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Amyloïdose cardiaque à transthyrétine : lever du jour pour les inhibiteurs de la synthèse hépatique de transthyrétine
  • Antoine Bondue

L'amyloïdose cardiaque à transthyrétine est une maladie dont la prise en charge thérapeutique connaît une évolution rapide. Très attendus, les résultats de l'étude HELIOS-B ont montré l'effet du vutrisiran, un ARN interférent de deuxième génération, chez des patients souffrant d'une cardiomyopathie à transthyrétine.1 Dans cette étude de phase 3 randomisée en double aveugle, le traitement par vutrisiran entraîne une réduction significative de la mortalité et des événements cardiovasculaires, avec une amélioration fonctionnelle (test de marche et classe NYHA) et de qualité de vie des patients. Le bénéfice de survie est présent dans la population globale de l'étude et chez les patients bénéficiant d'une monothérapie par vutrisiran, et ce, au sommet d'un traitement moderne de l'insuffisance cardiaque et de la cardiomyopathie amyloïde (incluant chez certains patients du tafamidis et des inhibiteurs du SGLT2). Combinée aux résultats préalables de l'étude HELIOS-A2 (montrant un effet positif du vutrisiran dans la neuropathie amyloïde), cette étude HELIOS-B ouvre la porte à une nouvelle ère thérapeutique dans la prise en charge des patients souffrant d'amyloïdose à transthyrétine, dans un très large spectre d'atteinte d'organes (cardiaque, neurologique, ou de forme mixte).

L'amyloïdose à transthyrétine (ATTR) est une maladie liée à des dépôts de transthyrétine dans les tissus, entraînant notamment une cardiomyopathie, des neuropathies, de la dysautonomie, des manifestations musculosquelettiques (dont un syndrome du canal carpien - souvent bilatéral -, des ruptures tendineuses et des rétrécissements du rachis), des altérations fonctionnelles et de la marche. Cette maladie systémique, bien plus fréquente que l'on présume, pourrait atteindre plus de 1 personne sur 1000.3 Il existe une forme de la maladie liée aux dépôts d'une protéine de transthyrétine sauvage (appelée amyloïdose « sénile »), et une forme familiale liée à la présence de variants génétiques accélérant les dépôts, tant sur le plan neurologique que sur le plan cardiaque (forme héréditaire).

Au cours des dernières années, l'arsenal thérapeutique face à l'ATTR s'est considérablement développé. Dans un premier temps, les molécules permettant de stabiliser le tétramère de transthyrétine (comme le tafamidis) ont montré leur efficacité sur des neuropathies de stade 1 et sur la cardiomyopathie amyloïde.4,5 En parallèle, les premiers inhibiteurs de la synthèse hépatique ont été rendus disponibles (dont le patisiran), avec une efficacité démontrée sur les neuropathies à des stades plus avancés, et avec des signaux positifs sur l'efficacité cardiaque (principalement des paramètres d'imagerie, fonctionnels ou des biomarqueurs).6-8 Pour bloquer la production hépatique de transthyrétine, l'administration du patisiran nécessite une injection intraveineuse avec prémédication toutes les trois semaines. Aussi, nous manquions jusqu'il y a peu de données solides (notamment de survie ou d'événements cardiovasculaires majeurs) soutenant un bénéfice de l'inhibition de la synthèse hépatique de transthyrétine chez des patients souffrant d'amyloïdose cardiaque. C'est dans ce contexte que le vutrisiran a été développé, premier ARN interférent de « deuxième génération », permettant, avec une injection sous-cutanée tous les trois mois, une inhibition rapide, puissante et durable de la synthèse hépatique de la transthyrétine.

