Compte rendu d'une session de la BSC - session 16
Neil Poulter (London Imperial College, Royaume-Uni), Thomas Vanassche (KU Leuven) et Philippe van de Borne (Hôpital Erasme, ULB) ont pris la parole à l'occasion d'une session virtuelle de la Société Belge de Cardiologie. Johan De Sutter (AZ Maria Middelares) et Agnès Pasquet (UCL Saint-Luc) en étaient les modérateurs.
Le titre de la session était 'Revisiting the Renin-Angiotensin-Aldosterone System'. Les exposés ont 'pesé l'évidence', présenté 'l'importance de la protection vasculaire au-delà du simple contrôle tensionnel' et finalement l'importance d'inhiber l'enzyme de conversion en présence d'une cardiopathie ischémique.
Neil Poulter a commencé par citer une de ses publications célèbre dans The Lancet, où il mentionnait en 2015 que 'l'hypertension artérielle constitue la première cause de maladie et de mortalité en étant responsable de 9,4 millions de décès chaque année'. Cette triste réalité s'est encore aggravée, le nombre de décès annuel attribuable à l'hypertension artérielle est passé à 10,8 millions en 2019. Sur 100 patients hypertendus, 30-50 % sont diagnostiqués, 15-50 % sont traités, et 5-20 % sont contrôlés par le monde1. Il a ensuite abordé la controverse relative à l'efficacité hypotensive des antagonistes des récepteurs à l'angiotensine II (ARAII) par rapport aux inhibiteurs du système rénine angiotensine (IEC). La database 'Cochrane' a conclu que l'efficacité hypotensive des ARAII et des IEC était similaires2, mais qu'en est-il de la réduction de la mortalité totale et des accidents cardiovasculaires (CV) avec ces classes thérapeutiques ? Les recommandations 2018 pour la prise en charge de l'hypertension artérielle proposent un schéma thérapeutique simplifié où un traitement combiné en un seul comprimé associe un IEC ou un ARAII à un anticalcique ou un diurétique, suivi par, si le contrôle n'est pas suffisant, un IEC ou un ARAII associé à un anticalcique et un diurétique, toujours en un seul comprimé. Ceci semble suggérer que IEC et ARAII sont interchangeables. C'est aussi ce qui est suggéré par les recommandations de la Société Internationale d'Hypertension artérielle en 2020 où la lettre 'A' fait référence sans distinction à un IEC ou un ARAII. Toutefois, selon Neil Poulter, la réalité est bien plus complexe, et cette sur simplification ne doit pas faire oublier que dans les études randomisées et contrôlées, les effets favorables des IEC et des ARAII n'ont pas toujours été identiques dans toutes les populations étudiées. Il montre ensuite quatre métanalyses entre 2009 et 2013 où l'IEC tendaient à réduire davantage la mortalité que l'ARAII auquel il était comparé. Aussi, dans l'étude TRANSCEND3 le telmisartan n'a pas été en mesure de réduire l'objectif composite composé des décès cardiovasculaires, les infarctus myocardiques, et les hospitalisations pour insuffisance cardiaque par rapport au placébo. La réduction de la pression artérielle durant 2,5 ans avec le telmisartan n'a pas été en mesure de prévenir une récidive d'accident vasculaire par rapport au placébo (étude PRoFESS, p = 0,23). L'étude ROADMAP avec l'olmesartan avait même augmenté numériquement les décès chez les patients avec une pathologie cardiaque préexistante4. Il en a été tout autrement avec le perindopril qui réduit les accidents cérébrovasculaires par rapport au placébo dans l'étude PROGRESS et HYVET. Neil Poulter cite ensuite 6 références de recommandations et méta-analyses qui placent l'IEC en premier choix avant l'ARAII, et rappelle que les traitements que nous administrons aux patients doivent privilégier la ou les molécules dont l'efficacité a été démontrée dans les études scientifiques. Il termine ensuite son exposé en concluant qu'il est impérieux de dépister et de mieux contrôler l'hypertension artérielle (figure 1). Tous les IECs ne sont pas égaux, il faut privilégier les IECs avec une longue durée d'action, alors que la durée d'action du ramipril est bien plus courte. La toux est un phénomène commun, parfois favorisé par l'IEC. Ceci ne doit pas conduire à l'arrêt de cette thérapie, car elle sauve des vies. Enfin, l'évidence scientifique et de nombreuses recommandations suggèrent que les IECs sont un premier choix avant les ARAII pour prévenir les décès et de nombreux évènements cardiovasculaires.
