Compte rendu d'une session de la BSC - session 18 - BWGNICI
Le diabète et son effet sur le coeur est un sujet important, qui a largement été évoqué cette année lors du congrès de la BSC, avec plusieurs sessions consacrées à ce thème. Lors de cette session, dont les modérateurs étaient Caroline Van de Heyning et Bernhard Gerber, on a traité plus en détail du rôle de l'imagerie multimodale en cas de diabète.
Le premier exposé, présenté par Thomas Marwick (Melbourne, Australie), était intitulé 'Imaging evaluation of functional alterations in diabetic heart'.
Épidémiologie et physiopathologie
La cardiomyopathie (CMP) diabétique consiste en anomalies de structure ou de fonction du coeur, résultant de modifications métaboliques inhérentes au diabète, et ce en l'absence de maladie coronarienne ou de cardiomyopathie hypertensive, valvulaire ou congénitale1, 2, 3. La distinction n'est pas toujours facile, étant donné les nombreuses comorbidités observées chez les diabétiques. Environ 20 % des diabétiques présentent des signes de dysfonction ventriculaire gauche, sans autre pathologie cardiaque4, 5, et environ un quart de ce groupe développera finalement une insuffisance cardiaque symptomatique6 dans un délai d'un an et demi, avec une augmentation à 37 % dans les 5 ans. Étant donné la prévalence élevée - et toujours croissante - du diabète, on estime qu'environ 77 millions de patients souffrent d'une CMP diabétique à l'échelle mondiale. Hormis la prise en charge des facteurs de risque, aucun traitement spécifique n'existe pour le moment. Les patients présentant des comorbidités telles qu'une hypertension artérielle et une maladie coronarienne ont un moins bon pronostic4. La physiopathologie, complexe, repose sur un groupe hétérogène de drivers métaboliques multiples. D'un point de vue métabolique, le coeur est un organe très actif qui consomme énormément d'ATP, les acides gras libres et le glucose étant la principale source d'énergie. En cas de diabète, on observera un glissement (shift) vers davantage d'acides gras libres, sous l'influence de l'hyperglycémie, de l'hyperlipidémie et d'une insulinorésistance accrue. Ce shift métabolique et la lipotoxicité y associée provoque un ensemble complexe de dommages au niveau des cardiomyocytes, avec une hypertrophie, une dysfonction mitochondriale, une apoptose et finalement, une nécrose possible. Cliniquement, ceci se traduira par une dysfonction microvasculaire, une dysfonction diastolique due à un remodelage des cardiomyocytes et finalement par une fibrose et une dysfonction contractile3.
Signaux fonctionnels et mécanismes
À l'échocardiographie, une CMP diabétique est révélée par 3 caractéristiques majeures, entre-temps solidement étayées d'un point de vue scientifique: une hypertrophie ventriculaire gauche (HVG), une dysfonction systolique (le plus souvent infraclinique, et uniquement reflétée par une diminution de la strain longitudinale globale) et une dysfonction diastolique (avec hypertrophie auriculaire gauche, anomalies du flux transmitral et Doppler tissulaire anormal)7, 8. Là où le strain longitudinal global (GLS) est souvent encore préservé en cas de dysfonction hypertensive du VG, une CMP diabétique s'accompagne plus souvent d'anomalies du strain, y compris si les autres paramètres de la fonction diastolique sont normaux. Une partie de ces modifications semble imputable au (manque de) contrôle glycémique. Si le contrôle glycémique est moins bon, on observe une augmentation de la masse du VG, des anomalies du strain et une augmentation du rapport E/e'. Dans les biopsies endomyocardiques de diabétiques souffrant d'insuffisance cardiaque, on observe, en l'absence de maladie coronarienne, un degré plus élevé de fibrose comparativement aux patients souffrant d'insuffisance cardiaque, indemnes de diabète9. En cas d'HFrEF, on observe principalement une augmentation du volume de collagène myocardique, et donc davantage de fibrose, alors que l'HFpEF se caractérise essentiellement par une augmentation de la tension au repos (troubles de la relaxation) des cardiomyocytes. Il est frappant de constater que le rapport E/e' n'augmente pas en cas de traitement par metformine, ce qui constitue une preuve supplémentaire de l'existence d'un driver métabolique clair pour la cardiomyopathie diabétique. Malheureusement, la metformine n'a pas d'effet similaire sur le GLS8.
