Introduction
La cardiomyopathie hypertrophique (CMH) est la cardiopathie monogénique la plus courante, touchant environ un individu sur 500 dans la population générale.1 L'étiologie est familiale dans la majorité des cas, avec une transmission de type autosomique dominante à pénétrance variable.1, 2 La CMH est définie par la présence d'une hypertrophie myocardique « inadéquate », car elle se développe en l'absence d'une cause d'augmentation de la post-charge (hypertension, sténose aortique, membrane sous-aortique), d'une pathologie infiltrante ou d'un entraînement physique.2 Le plus souvent asymétrique et touchant préférentiellement la paroi septale, cette hypertrophie s'accompagne dans près de 2/3 des cas d'une obstruction sous-aortique dynamique de la chambre de chasse du ventricule gauche (VG) par la valvule mitrale (mouvement antérieur systolique). Cette obstruction est à la fois la conséquence du rétrécissement de la chambre de chasse par hypertrophie septale, mais aussi d'un mauvais positionnement de la valvule mitrale. C'est ce que l'on appelle la « cardiomyopathie hypertrophique et obstructive ».1, 3 L'obstruction, présente au repos dans 50 % des cas et seulement après des manoeuvres de provocation dans l'autre moitié des cas (manoeuvre de Valsalva, effort), est à l'origine d'un gradient de pression entre le VG et l'aorte, et donc d'une surcharge de pression pour le VG.3 Cette surcharge de pression est à l'origine des symptômes classiquement rencontrés, à savoir la dyspnée et l'angor d'effort, la présyncope, voire la syncope d'effort.3 Un gradient sous-aortique supérieur à 50 mmHg (mesuré au repos ou après provocation) est considéré comme un gradient à valeur pronostique et justifiant un traitement, s'il est associé à des symptômes.4
Le traitement médical des formes obstructives repose sur l'administration de drogues inotropes négatives et/ou susceptibles de favoriser la relaxation myocardique, telles que les bêtabloquants, les antagonistes calciques et le disopyramide, seuls ou en association.5,6 Pour les nombreux patients qui deviennent réfractaires ou intolérants à ces traitements, deux interventions peuvent alors être proposées pour lever l'obstruction : la myotomie-myectomie chirurgicale du septum ou l'alcoolisation percutanée du septum.7 Si la myomectomie chirurgicale reste la méthode de référence, l'alcoolisation septale (AS) du myocarde par voie percutanée est devenue l'une des procédures de choix dans le traitement des cardiomyopathies hypertrophiques obstructives réfractaires. L'AS consiste à identifier par coronarographie l'artère septale alimentant la cloison basale hypertrophiée, et à y injecter une dose d'alcool à 95 % comprise entre 1 et 5 cc.7,8 Cela crée un infarctus chimique, une technique qui était autrefois utilisée pour le traitement de certaines tumeurs. Les effets ne sont pas immédiats et mettent généralement deux à trois semaines à apparaître.8 On observe alors une diminution progressive de l'épaisseur du myocarde nécrotique, la disparition progressive de l'obstruction et l'amélioration/disparition des symptômes.6,7,8
Contexte et justificatif
Plusieurs méta-analyses ont mis en parallèle myomectomie et AS (environ 20 000 patients) et ont démontré que la chirurgie est clairement dépassée par l'AS, préférée par le patient avec une amélioration similaire de l'état fonctionnel : au moins 80 % des patients voient leur gradient et leurs symptômes s'améliorer, au prix d'une mortalité identique de l'ordre de 2 %, ce qui fait de l'AS une technique à connaître, maîtriser, améliorer et comparer aux registres de la littérature.7,8
Objectifs
Décrire étape par étape l'ablation septale alcoolique ainsi que les modalités évolutives post-AS d'une série de 58 patients, et identifier les facteurs de mauvais résultat (gradient persistant) à trois mois après procédure.
