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La cardiologie en 2021 : une année placée sous le signe de l'espoir d'une amélioration et la perspective d'une nouvelle normalité
  • Guy Van Camp
Retour sur les derniers développements dans le traitement de l'insuffisance tricuspidienne - et clin d'oeil au ministre Vandenbroucke

Être optimiste est un devoir moral. Cette citation n'a jamais été aussi pertinente qu'aujourd'hui. J'en suis personnellement un grand adepte. Ses détracteurs en soulignent le danger de sous-estimer les problèmes existants, mais cela me semble totalement déplacé en ce moment. Partout dans le monde, nous sommes contraints de regarder en face une réalité qui n'a rien de réjouissant. Qu'il s'agisse des problèmes d'intolérance, des menaces qui pèsent sur notre démocratie occidentale, des fake news, des dangers pour le climat et la biodiversité, des problèmes de pénurie d'eau et d'énergie, des décisions de certains dirigeants de grandes nations ou - permettez- moi d'en parler pour la première et dernière fois de cet édito - du COVID-19, nous nous retrouvons systématiquement confrontés à un monde bien sombre. Cette impression est par ailleurs largement alimentée par les journalistes, qui trouvent bien plus important - par pur opportunisme - de monter en épingle les drames spectaculaires plutôt que de relater les événements 'banals', ordinaires, drôles, tendres, heureux ou chaleureux qui dénotent d'un altruisme humain patent. Or, ce sont ces événements qui procurent de l'énergie positive aux gens et qui permettent à bon nombre d'entre eux de garder la tête hors de l'eau et de continuer à donner le meilleur d'eux-mêmes. Donc, oui, habillons-nous d'optimisme pour affronter chaque nouvelle journée, avec le sourire, l'arme parfaite contre les corvées du quotidien ou les problèmes plus importants que nous pouvons rencontrer.

C'est dès lors avec un certain optimisme que j'envisage 2021. Cette année sera celle du chemin de la victoire sur la pandémie (je refuse toujours de le citer nommément), grâce au testing et au tracing dont on parle tant, mais surtout grâce à la vaccination. Voilà qui nous permettra, à nous professionnels de la santé, de nous sentir à nouveau en sécurité dans l'exécution de nos tâches journalières. Avec un peu de chance, la majorité des Belges auront reçu leur injection d'ici la période des grandes vacances, et nous pourrons lentement entrer dans la nouvelle normalité, où les voyages, les restaurants, les cafés, les événements culturels et bien d'autres interdits actuels nous seront à nouveau ouverts. Quelle nouvelle fantastique !

C'est avec le même optimisme que je prévois, pour 2021, l'évolution de la cardiologie sur sa lancée. Il est impossible de résumer les évolutions à escompter dans les différents domaines de la cardiologie, mais l'évolution enregistrée ces dernières années dans le domaine des cardiopathies structurelles est tout simplement spectaculaire. La procédure TAVI en est l'exemple même. À ce jour, plus personne ne doute que la TAVI soit effectivement devenue la stratégie préférentielle pour le traitement de la sténose aortique pour la majorité de nos patients. La fermeture percutanée de l'appendice auriculaire gauche est aujourd'hui une thérapie reconnue pour les patients souffrant de fibrillation auriculaire chez qui l'anticoagulation est contre-indiquée. Le MitraClip a fait sa grande entrée dans le traitement percutané de l'insuffisance mitrale lorsque la réparation chirurgicale ou la valvuloplastie n'est pas une bonne solution ou est assortie d'un risque trop élevé. Nous attendons impatiemment les prochains développements, où la valvuloplastie mitrale percutanée deviendra peu à peu la procédure consacrée. Bien que d'aucuns restent convaincus que ce processus se déroulera moins facilement que pour la TAVI, les techniques continuent là aussi à évoluer. La « valve oubliée », la valve tricuspide, occupe de plus en plus le devant de la scène. Cette édition propose le compte-rendu de Thomas De Beenhouwer et Bernard Cosyns sur l'étude TRILUMINATE, encore une raison de s'attarder sur le problème de l'insuffisance tricuspidienne (IT).

