Ce numéro spécial du Journal de Cardiologie est consacré au congrès 2024 de l'ESC qui s'est tenu à Londres.
Les sujets retenus sont quelques nouvelles études, et une partie des quatre mises à jour de recommandations :
- Tension élevée et hypertension ;
- Syndrome coronaire chronique ;
- Fibrillation auriculaire ;
- Maladie artérielle périphérique et aortique.
Le but de cet éditorial n'est pas de survoler ces recommandations, mais de faire part des quelques réflexions suivantes, qui me font prendre ces recommandations avec des pincettes.
Certes, comme les équipes d'experts ne manquent pas de nous le rappeler, la rédaction des recommandations est un travail sérieux, qui dure environ deux ans et respecte les règles de l'Insitute of Medecine (définies en 2011) : sélection des études et interprétation soumise au vote des experts. S'il y a vote, c'est bien qu'il n'y a pas unanimité. L'ivabradine a par exemple été déclassée, en l'absence de toute nouvelle étude, mais en modifiant l'interprétation (en partie pour corriger une discordance avec les recommandations américaines). Parmi les exigences de l'IOM (actuellement renommée en NMA : National Medical Association, certaines sont rencontrées (présence d'un medecin généraliste ou d'un représentant des patients, vote en cas de dissention), d'autres ne le sont pas (par exemple diffuser les avis discordants).
Pour l'hypertension : en fait les recommandations ont été publiées en 2023 par l'ESH seule (l'ESC a décidé de faire cavalier seul). Les deux versions complètes sont très similaires, je trouve cependant la version ESH plus facile à lire (il est donc inutile d'étudier les nouvelles recommandations sur hypertension pour ceux qui connaissent la version ESH.
Une nouvelle catégorie (tension élevée) est définie (tension en consultation = 120- 139). Sémantiquement, « tension élevée » est synonyme d'« hypertension » ; le terme précis serait donc « tension modérément élevée ». Cette catégorie doit en principe être traitée uniquement par des mesures hygiéno-diététiques, sauf si - pour simplifier - la TAS se situe entre 130 et 139 et le risque SCORE2 (-OP) est > à 10 %. La catégorie se divise donc en deux, car théoriquement, entre 120 et 129, on ne doit jamais recourir au traitement médicamenteux. Or il est bien dit par ailleurs que le risque cardiovasculaire (CV) augmente (log-linéaire) à partir de 90 mmHg systolique… Dans la version ESH, « the guidelines emphasize that their recommendations are not invariably prescriptive for individual patients ». Le traitement ne doit pas être « patient-centered » mais « patient-adapted ». Le principe ALARA (« as low as reasonably achievable ») est également valable pour des patients non fragiles. D'ailleurs, sauf exception (p.ex. la vaccination de masse pour ralentir une pandémie, qui est « population-centered »), quel traitement n'est pas « patient-centered » en médecine ?
Dans l'étude récente Bedtime et BedMed-Frail, s'est posée la question suivante : le résultat est-il le même sur les évenements CV, peu importe l'heure de la prise des anti-hypertenseurs ? Oui, mais si la MAPA montre une hypertension nocturne, qui conseillera de prendre le traitement le matin ? Là aussi, le traitement est adapté au patient.
Lors de la discussion portant sur le syndrome coronaire chronique (dont le coprésident, Christiaan Vrints), j'ai été particulièrement attentif à deux sujets qui me sont chers :
- la place de l'épreuve d'effort ; et
- la place de la colchicine.
Pour ce qui est de l'épreuve d'effort, il a souligné qu'il n'est pas question de faire disparaître cette dernière, et le texte complet cite bien les études (SCOT-HEART et WOMEN), qui démontrent la valeur de cette épreuve d'effort, du moins chez les patients dont la probabilité pré-test se situe entre 5 et 15 %. Néanmoins… l'interprétation que l'on entend souvent (et qui est en fait une interprétation d'interprétation) est la suivante : « il ne sert plus à rien de faire des épreuves d'effort ». Il s'agit là d'une erreur.
À propos de probabilité ou de score pré-test, voyez ci-dessous figure 1 de la probabilite clinique ponderee selon les facteurs de risque (RF-CL), qui n'est pas une prédiction d'événements CV, mais permet de trouver des lésions significatives à la coronarographie.
Plus loin dans la discussion, il a été mentionné qu'une coronarographie sans autre examen préliminaire est indiquée si la RF-CL est > à 85 %. Cela a amené un auditeur particulièrement perspicace à cette question : « Comment arrive-t-on à 85 %, puisque la rondelle jaune la plus élevée indique 45 % ? » La réponse du panel d'experts a été la suivante : un premier expert a dit ne pas comprendre la question, et un deuxième expert a quant à lui expliqué qu'il faut tenir compte, dans l'illustration ci-avant, de la liste au point 2 « Adjust clinical likelihood based on abnormal clinical findings », et surtout (je cite ici l'expert) de l'épreuve d'effort anormale (surlignée en jaune dans l'illustration précitée). On peut donc passer de 45 à 85 % grâce à l'épreuve d'effort… Qui s'en priverait ? (Notons que le scanner coronaire a surtout une bonne valeur prédictive négative.)
Pour la place du traitement par la colchicine low-dose , le lecteur voudra bien se référer à mon article dans le numéro du Journal de Cardiologie de septembre 2024 ; l'étude LoDoCo2 est bien citée mais à mon sens avec trop peu d'explications, et à nouveau les commentaires (interviews hors-congrès) n'encouragent pas à utiliser la colchicine (1/2 comprimé de 1 mg), ce qui est une erreur.
Non, je ne voudrais pas donner l'impression d'être négatif, mais en tant que cardiologues, nous avons le devoir de conserver notre libre-arbitre et notre esprit critique. En résumé, mon avis est le suivant : les recommandations sont des balises qui marquent les bords de la piste de ski. Si vous êtes débutant, restez bien au milieu de la piste. Si vous trouvez que vous skiez plutôt bien, que le temps est au beau fixe, et que la neige est souvent meilleure sur les bords… encore faut-il avoir une connaissance suffisante de la piste (des recommandations).
Je vous souhaite une bonne lecture.
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