Matériel et méthode
Conception et contexte de l'étude
Il s'agit d'étude observationnelle, rétrospective et monocentrique, menée dans un service de cardiologie, à partir d'un registre collectant les données cliniques, biologiques et d'imagerie de patients atteints de CMH et candidats à une AS, de janvier 2017 à janvier 2023.
Participants
Cette étude a inclus tous les patients atteints de CMH sarcomérique, suspectée à l'échocardiographie et confirmée à l'IRM cardiaque, admis dans le service de cardiologie pour AS (total de 58 patients). Les patients atteints d'amylose, de la maladie de Fabry, etc. ont été exclus de l'étude (n = 12). Les patients inclus ont été contrôlés tous les trois mois (cliniquement, ECG et ETT) et divisés en deux groupes, en fonction du gradient résiduel dans la chambre de chasse du VG trois mois après l'ablation (< 50 mmHg vs > 50 mmHg), et ils ont été comparés pour identifier les facteurs prédictifs de mauvais résultat après AS. Nous n'avons déploré aucune perte de vue ni décès au cours de la période de suivi. Tous les participants ont donné leur consentement pour participer à ces travaux et en partager les résultats.
Variables et évaluation
Les symptômes et l'examen clinique ont été évalués à chaque consultation. Des ECG ont été réalisés sur des appareils à 12 dérivations, évaluant les paramètres suivants :
- rythme cardiaque ;
- fréquence cardiaque
- intervalles PR, QT, et QTc (calculés selon la formule de Bazett);
- axe et durée QRS ;
- présence ou absence de blocs auriculo- ventriculaires ou de blocs de branche.
Les paramètres échocardiographiques suivants ont été mesurés sur un échographe Vivid S6 :
- diamètres télédiastolique et télésystolique du VG ;
- fraction d'éjection du VG calculée par Teicholtz ;
- épaisseur septale ;
- gradient d'éjection sous-valvulaire au repos et après manoeuvre de provocation ;
- présence ou absence d'insuffisance mitrale et sa gravité.
Les IRM ont été réalisées dans des centres d'IRM cardiaque de référence sur des appareils GE 1,5 Tesla. Des angiographies coronariennes et la procédure d'AS ont été réalisées sur Cath Lab GE Optima. La survenue de complications locales (hématome, fistule artérioveineuse), cardiaques ou systémiques en période péri-procédurale ou post-procédurale précoce, et bien sûr l'apparition de blocs auriculo-ventriculaires complets ont été consignées dans les dossiers médicaux.
Gestion des biais d'étude
Biais de sélection : Afin de réduire ces biais et de rendre la population étudiée la plus représentative possible de la pratique quotidienne, nous n'avons pas limité l'origine des patients dont le recrutement a été successif, le plus souvent sur avis du médecin référent.
Biais de vérification : Tous les patients inclus dans l'étude ont été soumis au test de référence obligatoire (IRM pour confirmer la CMH sarcomérique).
Biais d'interprétation : Une détermination en double aveugle par deux échocardiographistes et une moyenne des résultats en cas de différence < 10 % du gradient maximal ont été réalisées au départ et tous les trois mois chez tous les patients.
Analyse statistique
Toutes les données ont été collectées à l'aide du logiciel EPI-INFO 7. Les résultats ont été exprimés en pourcentage pour les variables qualitatives, et en moyenne ± écart type (DS) pour les variables quantitatives. Des analyses bivariées de tous les paramètres en fonction de l'évolution du gradient maximal ont été réalisées selon le test de Fisher pour les variables qualitatives, et selon le test de Student pour les variables quantitatives. La valeur p < 0,05 a été considérée comme statistiquement significative.
Résultats
Technique d'ablation septale à l'alcool
Nous décrivons ici la technique et l'équipement nécessaires pour réaliser une procédure percutanée d'AS. Cette procédure commence par une bonne sélection des patients (clinique, ECG, ETT et IRM cardiaque, pour confirmer la forme sarcomérique et le traitement médical optimal) (figure 1).