Thomas Vanassche a ensuite présenté l'importance de la protection vasculaire au-delà du contrôle tensionnel. Les IECs ont vraisemblablement une action anti-ischémique. Actuellement, les propriétés anti-ischémiques ont été démontrées par les IECs dans des groupes de patients sélectionnés, y compris des patients souffrant de dysfonctionnement ventriculaire gauche avec ou sans relation temporelle directe avec un infarctus du myocarde. Les effets anti-ischémiques des inhibiteurs de l'ECA se manifestent tardivement après le début du traitement et suggèrent un effet structurel plutôt que fonctionnel. Les mécanismes sous-jacents peuvent inclure une réduction de la dilatation ventriculaire et de l'hypertrophie cardiaque, entraînant une diminution de la demande en oxygène du myocarde et, éventuellement, une amélioration de l'approvisionnement en sang sous-endocardique, et des effets vasculoprotecteurs, c'est-à-dire des propriétés anti-athérosclérotiques et antiremodelantes, un effet bénéfique sur le système fibrinolytique et une amélioration de la fonction anormale des vasodilatateurs endothéliaux. Ce dernier aspect est très probablement le mode d'action pivot en ce qui concerne le profil anti-ischémique de l'inhibition de l'ECA à la suite de l'accumulation de bradykinine, propriétés dont les ARAII sont dépourvues (figure 2). Il est important que, tant dans les expériences cliniques que dans les études humaines, le rôle de la bradykinine semble central dans les effets cardiovasculaires structurels et fonctionnels de l'inhibition de l'ECA. Ceci est particulièrement vrai pour l'amélioration de la fonction endothéliale altérée. L'ischémie myocardique évoque une activation neurohormonale vasoconstrictrice, qui peut entraîner une vasoconstriction coronarienne dans les segments coronariens malades. La fonction endothéliale anormale qui en résulte entraîne une diminution du débit coronarien et augmente également les résistances systémiques et la post-charge, modifiant ainsi défavorablement le rapport entre l'offre et la demande d'oxygène du myocarde. Ce mécanisme anti-ischémique pourrait devenir opérationnel et cliniquement important pendant un traitement oral de longue durée par un IEC lorsque la fonction endothéliale s'améliore, et pourrait ensuite protéger contre l'effet vasoconstricteur de l'activation neurohormonale.
Enfin, Philippe van de Borne s'est intéressé aux bénéfices des IEC et ARAII dans le traitement de la cardiopathie ischémique. Plus de 90 000 patients ayant présenté un infarctus myocardique ont participé à des études où ont été administrés des IEC vs. placébo. Trois études ont débuté ce traitement par IEC vs. placébo plus de 24 heures après le début des symptômes, l'étude SAVE (captopril), l'étude AIRE (ramipril) et l'étude TRACE (trandolapril). La mise en commun de ces résultats montre que les IECs réduisent la mortalité de 26 % sur une période de six mois5. Il faut toutefois se souvenir que ces études ont été réalisées il y a de nombreuses années, que ces patients présentaient surtout de des infarctus avec élévation du segment ST, qu'il y a peu de données chez des patients avec des infarctus sans élévation du segment ST, que la majorité de ces patients n'ont pas eu de dilatation coronaire percutanée, et qu'un grand nombre de patients n'ont pas été reperfusés. L'étude EUROPA réalisée avec le perindopril6 a inclus des patients avec une pathologie coronaire avérée. 92 % des patients recevaient un antiplaquettaire, 62 % un béta-bloquant et 58 %un traitement hypolipidémiant. Dans cette étude versus placébo, la réduction relative de l'évènement composite constitué du décès cardiovasculaire, d'infarctus du myocarde, de mort subite réanimée avait diminué de 24 %. Par la suite sont apparues des études qui ont investigué l'effet des ARAII chez des patients présentant une maladie coronaire avec comme comparateur les IECs. Deux études doivent être mentionnées ici. L'étude OPTIMAL n'a comparé que 50 mg de losartan à 3x50 mg/j de captopril7 et a montré que la mortalité totale était non significativement augmentée dans le groupe losartan par rapport au captopril (risque relatif 1,13, p = 0,07). L'étude VALIANT a notamment comparé du valsartan (dose maximale 2x160 mg/j) à du captopril (dose maximale 3x50 mg/j), avec une évolution comparable entre ces deux groupes au cours du temps (ainsi par exemple, risque relatif de décès cardiovasculaire était de 0,98 valsartan vs. captopril)8. Les investigateurs de cette étude avaient sans doute redouté que la valsartan soit également numériquement inférieur au captopril dans cette étude comme dans l'étude OPTIMAL, anticipant de devoir peut-être réaliser des études statistiques de 'non-infériorité'. Philippe van de Borne a au passage rappelé que les études de non-infériorité doivent être interprétées avec beaucoup de précaution9. Si l'adhérence thérapeutique est faible dans une étude (ce qui n'a pas été observé dans l'étude VALIANT), la probabilité d'une non-infériorité entre les comparateurs s'en trouve bien évidemment augmentée. De plus, dans les analyses de non-infériorité, les comparaisons selon 'l'intention de traitement' et selon 'le protocole' doivent donner des résultats identiques (car le fait que les patients quittent un bras thérapeutique pour un autre réduit les différences entre les groupes), ce qui était bien le cas dansf l'étude VALIANT. Important à citer également, sont les études effectués sur le terrain, dans la 'vraie vie'. A ce sujet, seule une étude a pu être mentionné, par manque de temps. Il s'agissait d'une étude rétrospective Canadienne où plus de 18 000 patients coronariens âgés de plus de 65 ans ont reçu le même IEC durant une année10. Dans cette étude, le perindopril a eu un effet identique à la molécule de référence qui était le ramipril sur la survie, et elle évoluait plus favorablement qu'avec les autres IEC (lisinopril, enalapril, quinapril, fosinopril, captopril). Enfin, il a terminé son exposé en rappelant que les recommandations des sociétés savantes spécifient qu'il ne faut en aucun cas arrêter les médicaments qui bloquent les système rénine angiotensine dans le contexte pandémique actuel (figure 3).
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