NL | FR
Compte rendu du symposium du 33e congrès de la Société Européenne d'Hypertension
  • Jean-Philippe Lengelé 

« Ich bin ein Berliner »

C'était l'effervescence en ce début de mois de juin 2024 à Berlin, imminence du championnat d'Europe de football oblige, mais la récente tenue du 33e congrès de l'« European Society of Hypertension » (ESH) y était également pour quelque chose.

Du 31 mai au 3 juin, l'ensemble des médecins intéressés par l'hypertension artérielle (HTA) et la protection cardiovasculaire (CV) ont fréquenté massivement les salles du congrès, afin de glaner un maximum d'informations pour améliorer leurs connaissances théoriques et leurs pratiques cliniques.

Le 1er juin se tenait notamment un symposium consacré à l'efficience thérapeutique, avec comme fil conducteur la question suivante : « Pourquoi est-il si difficile d'atteindre les valeurs cibles de pression artérielle ? »

La réunion était coprésidée par Krzysztof Narkiewicz (Pologne) et Hae-Young Lee (Corée du Sud), eux-mêmes orateurs, tout comme Rosa de Pinho (Portugal) et Stefano Masi (Italie).

Données épidémiologiques

Dans sa présentation liminaire, Hae- Young Lee nous a rappelé les données épidémiologiques de l'HTA. Celles-ci indiquent une augmentation progressive de la prévalence de l'HTA, de manière concomitante avec l'augmentation du nombre d'individus sur la planète et au vieillissement de la population. On dénombrait en 2019 environ 1,3 Md d'hypertendus dans le monde, ce qui correspondait à un doublement du nombre de patients hypertendus sur une période de 30 ans. Cette situation était aussi reflétée en Europe (+ 46 %) sur la même période (1990-2019).1, 2

Lorsque l'on observe des patients hypertendus, on se rend compte que la proportion de patients âgés de 30 à 79 ans bien contrôlés est très faible (21 %), alors que 42 % sont pourtant traités et que seulement 54 % d'entre eux sont diagnostiqués. La non-observance du traitement est l'une des raisons qui expliquent pourquoi seule la moitié des patients hypertendus traités atteignent l'objectif tensionnel.1, 2, 3

L'intensification est un point clé

Krzysztof Narkiewicz a ensuite abordé la question de l'intensification thérapeutique, rappelant que deux réalités s'affrontaient : celle du terrain (le « real world »), encore éclairée par le rapport de l'OMS qui confirmait que 80 % des patients hypertendus dans le monde n'étaient pas traités de manière optimale, 1 et à l'autre bout de la lorgnette, la réalité scientifique, basée sur l'expérimentation clinique, à l'image des dernières recommandations de l'ESH en faveur d'une association fixe de deux ou trois molécules antihypertensives qui permettrait théoriquement de contrôler de 70 à 90 % des patients hypertendus.4 L'exemple de l'essai « SPRINT » était éclairant, avec un contrôle tensionnel standard à un an (cible de pression artérielle systolique à 136 mmHg) atteint avec un 1,8 médicament en moyenne, alors que le contrôle tensionnel intensif (pression artérielle systolique à 121 mmHg) était atteint avec environ 2,8 médicaments.5 Entre les évidences scientifiques obtenues par les grandes études cliniques et l'application des recommandations au quotidien pour arriver aux objectifs tensionnels, il faut intégrer un facteur important, à savoir la relation thérapeutique entre le médecin et le patient. Chacune des deux parties peut constituer un obstacle à l'atteinte de la cible tensionnelle, soit par non-observance du patient, soit par inertie thérapeutique du soignant. Pour le médecin, iI faut composer à la fois avec l'efficacité et la tolérance du traitement prescrit, et bien sûr intégrer que la puissance d'une classe thérapeutique en monothérapie a ses limites, même à la posologie maximale.6