Ensuite, comme dans toute procédure de coronarographie, un abord artériel est réalisé (ou double abord, afin d'évaluer le gradient invasif VG-aorte avant et après l'intervention), une coronarographie complète est réalisée si nécessaire, puis un cathéter guide (sonde porteuse) avec un excellent support est choisi en fonction de l'anatomie du réseau gauche (EBU ou AL), et un guide 0,014 est placé dans une artère septale (figure 2). Une ponction veineuse avec mise en place d'une sonde de stimulation cardiaque temporaire peut être nécessaire en cas de BBG préexistant complet ou incomplet.
Un ballon OTW adapté au diamètre de l'artère septale est introduit puis gonflé à basse pression (6 à 8 atm) dans cette artère septale. Une injection de produit iodé est réalisée à travers le cathéter guide pour confirmer que le ballon exclut la septale, puis à travers le ballon pour confirmer l'absence de fistule de cette artère septale avec d'autres vaisseaux ou structures cardiaques.
La dernière étape consiste à injecter du contraste échographique dans cette artère septale et à confirmer en ETT que l'artère sélectionnée correspond à la bonne partie du muscle septal à ablater.
Une fois la bonne artère septale identifiée, une quantité d'éthanol à 95 % est injectée pendant cinq minutes. S'ensuivent cinq minutes de lavage au sérum avec le même volume que l'alcool, puis un temps d'attente de cinq minutes avant de dégonfler le ballon et d'évaluer le gradient invasif et échocardiographique et de retirer le matériel (figure 3). La quantité d'éthanol à injecter est calculée selon deux méthodes : 0,08 cc d'alcool pour chaque mm de septum, ou 0,1 cc d'alcool pour chaque mm d'artère septale.
Participants et données descriptives
Notre étude a inclus 58 patients (32 hommes/26 femmes) âgés de 26 à 64 ans et présentant une CMH sarcomérique suspectée à l'échocardiographie et confirmée par IRM cardiaque. Tous les patients présentaient une dyspnée (classe 3 ou 4 NYHA) sous traitement médical maximal toléré par bêtabloquants (propranolol 160-320) et/ou diltiazem (360-720 mg) pendant au moins six mois.
Tous les patients présentaient une HVG à l'ECG et 47 d'entre eux (81 %) présentaient un BBG. La FE moyenne au départ était de 64,3 % (58-72 %) avec une épaisseur maximale moyenne du VG à 23 mm (18-33 mm) et un gradient maximal moyen à 88 mmHg après manoeuvre de Valsalva (50-139 mmHg).
Nous avons calculé la quantité d'alcool nécessaire selon les deux techniques et commencé pour chaque patient à injecter la quantité minimale, en complétant ensuite vers la quantité maximale en cas de résultat incomplet lors de l'évaluation per-procédurale immédiate.
La quantité moyenne d'éthanol injectée dans notre étude était de 2,4 ± 0,6 cc (1,8-3,0 cc). Au cours de l'intervention, nous n'avons rapporté aucun décès, mais bien une perforation du ventricule droit par la sonde d'entraînement temporaire avec tamponnade gérée par chirurgie cardiaque, une FV gérée par choc électrique externe et trois blocs AV complets nécessitant l'implantation de stimulateurs DDD-R.