L'étude HELIOS-B est une étude de phase 3, randomisée contre placébo en double aveugle, qui s'est penchée sur l'efficacité et la sécurité de l'administration de vutrisiran à des patients souffrant d'une amyloïdose cardiaque à transthyrétine sur une durée de 36 mois.1 Au-delà de cette période, l'étude s'est prolongée en phase ouverte (pour les deux bras) pour une durée totale de deux ans. Les critères d'inclusion étaient des patients de 18 à 85 ans, atteints d'une cardiomyopathie à transthyrétine et ayant présenté un épisode d'insuffisance cardiaque ou une surcharge volémique par le passé. Leur NT-proBNP devait être compris entre 300 et 8500 pg/ml après stabilisation clinique, et les patients devaient être en classe fonctionnelle NYHA 1-3. Une partie d'entre eux pouvaient être sous tafamidis dès l'inclusion. Au total, 655 patients ont été randomisés : 326 dans le groupe vutrisiran, et 329 dans le groupe placébo. De manière intéressante, 40 % des patients étaient sous tafamidis au départ, avec une répartition équilibrée entre les deux groupes. Témoignant de leur maladie et de leur insuffisance cardiaque, 80 % des patients étaient sous diurétiques, la majorité en classe NYHA 2, avec des NT-proBNP moyens autour de 2000 pg/ml. Les patients recevaient également des traitements « modernes » d'insuffisance cardiaque, 30 % étant sous inhibiteur du SGLT2 en cours d'étude, dans les deux groupes.

Avec ce profil de patients, les résultats montrent une réduction significative (de l'ordre de 30 %) du critère de jugement principal, constitué d'un critère composite de mortalité toutes causes et d'événements cardiovasculaires à 36 mois (tableau 1). On retiendra que ce critère est positif pour la population globale de l'étude (comportant pour rappel 40 % de patients sous tafamidis, tant dans le groupe traité que dans le groupe contrôle), mais également pour le sous-groupe traité par vutrisiran seul, avec un effet observable dès six mois de traitement (figure 1). Des analyses de sous-groupes ont en outre permis d'établir la consistance de ce résultat, à travers divers profils de patients. Si l'on se concentre sur les données de survie (critère secondaire), l'analyse à 42 mois montre une différence significative en faveur du groupe vutrisiran, avec une réduction du risque de mortalité de 35 % (figure 2). Par ailleurs, les critères d'évaluation secondaires nous indiquent une amélioration du statut fonctionnel et de la qualité de vie des patients, avec une amélioration du test de marche de six minutes, des scores de qualité de vie (KCCQ-OS) et de la classe fonctionnelle NYHA. Notons que l'étude n'était pas suffisamment puissante pour identifier un effet positif d'un traitement combiné par tafamidis et vutrisiran, mais un signal positif a été fourni pour cette association à travers les résultats présentés au congrès de la Société Européenne de Cardiologie.

Globalement, ces résultats placent le vutrisiran comme une nouvelle option thérapeutique puissante pour les patients souffrant d'une cardiomyopathie amyloïde symptomatique par une insuffisance cardiaque, telle que définie dans les critères d'inclusion. Sa position exacte dans l'arsenal thérapeutique reste à définir. Combiné avec les résultats de l'étude HELIOS-A2 (montrant l'effet bénéfique du vutrisiran dans les neuropathies amyloïdes héréditaires), il est évident que le vutrisiran occupera une place de choix dans la prise en charge des patients souffrant d'une forme héréditaire de la maladie et présentant une atteinte mixte. Quelle sera sa place pour les autres formes de la maladie (forme sauvage ou forme héréditaire sans atteinte mixte, ou avec une neuropathie légère) ? Ce n'est certes pas la première molécule disponible, mais son efficacité à présent démontrée chez des patients présentant une insuffisance cardiaque, même en présence d'un traitement préalable de 40 % des patients par tafamidis, ainsi que son mode d'administration tout à fait favorable en matière de compliance en feront certainement une approche thérapeutique de choix. N'oublions pas non plus que certains patients (bien que peu fréquents) présentent des effets secondaires sous d'autres traitements, ou présentent parfois une réponse thérapeutique jugée insuffisante, ce qui ouvre la porte à d'autres approches. Cette étude ne permet pas de répondre définitivement à la question du bénéfice d'un traitement combiné par stabilisateur et inhibiteur de la production hépatique (en raison de la taille insuffisante du groupe), mais montre des signaux positifs en ce sens : il reste un vaste espace pour des études futures.

