Les femmes occupent de plus en plus de postes dans la communauté médicale et scientifique. Cela va de soi maintenant que la majorité des étudiants dans de nombreuses facultés de médecine sont en réalité des étudiantes. Mais, en dépit de cette évolution, la cardiologie reste essentiellement un monde d'hommes. Les femmes représentent ainsi moins de 15 % des cardiologues en activité aux États-Unis, contre un tiers en Europe.1 Cette inégalité est encore plus criante lorsque l'on se concentre sur les postes de chefs de services : en Europe (à l'exception de la Russie), moins de 15 % des grands services universitaires ou tertiaires de cardiologie sont dirigés par des femmes. Un certain nombre de pays européens importants ne comptent même pas la moindre femme à la tête d'un tel service.
Les femmes cardiologues qui occupent un poste de direction publient moins que leurs collègues masculins.1 Une récente analyse extensive de la littérature cardiologique2 révèle qu'en 2016, seuls 20 % des premiers auteurs étaient des femmes. Le dernier auteur (senior) était une femme dans à peine 12 % des cas. Les femmes cardiologues ont peut-être moins de chances de publier, ce qui peut entraver l'évolution de leur carrière. Une autre conséquence est que, compte tenu du déséquilibre dans les fonctions de niveau supérieur, les jeunes étudiantes en médecine qui doivent faire un choix professionnel éprouvent des difficultés à rencontrer des modèles et des mentors au féminin. De ce fait, les étudiantes optent peut-être moins souvent pour une formation en cardiologie, ce qui entretient le manque de femmes qui pratiquent la cardiologie et qui occupent des postes de direction.
La Russie connaît une prépondérance de femmes parmi les cardiologues et les chefs de services qui, en comparaison à d'autres pays européens, ont un profil universitaire faible. Cette prépondérance reflète certes plutôt la situation sociale et sociétale spéciale du pays, où le système de soins de santé est moins attrayant pour les hommes. Paradoxalement, les pays qui affichent un plus haut Gender Inequality Index (c.-à-d. une moindre égalité de genre dans la société) ont un plus haut pourcentage de femmes dirigeantes1. L'équilibre hommes-femmes dans les postes de direction en cardiologie ne reflète pas le développement de l'égalité hommes-femmes dans la société, mais semble plutôt dépendre du pourcentage total de femmes cardiologues et du rang social du poste dans le pays, comme l'indique la situation en Russie.
Du côté des médecins spécialistes en formation de cardiologie, il existe de nettes différences hommes-femmes en ce qui concerne le choix de la sous-spécialité.3 Une étude organisée par la British Junior Cardiologists Association en 2018 révèle que 43 % des MACS de sexe masculin ont choisi une sous-spécialité dans la cardiologie interventionnelle, contre 29 % des MACS de sexe féminin. Une tendance similaire était également observée en électrophysiologie, avec 17 % d'hommes contre 6 % de femmes parmi les MACS. À l'inverse, la cardiologie non invasive, l'insuffisance cardiaque et les dispositifs étaient davantage choisis par les femmes que par les hommes, en termes de pourcentages, mais le nombre de MACS de sexe masculin optant pour ces sous-spécialités était plus élevé en termes absolus. La sous-spécialité des cardiopathies congénitales chez les adultes y faisait exception, étant choisie par un plus grand nombre absolu de MACS de sexe féminin.
Qu'est-ce qui retient les étudiantes de choisir une formation de cardiologue ? La cardiologie est une spécialité très demandée, où la concurrence fait rage avec les étudiants masculins qui rêvent déjà tout haut d'une formation en cardiologie interventionnelle ou en électrophysiologie. Il s'agit par ailleurs d'une longue formation, qui doit mener à l'apprentissage d'innombrables compétences parfois très techniques. Bon nombre de responsables facultaires pour la formation dans l'une des sous-spécialités de médecine interne sont souvent les protagonistes d'une reprise de la médecine interne générale et esquissent souvent un portrait purement technique de la cardiologie. Cette imagerie est renforcée lorsque les étudiants font des stages dans des services de cardiologie tertiaires, où l'accent est mis sur la cardiologie interventionnelle, l'électrophysiologie et la chirurgie cardiaque et où le département d'hospitalisation en cardiologie est géré par de jeunes MACS en cardiologie, parfois sous la supervision d'une équipe tournante de « super spécialistes » en cardiologie qui ne remplissent pas toujours cette tâche avec suffisamment d'aura. De plus, des expressions dénigrements et sexistes peuvent avoir lieu sur le terrain. Ces problèmes touchent plus souvent les MACS de sexe féminin que leurs homologues masculins, comme le montrent surtout des recherches britanniques. 3-5 Ils interviennent principalement pendant les stages de rotation au sein de services tertiaires, si bien que les étudiantes en formation de cardiologie se détournent plus souvent de leur choix initial de sous-spécialisation pour se réorienter vers la cardiologie non invasive, l'insuffisance cardiaque, les anomalies congénitales chez les adultes, délaissant ainsi la cardiologie interventionnelle et l'électrophysiologie.3 Les femmes cardiologues subissent également plus de sexisme et d'intimidation sexuelle que leurs collègues masculins. Le sexisme a une influence sur l'évolution de leur carrière et sur leur assurance professionnelle, en ce compris un manque de confiance dans leurs interactions avec les patients et collègues.6
Une raison importante pour laquelle les MACS en médecine interne de sexe féminin n'optent pas pour la cardiologie tient surtout à la perception d'un mauvais équilibre entre vie professionnelle et vie privée7, à la longue formation et aux services de garde et leurs horaires irréguliers. Bien qu'il soit possible d'interrompre temporairement un plan de stage pour cause de grossesse, la formation reste en principe à temps plein et n'offre aucune possibilité d'être éventuellement suivie en horaire réduit (p. ex. 8/10).
L'échec de la cardiologie à attirer davantage de femmes, alors que la population des étudiants en médecine est plus ou moins constituée d'autant d'hommes que de femmes, indique que la cardiologie perd une proportion importante du réservoir de talents au profit d'autres spécialités. Si le tir n'est pas corrigé, il sera de plus en plus difficile de maintenir des normes élevées pour la pratique et la recherche en cardiologie. Les spécialités généralistes, comme la médecine d'urgence, les soins intensifs et la gériatrie, sont en plein boom et détrônent déjà l'activité cardiologique, qui menace d'être bientôt réduite aux interventions cardiologiques.
Que pouvons-nous faire dès à présent pour recruter plus de femmes cardiologues, les garder professionnellement actives et améliorer leurs perspectives de promotion ? Les sociétés scientifiques tant européennes1 qu'anglo-saxones8 soulignent l'importance de modèles en vue de déconstruire les idées fausses sur le rôle des femmes cardiologues et sur la cardiologie en général. Sous l'influence des jeunes cardiologues, l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée évolue déjà peu à peu dans le bon sens. Ce processus doit peut-être encore être accéléré vu que, en comparaison d'autres spécialités, l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée demeure plus défavorable en cardiologie.9 Dans la foulée, nous devons aussi réfléchir à la possibilité d'un plan de stage à temps partiel (8/10), et ce pour les femmes comme pour les hommes, afin d'offrir aux MACS la flexibilité qui leur permettrait de poursuivre d'autres ambitions (non professionnelles). En conclusion, la cardiologie clinique générale doit être revalorisée, y compris dans les services de cardiologie tertiaires, pour que les jeunes étudiants en médecine puissent y rencontrer un modèle attractif qui les motivera à opter pour une formation de cardiologue.
Références
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