularisation.16 Par conséquent, la mesure de la FFR est fortement recommandée, tant dans les guidelines européennes qu'américaines pour déterminer la meilleure stratégie de traitement en cas de maladie coronarienne chronique.10,17 En cas de maladie coronarienne diffuse, le traitement invasif d'une artère coronaire avec une FFR < 0,8 n'est pas une garantie de succès. Ainsi, environ un quart des patients restent symptomatiques malgré une PCI techniquement réussie. Dans certains cas, il est possible que le traitement invasif n'améliore pas significativement la perfusion coronaire. Ceci peut être quantifié par une mesure de la FFR 'post-intervention'. Une augmentation limitée ('delta') de la valeur de la FFR après l'intervention ou une valeur qui reste basse ne doivent pas seulement être considérées comme un 'échec physiologique' de la revascularisation, mais sont également associées à un risque significativement accru de MACE. Par conséquent, il est important de pouvoir évaluer ce 'delta FFR' (et l'utilité de l'intervention) avant la procédure. Sur la base de la FFRCT pré-PCI, il est possible de calculer de manière non invasive la valeur de la FFR post-PCI.18 La grande précision de ce 'FFRCT-planner' a récemment été démontrée dans l'étude P3.19
Le pressure pullback est une autre mesure invasive intéressante. Les lésions coronaires focales entraînent une chute de pression brutale dans la courbe de pullback, là où cette chute de pression est plus graduelle en cas de maladie diffuse. Des études ont montré que, dans ce dernier cas, la PCI n'améliore pas significativement la perfusion coronaire (figure 2). Le pressure pullback gradient (PPG) est un paramètre récemment introduit pour quantifier le type d'atteinte coronaire sur une échelle de 0 à 1, sur la base de la courbe de pullback. Plus la valeur est faible, plus l'atteinte est diffuse et plus le succès de la revascularisation est maigre.18 Dans l'étude PPG Global publiée très récemment, la valeur du PPG était fortement corrélée avec le 'delta FFR' après la PCI et les paramètres ont prédit avec précision le succès de la procédure (défini comme une FFR post-intervention ≥ 0,88), avec un taux de succès très élevé si le PPG était > 0,73. Dans 14 % des cas où la PCI avait été planifiée sur la base d'une valeur de FFR anormale, la stratégie de traitement a été modifiée après la mesure du PPG. L'étude a également enregistré significativement plus d'infarctus myocardiques périprocéduraux chez les patients ayant subi une PCI avec un PPG < 0,62.20 Ces derniers résultats ne sont pas négligeables car les infarctus myocardiques périprocéduraux sont considérés comme une des explications possibles du résultat neutre entre le bras interventionnel et le bras conservateur dans l'étude ISCHEMIA. Par conséquent, le PPG se révèle non seulement précieux pour prédire le succès de la PCI, mais aussi pour estimer son risque. De plus, il existe un lien entre la valeur du PPG et la composition des plaques d'athérome et la contrainte de cisaillement au niveau de ces lésions. Les plaques présentant un PPG élevé sont souvent très riches en lipides et subissent un stress hémodynamique plus important avec, par conséquent, un risque significativement plus élevé de rupture et d'infarctus myocardique.18,20 De plus amples études prospectives randomisées devront démontrer si la mesure de la FFR combinée avec la mesure du PPG produit un meilleur résultat clinique.
Bien qu'il existe une relation claire entre l'ischémie myocardique et le pronostic, il n'y a pas de données solides indiquant que la détermination de la stratégie de traitement sur la base d'un test d'ischémie non invasif entraîne une amélioration du résultat clinique. La physiopathologie coronaire est complexe et le traitement invasif d'une maladie obstructive provoquant une ischémie n'est pas toujours associé à une amélioration de la perfusion myocardique et du pronostic. Les lésions non obstructives à haut risque ne sont pas détectées par les tests fonctionnels non invasifs, alors même qu'un traitement médical intensif et peut-être une PCI peuvent effectivement améliorer le pronostic de ce groupe de patients. Grâce à une résolution spatiale et temporelle de plus en plus performante, le CCTA permet une évaluation précise du degré d'obstruction coronaire et des caractéristiques potentiellement à haut risque de la plaque d'athérome. De nombreuses études ont déjà démontré la supériorité du CT scan avec évaluation de l'anatomie coronaire comparativement aux tests d'ischémie fonctionnels.
En salle de cathétérisme, il devient de plus en plus évident que l'ischémie myocardique (détectée par la FFR) ne peut être le seul élément incitant à envisager une revascularisation, mais que le type d'atteinte coronaire joue un rôle au moins aussi important. Récemment, le PPG a été introduit comme paramètre permettant de distinguer une maladie focale d'une maladie diffuse et de prédire de manière fiable le succès de la PCI. Étant donné que le succès de la revascularisation peut également être évalué à l'aide de la FFRCT, le CT scan a de nouveau un avantage sur les tests d'ischémie non invasifs classiques.
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