Dans l'ensemble, nous pouvons conclure que l'étude HELIOS-B amène une nouvelle preuve d'efficacité des traitements inhibant la synthèse hépatique de la transthyrétine dans la prise en charge des patients souffrant de cardiomyopathie amyloïde. Avec un effet rapide et majeur sur la production de transthyrétine, le vutrisiran réduit la mortalité toutes causes et les récidives d'événements cardiovasculaires, et améliore la qualité de vie et la capacité fonctionnelle. Il prévient en outre l'aggravation de l'insuffisance cardiaque de ces patients. Sa place exacte dans l'arsenal thérapeutique reste à préciser, avec un bénéfice avéré chez les patients insuffisants cardiaques, et évident chez les patients présentant une forme héréditaire de la maladie avec atteinte mixte (considérant les résultats combinés des études HELIOS-A et -B).

Conflit d'intérêts

A. Bondue est l'un des investigateurs et coauteurs de l'étude HELIOS-B. Il participe également à d'autres études cliniques sur le sujet.

Références

  1. Fontana, M., Berk, J.L., Gillmore, J.D., Witteles, R.M., Grogan, M., Drachman, B. et al. Vutrisiran in Patients with Transthyretin Amyloidosis with Cardiomyopathy. N Engl J Med, 2024.
  2. Adams, D., Tournev, I.L., Taylor, M.S., Coelho, T., Planté-Bordeneuve, V., Berk, J.L. et al. Efficacy and safety of vutrisiran for patients with hereditary transthyretin-mediated amyloidosis with polyneuropathy: a randomized clinical trial. Amyloid, 2023, 30 (1), 1-9.
  3. Nativi-Nicolau, J.N., Karam, C., Khella, S., Maurer, M.S. Screening for ATTR amyloidosis in the clinic: overlapping disorders, misdiagnosis, and multiorgan awareness. Heart Fail Rev, 2022, 27 (3), 785-793.
  4. Coelho, T., Maia, L.F., Martins da Silva, A., Cruz, M.W., Planté-Bordeneuve, V., Suhr, O.B. et al. Long-term effects of tafamidis for the treatment of transthyretin familial amyloid polyneuropathy. J Neurol, 2013, 260 (11), 2802-2814.
  5. Maurer, M.S., Schwartz, J.H., Gundapaneni, B., Elliott, P.M., Merlini, G., Waddington- Cruz, M. et al. Tafamidis Treatment for Patients with Transthyretin Amyloid Cardiomyopathy. N Engl J Med, 2018, 379 (11), 1007-1016.
  6. Solomon, S.D., Adams, D., Kristen, A., Grogan, M., González-Duarte, A., Maurer, M.S. et al. Effects of Patisiran, an RNA Interference Therapeutic, on Cardiac Parameters in Patients With Hereditary Transthyretin-Mediated Amyloidosis. Circulation, 2019, 139 (4), 431-443.
  7. Adams, D., Gonzalez-Duarte, A., O'Riordan, W., Yang, C-C., Ueda, M., Kristen, A.V. et al. Patisiran, an RNAi Therapeutic, for Hereditary Transthyretin Amyloidosis. N Engl J Med, 2018, 379 (1), 11-21.
  8. Maurer, M.S., Kale, P., Fontana, M., Berk, J.L., Grogan, M., Gustafsson, F. et al. Patisiran Treatment in Patients with Transthyretin Cardiac Amyloidosis. N Engl J Med, 2023, 389 (17), 1553-1565.

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