Durant la mise en place d'un traitement hypotenseur, le médecin devra effectuer plusieurs actions dans le cadre de sa relation médecin-patient : il devra débuter un traitement, puis le continuer s'il est efficace et bien supporté, le modifier le cas échéant en cas d'effets secondaires ou d'inefficacité, ou l'intensifier si la pression artérielle reste trop haute dans un contexte de bonne tolérance aux classes pharmacologiques utilisées. Dans le même temps, il devra rassurer et/ou motiver son patient. L'approche historique « pas à pas », avec ajout d'une molécule après une autre alors que la première a été majorée à sa posologie maximale, est une approche qui n'est plus recommandée d'une manière générale.1, 3, 6

Identifier et dépasser les obstacles à l'intensification thérapeutique

C'est en tant que présidente de la Société portugaise d'hypertension, mais aussi en tant que médecin généraliste, que Rosa de Pinho s'est exprimée. En sa qualité de médecin de première ligne, elle souhaitait mettre en avant la problématique de l'inertie thérapeutique au sein d'un binôme médecin-patient, chacun des deux pouvant interférer dans le traitement.1, 3 Durant sa présentation, elle a illustré le cas d'une patiente âgée de 62 ans, obèse (IMC : 33 kg/m²), sédentaire, dyslipidémique non traitée et hypertendue non contrôlée en monothérapie. Durant plusieurs années, la patiente a consulté au cabinet de son médecin de famille avec des valeurs tensionnelles trop élevées, ce qui l'a finalement conduite à présenter un accident vasculaire cérébral trois ans après. À qui la faute ? Y a-t-il eu des défauts d'observance ou des refus d'intensification de la patiente ? Le médecin a-t-il eu la volonté d'améliorer le contrôle tensionnel de cette personne, et si non, pourquoi ?

Pour élargir la discussion, et afin de mieux identifier les obstacles à l'intensification thérapeutique, Rosa de Pinho a rappelé les cinq dimensions de la non-observance, à savoir les dimensions sociale, économique, liée au patient, liée à la thérapie, liée aux conditions cliniques associées, et liée au système de soins de santé.7, 8

De Pinho en a également profité pour rappeler, dans le cadre de la dimension liée aux soins de santé, le manque de temps et la surcharge de travail, qui ne permettent pas de discuter sereinement et avec pédagogie lorsque la consultation est trop courte.

De manière intéressante, elle a aussi identifié deux types d'inertie thérapeutique :

  • l'inertie au diagnostic : trouver des excuses (attente trop longue, non-observance pour des raisons jugées « compréhensibles ») au fait que le patient a une pression artérielle trop élevée au cabinet de consultation, sans chercher à mieux comprendre la situation, procrastination et report de diagnostic ou d'analyse au prochain contact patient, absence de volonté de mettre en place de l'automesure ou une mesure de la pression artérielle durant 24 heures pour confirmer ou infirmer le diagnostic ;
  • l'inertie au traitement : quand commencer ? Chez qui commencer, et pour quelle(s) valeur(s) cible(s) ? Quand intensifier ? Quel facteur est en cause : peur de mal faire ou méconnaissance des recommandations internationales ?1, 3, 8

Depuis plusieurs années, les experts recommandent de débuter une bithérapie à faible dose fixe plutôt qu'une monothérapie, et grâce aux efforts de la communauté médicale, le Portugal a réussi à atteindre environ 53 % de patients hypertendus contrôlés en médecine de première ligne.

Ceci nous permet, de mettre en parallèle les actions effectuées en Belgique. En effet, le Comité belge de lutte contre l'hypertension (CBH) fait la promotion du projet « Hypertension Matters », afin que chaque médecin qui signe la charte s'engage à une optimisation du contrôle tensionnel au sein de sa patientèle (figure 1). Ceci a d'ailleurs fait l'objet d'une présentation lors du congrès de Berlin par la présidente du CBH, Tine de Backer (Gand).