Analyse
Une surveillance clinique, électrique et échocardiographique a été réalisée pendant la procédure, à 48 heures puis tous les trois mois pour tous les patients jusqu'à six mois. Une amélioration significative du gradient résiduel VG (< 50 mmHg) a été observée chez 45 patients (77,59 %). Nous avons ensuite divisé nos patients en deux groupes en fonction du gradient résiduel dans la chambre de chasse du VG trois mois après l'AS (< 50 mmHg vs > 50 mmHg) et avons comparé ces deux groupes pour identifier les facteurs prédisant un mauvais résultat après AS (tableau 1) :
- Le sexe ne semble pas influencer l'évolution du gradient VG à trois mois (hommes : 6/32 vs femmes : 7/26 ; p = 0,54) ;
- L'âge > 50 ans ne semble pas influencer l'évolution du gradient VG à trois mois (> 50 ans : 3/26 vs < 50 ans : 10/32 ; p = 0,11) ;
- Le BBG sur l'ECG ne semble pas influencer l'évolution du gradient VG à trois mois (BBG+ : 8/47 vs BBG- : 5/11 ; p = 0,10) ;
- La FEVG ne semble pas influencer l'évolution du gradient (FEVG < 60 % : 2/10 vs FEVG > 60 % : 11/48 ; p = 1,00) ;
- La quantité d'alcool injectée < 2 ml ne semble pas influencer l'évolution du gradient (Qt < 2 cc : 3/9 vs Qt > 2 cc : 10/49 ; p = 0,40).
L'épaisseur maximale du VG > 30 mm est associée à un mauvais résultat sur le gradient VG à trois mois (> 30 mm : 5/7 vs < 30 mm : 8/51 ; p = 0,0045) (figure 4). Le gradient initial > 135 mmHg semble être un bon prédicteur d'un mauvais résultat après AS (G > 135 mmHg : 8/18 vs G < 135 mmHg : 5/40 ; p = 0,0145) (figure 5).
Discussion
Limite
La principale limite de cette étude est la petite taille de la série (n = 58), ce qui limite la possibilité d'obtenir des résultats statistiquement significatifs. Cela explique aussi le taux de complications rares obtenu ici, par rapport aux données de la littérature. Le caractère rétrospectif de l'étude représente également une limite. En effet, certains examens sont manquants ou incomplets, limitant ainsi la quantité de données disponible.
Principaux résultats et interprétation
Nous rapportons un taux de mortalité nul et un taux de morbidité de 8,62 %, ce qui est cohérent avec les données de la littérature. Les facteurs de mauvais résultat trois mois après AS sont l'épaisseur maximale du VG > 30 mm et le gradient initial > 135 mmHg (p < 0,05).
Conclusion
L'AS est devenue une alternative intéressante à la myomectomie chirurgicale chez les patients symptomatiques atteints de cardiomyopathie hypertrophique obstructive. La sélection des candidats doit être rigoureuse, et la procédure doit être confiée à des centres expérimentés, associant cardiologues interventionnels et échocardiographistes. L'AS est préférée en cas d'obstruction sous-aortique, d'anatomie coronarienne favorable et d'absence d'anomalie associée de l'appareil mitral sous-valvulaire.
L'AS est rapide, efficace et sûre. L'échocardiographie de contraste per-procédurale permet d'identifier facilement la branche septale à alcooliser. Ses bénéfices sont comparables à ceux observés avec la myomectomie chirurgicale, en matière de classe fonctionnelle, de capacité d'exercice et de régression du gradient pour une épaisseur de septum < 30 mm.
La morbi-mortalité de la technique d'AS, observée à court et moyen termes, est globalement équivalente à celle de la chirurgie. La complication majeure est dominée par la survenue d'un bloc auriculo-ventriculaire complet nécessitant l'implantation d'un stimulateur cardiaque permanent, complication en forte régression depuis la généralisation de la technique échoguidée.
Ce que nous savons :
- La technique d'AS est rapide, efficace et sûre.
- Sa morbi-mortalité est globalement équivalente à celle de la chirurgie.
- La principale limitation est l'existence d'une contre-indication anatomique, telle qu'une fistule ou une artère septale inadéquate.
Apports de cette étude
Les résultats de la technique d'AS sont moins bons en cas d'épaisseurs septales > 30 mm et de gradients de départ > 135 mmHg. Ces situations pourraient constituer à l'avenir des indications privilégiées pour un traitement chirurgical immédiat.
Références
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