Association avec la capacité fonctionnelle et résultat
Bien que la majorité des patients n'aient (initialement) pas de plaintes, la CMP diabétique est finalement associée à une nette diminution de la capacité fonctionnelle10. Ainsi, en cas d'hypertrophie marquée et de rapport E/e' élevé, on observe une moins bonne VO2-max et un moins bon résultat clinique10. Les diabétiques souffrant d'insuffisance cardiaque (préclinique) de stade A ont un test de marche de 6 minutes moins bon, davantage de dysfonction diastolique et un GLS moindre que des patients similaires souffrant d'insuffisance cardiaque, mais non diabétiques, et ce indépendamment de la fonction du VG. Un rapport E/e' > 13, un LAVI > 34 ml/m2, une HVG ou un GLS < 16 % sont tous des facteurs de risque indépendants de moins bon pronostic6. Enfin, le fait qu'un traitement soit véritablement associé à un effet constitue une bonne nouvelle. Les inhibiteurs du SGLT-2 ont une influence favorable surle résultat chez les diabétiques et le risque d'insuffisance cardiaque. Ceci se traduit par de meilleurs rapports E/e', un GLS plus élevé, une meilleure FEVG et des dimensions plus normales du VG11. La metformine diminue la mortalité et les événements d'insuffisance cardiaque, tant en cas d'HFrEF que d'HFpEF, indépendamment de l'utilisation d'IECA ou de bêtabloquants12.
Le deuxième exposé, intitulé 'Diabetic cardiomyopathy. Functional evaluation by stress imaging techniques', fut présenté par Jeroen Bax (Leiden, Pays-Bas).
Athérosclérose
Alors que l'exposé de l'orateur précédent traitait essentiellement des modifications métaboliques au niveau des cardiomyocytes, Jeroen Bax a rappelé l'importance des coronaires, puisque les complications macrovasculaires constituent la cause principale de décès chez les diabétiques. Bien qu'environ 57 % des diabétiques asymptomatiques aient un score calcique élevé, cela ne dit pas tout, étant donné qu'environ 41 % des plaques présentes chez les diabétiques ne sont pas calcifiées, ce qui fait que le score calcique seul ne suffit donc pas pour exclure une maladie coronarienne en cas de diabète. L'atteinte coronarienne est un aspect important du diabète, avec une athérosclérose obstructive chez plus de 35 % des diabétiques asymptomatiques. Le CT scan coronaire peut donc largement s'utiliser en routine comme outil de dépistage de première ligne chez les diabétiques.
Anomalies de la perfusion
Lors d'une étude portant sur 120 diabétiques (tant symptomatiques que non symptomatiques), la scintigraphie de perfusion a révélé des anomalies chez plus d'un patient sur trois, par ailleurs associées à des arguments en faveur de la formation de cicatrices. Près de 20 % des patients de ce même groupe ont développé une insuffisance cardiaque, plus précisément les patients qui avaient déjà des anomalies modérées à sévères de la perfusion au SPECT. Toutefois, les patients présentant des anomalies de la perfusion n'ont pas tous de l'athérosclérose. L'explication de ceci pourrait résider dans la dysfonction endothéliale13, qui est corrélée à ces anomalies.
Les anomalies métaboliques entraînent- elles une dysfonction du VG?
Jusqu'ici, le lien entre dysfonction du VG et élévation des triglycérides myocardiques n'est pas encore prouvé, mais il l'est en ce qui concerne l'augmentation des acides gras libres myocardiques. Des études poussées par RM ont démontré que la stéatose myocardique est un élément prédictif indépendant d'une dysfonction diastolique en cas de diabète (DM, diabetes mellitus)14. Inversement, on a constaté qu'une restriction calorique prolongée chez les diabétiques peut entraîner une amélioration du rapport E/A15. La pioglitazone améliore également la fonction diastolique16.
Le dernier exposé, intitulé 'Evaluation of metabolism in diabetic heart' a traité plus en détail du rôle de l'IRM cardiaque en cas de CMP diabétique, et il fut présenté par Gerry McCann (Leicester, RU).