Une triple association reste sous-utilisée malgré son efficacité démontrée

Revoyant les recommandations antérieures, Stefano Masi (Italie) a fait remarquer que, déjà au début des années 2000, on évoquait le fait que la plupart des hypertendus nécessitaient la prescription d'au moins deux classes médicamenteuses.4

Plusieurs études observationnelles ou prospectives ont bien démontré l'efficacité de l'association fixe entre le périndopril, l'amlodipine et l'indapamide en biou trithérapie, à différentes doses fixes. De nombreuses évidences existent dans la littérature scientifique pour démontrer que ce type d'association a des avantages à la fois sur le plan singulier pour chacun des patients, mais aussi sur le plan sociétal, avec un coût moindre grâce à la limitation des hospitalisations pour complications CV et du coût des soins de santé.8, 9, 10, 11

C'est d'ailleurs ce type d'association que recommande l'ESH (figure 2). Pour poursuivre la réflexion, après avoir parlé de l'intensification thérapeutique et des obstacles à surmonter que sont le manque d'observance et l'inertie thérapeutique, Masi a rappelé la nécessité de se fixer un objectif raisonnable de trois mois pour atteindre la cible tensionnelle (figure 2).

En guise de conclusion, il ne nous reste plus qu'à poursuivre nos efforts pour faire reculer ce fléau silencieux, mais mortel !1, 3, 4

Références

  1. World Health Organization. Global report on hypertension: the race against a silent killer. World Health Organization. 2023, 1-276.
  2. NCD Risk Factor Collaboration (NCDRisC). Worldwide trends in hypertension prevalence and progress in treatment and control from 1990 to 2019: a pooled analysis of 1201 population-representative studies with 104 million participants. Lancet, 2021, 398 (10304), 957-980.
  3. Lee, E.K.P., Poon, P., Yip, B.H.K. Bo, Y., Zhu, M.T., Yu, C.P. et al. Global Burden, Regional Differences, Trends, and Health Consequences of Medication Nonadherence for Hypertension During 2010 to 2020: A Meta-Analysis Involving 27 Million Patients. J Am Heart Assoc, 2022, 11 (17), e026582.
  4. Mancia, G., Kreutz, R., Brunström, M., Burnier, M., Grassi, G., Januszewicz, A. et al. 2023 ESH Guidelines for the management of arterial hypertension The Task Force for the management of arterial hypertension of the European Society of Hypertension: Endorsed by the International Society of Hypertension (ISH) and the European Renal Association (ERA). J Hypertens, 2023, 41 (12), 1874-2071.
  5. SPRINT Research Group. A Randomized Trial of Intensive versus Standard Blood-Pressure Control. N Engl J Med, 2015, 373 (22), 2103-2116.
  6. Salam, A., Kanukula, R., Atkins, E., Wang, X., Islam, S., Kishore, S.P. et al. Efficacy and safety of dual combination therapy of blood pressure-lowering drugs as initial treatment for hypertension: a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. J Hypertens, 2019, 37 (9), 1768-1774.
  7. Burnier, M., Egan, B.M. Adherence in Hypertension. Circ Res, 2019, 124 (7), 1124-1140.
  8. Lengelé J.P. Contribution of a triple fixed association Perindopril-Indapamide-Amlodipine in care of resistant hypertension. Louvain Med, 2014, 133 (9), 627-633.
  9. Wang, N., Salam, A., Webster, R., de Silva, A., Guggilla, R., Stepien S. et al. Association of Low-Dose Triple Combination Therapy With Therapeutic Inertia and Prescribing Patterns in Patients With Hypertension: A Secondary Analysis of the TRIUMPH Trial. JAMA Cardiol, 2020, 5 (11), 1219-1226.
  10. Mourad, J.J., Amodeo, C. de Champvallins, M., Brzozowska-Villatte, R., Asmar R. Blood pressure-lowering efficacy and safety of perindopril/indapamide/amlodipine single-pill combination in patients with uncontrolled essential hypertension: a multicenter, randomized, double-blind, controlled trial. J Hypertens, 2017, 35 (7), 1481-1495.
  11. Tóth, K.; PIANIST Investigators. Antihypertensive efficacy of triple combination perindopril/indapamide plus amlodipine in high-risk hypertensives: results of the PIANIST study (Perindopril-Indapamide plus AmlodipiNe in high rISk hyperTensive patients). Am J Cardiovasc Drugs, 2014, 14 (2), 137-145.

Niets van de website mag gebruikt worden voor reproductie, aanpassing, verspreiding, verkoop, publicatie of commerciële doeleinden zonder voorafgaande schriftelijke toestemming van de uitgever. Het is ook verboden om deze informatie elektronisch op te slaan of te gebruiken voor onwettige doeleinden.