Nous pouvons classer l'IT en différents types morphologiques en fonction du mécanisme sous-jacent : IT primitive, secondaire et isolée.1 L'IT primitive est due à une anomalie anatomique inhérente de l'appareil valvulaire tricuspide. Celle-ci peut être d'origine congénitale, comme dans la maladie d'Ebstein, ou acquise comme dans certaines tumeurs (syndrome carcinoïde) ou valvulopathies médicamenteuses, iatrogène comme après une biopsie endomyocardique droite, une maladie systémique, une radiothérapie, un rhumatisme articulaire aigu ou une endocardite, un trauma ou une implantation d'électrodes de stimulateur ou de défibrillateur. Parmi les patients ne présentant pas d'IT avant l'implantation, 38 % des patients présenteront ainsi une IT significative entre 12 et 18 mois après l'implantation des électrodes.2 L'IT secondaire est due à une dilatation de l'anneau valvulaire tricuspide liée à une dilatation du ventricule droit (VD) avec tethering de la valve tricuspide et apparition d'un défaut de coaptation. C'est ce que nous observons le plus souvent chez les patients qui sont également atteints d'une pathologie du coeur gauche (insuffisance aortique et/ou mitrale et atteinte myocardique gauche), souvent associée à une élévation de la pression de l'oreillette gauche, de la pression pulmonaire et de la postcharge du VD. Une idée fausse, qui a la vie dure, veut que ce type d'IT diminuerait, voire disparaîtrait, après le remplacement ou la réparation de la valve mitrale. L'inverse est souvent vrai. Même si cette IT coïncide avec une atteinte myocardique gauche, l'association d'un traitement médical optimal et d'une resynchronisation chez les patients en insuffisance cardiaque aiguë et chronique n'empêchera pas la progression vers cette IT secondaire. Ce même groupe d'IT secondaire comprend les patients présentant une hypertension pulmonaire sans pathologie du coeur gauche, comme en cas d'hypertension pulmonaire primitive, de pneumopathie chronique et d'embolie pulmonaire. Chez ces patients, la postcharge pulmonaire est augmentée et le VD est dilaté, au même titre que l'anneau valvulaire tricuspide. Mais, même sans hypertension pulmonaire, les affections du VD telles que l'infarctus du VD ou la dysplasie/cardiomyopathie arythmogène du VD peuvent conduire à une IT secondaire par déplacement apical des muscles papillaires et tethering accru des feuillets valvulaires. L'IT isolée peut toucher des patients sans hypertension pulmonaire, va de pair avec une dilatation de l'anneau valvulaire tricuspide avec malcoaptation des feuillets valvulaires, est souvent associée à une fibrillation auriculaire et se retrouve plus fréquemment dans la population âgée.

L'échocardiographie transthoracique et transoesophagienne joue un rôle crucial dans l'esquisse de l'anatomie précise de la valve tricuspide, ainsi que dans la définition des caractéristiques fonctionnelles de l'IT : pathologie tant des feuillets valvulaires que de l'appareil sous-valvulaires, dilatation annulaire, tethering des feuillets valvulaires, remodelage du VD et de l'OD... tous ces points doivent être éclaircis. La TDM est certainement appelée à jouer un rôle plus important, à l'avenir, dans la détermination des caractéristiques anatomiques et fonctionnelles de l'anneau tricuspide, surtout lorsque les procédures de valvuloplastie tricuspide percutanée seront plus fréquentes. Enfin, l'IRM joue un rôle très important dans la détermination quantitative des volumes et de la fonction du VD.

Un autre sujet important, quand on parle d'IT, est la quantification. Si la sévérité de l'IT est, initialement et selon les recommandations actuelles, définie comme étant légère, modérée ou sévère, les arguments s'accumulent progressivement en faveur d'une quantification plus précise et d'une classification de l'IT sévère en trois catégories, à savoir : sévère, massive et torrentielle. Santoro et al. ont démontré une mortalité considérablement plus élevée pour l'IT massive et torrentielle, par rapport à l'IT sévère.3 (Tableau 1)