Le DM 2 est associé au développement d'une insuffisance cardiaque, même en cas de bon contrôle de la glycémie et des facteurs de risque17, et même chez les jeunes adultes. Le but est d'identifier les patients en classe B (qui sont donc asymptomatiques, mais qui ont déjà des anomalies structurelles) et de pouvoir intervenir. Il est vraisemblablement beaucoup plus efficace d'agir à ce stade que plus tard, lorsqu'il y a déjà des symptômes d'insuffisance cardiaque, qui seront dès lors plus réfractaires au traitement. L'IRM cardiaque (RMC) peut jouer un rôle ici, la plupart des études conduites jusqu'à présent étaient relativement petites; de plus amples études sont donc nécessaires.
Structure et fonction à la RMC
À la RMC, plusieurs anomalies sont visibles chez les diabétiques. Tant le débit systolique et le volume télédiastolique des 2 ventricules diminuent, et le rapport masse/volume du VG augmente (il y a donc un remodelage concentrique), ce qui est également associé à un moins bon pronostic (mortalité et hospitalisations pour insuffisance cardiaque). Au niveau auriculaire, nous voyons une diminution du volume maximal des 2 oreillettes et une emptying fraction moindre18. Chez les diabétiques jeunes, quel que soit le sexe, la rigidité de l'aorte ascendante est indépendamment corrélée à ce remodelage concentrique20. Un développement récent est constitué par l'évaluation du strain myocardique à la RMC, avec le strain circonférentiel global, similaire au speckle-tracking à l'ETT, plus faible chez les diabétiques. Une étude récente a évalué l'effet d'un régime hypocalorique ou de l'entraînement physique sur la fonction diastolique chez de jeunes adultes souffrant de DM2, via l'analyse d'une RMC. Le rapport masse/volume du VG ne diminuait pas, mais on notait bien une amélioration du degré de strain télédiastolique maximal21.
Caractérisation des tissus et perfusion
En cas de DM2, on observe typiquement une fibrose midwall sur les clichés LGE (late gadolinium enhancement). La fibrose s'observe également à l'aide de la cartographie T1 pré- et post-contraste, ce qui permet de générer une carte de volume extracellulaire, qui reflète la distribution du contraste dans le myocarde. Son augmentation indique une fibrose interstitielle diffuse et s'observe davantage chez les patients souffrant de DM 2, bien que ce ne soit pas confirmé dans toutes les études. Par ailleurs, on peut également utiliser la réserve de perfusion myocardique (RPM) pour rechercher d'éventuelles zones ischémiques, mais aussi pour démontrer une dysfonction microvasculaire chez les diabétiques. La RPM est indépendamment associée à la capacité à l'effort chez les diabétiques asymptomatiques21.
La RMC peut également s'utiliser pour visualiser le métabolisme cardiaque. C'est ainsi qu'on a redonné vie à une ancienne technique: la RMC au manganèse. Le manganèse est activement capté par les cardiomyocytes via les canaux calciques de type L, essentiels pour une contraction cardiaque efficace. Une étude récente avec cette technique a montré que l'absorption de calcium myocardique est nettement diminuée, tant en cas de CMP hypertrophique que de CMP dilatée. À présent, on observe la même réduction chez les diabétiques asymptomatiques22. La spectroscopie par RM permet de quantifier les triglycérides myocardiques et la spectroscopie par RM au phosphore peut quantifier la phosphocréatinine, un élément constitutif de l'ATP, essentiel pour une contraction adéquate. Le rapport phosphocréatinine/ATP est abaissé en cas de DM et augmenté en cas d'activité physique, et il est de ce fait lié à la RPM23, ce qui suggère un lien avec la dysfonction microvasculaire.
Enfin, on a évoqué la technique d'hyperpolarisation nucléaire dynamique24, lors de laquelle des protons sont hyperpolarisés par des électrons refroidis, que l'on injecte aux patients. Le pyruvate est métabolisé en acétyl-CoA ou en lactate, qui est alors détecté grâce à la RM. Cette technique augmente la sensibilité de la RM pour les modifications du métabolisme cellulaire d'un facteur > 10 000, avec une augmentation du lactate chez les diabétiques25.
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