Voilà qui nous mène naturellement aux implications pronostiques des différents types d'IT. L'impact majeur de l'IT sur la survie est un fait connu de longue date.4 Les patients avec IT sévère avaient une survie moins bonne que les patients avec IT légère ou modérée (63,9 % vs 91,7 % sans IT, 90,3 % avec IT légère et 78,9 % avec IT modérée), et ce pour une période de suivi très courte de 1,4 ± 1,1 an(s). La littérature plus récente reproduit des données plus précises. Dans l'IT primitive, nous trouvons des données plus récentes pour les éversions du bord libre des feuillets tricuspides (flail leaflets) et les électrodes de dispositifs.2,5 Dans les deux cas, l'IT entraîne une importante hausse de la mortalité. Dans l'IT secondaire, nous pouvons toujours retrouver les mêmes résultats, qu'il s'agisse de patients avec insuffisance cardiaque et hypertension pulmonaire secondaire ou de patients avec insuffisance aortique ou mitrale, l'IT représente toujours un facteur pronostique très important de l'évolution naturelle de la maladie ou après le traitement (traitement médical en cas d'insuffisance cardiaque, valvuloplastie en cas d'insuffisance valvulaire).6-9 Dans l'IT isolée, Topolsky et al. ont démontré que, dans cette population également, sans autre valvulopathie ou insuffisance cardiaque gauche associée, sans hypertension pulmonaire et sans comorbidités majeures, l'IT conduit à elle seule à une mortalité élevée, 23 % des patients étant décédés après 5,8 ± 3,2 ans.10 Les auteurs ont par ailleurs démontré que le pronostic était plus mauvais chez les patients avec IT sévère que chez ceux avec IT légère ou modérée.

S'il est une question qui n'a pas encore trouvé réponse dans l'IT, c'est le traitement. Ce que nous savons, en revanche, c'est que la mortalité est colossale pour la chirurgie de l'IT isolée : le taux de mortalité chirurgicale tourne autour des 10 % et la morbidité est élevée.11 Il pourrait donc être important de détecter rapidement les patients et de les orienter en temps opportun pour définir un traitement, avant qu'ils ne se retrouvent dans cette situation préopératoire précaire. Un traitement percutané, moins invasif, pourrait être une autre solution. Les recommandations actuelles déterminent la prise en charge thérapeutique dans l'IT primitive, préconisant une réparation de la valve tricuspide sur la base de la sévérité de l'IT, du statut symptomatique et de l'incidence sur le VD.12 Dans l'IT secondaire, la réparation valvulaire est recommandée en stratégie libérale chez les patients qui subissent une intervention au niveau de la valve mitrale et qui présentent une IT sévère, mais aussi en cas d'IT légère à modérée lorsque l'anneau tricuspide est élargi (> 40 mm), ce parce qu'une annuloplastie tricuspide en soi n'induit pas une augmentation significative de la mortalité de l'intervention planifiée sur la valve mitrale. Si l'IT apparaît après une intervention antérieure sur la valve mitrale, les recommandations conseillent d'intervenir plus tôt en cas d'IT sévère, y compris chez les patients asymptomatiques, lorsqu'il y a des signes de dilatation progressive du VD ou de diminution de la fonction du VD.12 Cela implique la nécessité d'un suivi optimal par imagerie dans le cadre d'une stratégie d'observation vigilante (watchful waiting). Les recommandations admettent que leurs conseils pour le traitement de l'IT reposent en grande partie sur l'opinion d'experts et sont très peu étayés scientifiquement, compte tenu de la rareté et de l'hétérogénéité des données.

Que nous réserve l'avenir en matière de traitement de l'IT ? Stratégies de traitement : les recommandations actuelles ne font pas encore mention des interventions percutanées, qui n'en étaient alors encore qu'à leurs premiers balbutiements. Aujourd'hui, ces techniques explosent littéralement. L'étude TRILUMINATE, utilisant le TriClip, en est un exemple. Pour les résultats détaillés de cette étude, je vous renvoie au compte-rendu circonstancié qui en est fait dans cette édition du JdC.

Étant donné qu'il a déjà été démontré que la méthode de quantification, avec l'introduction de l'IT massive et torrentielle, était bel et bien à même de dégager les avantages sur la qualité de vie après une réparation percutanée de l'IT, il semble logique d'utiliser cette quantification étendue dans notre écho-pratique quotidienne lorsque nous suivons des patients IT.13 L'échocardiographie en 2D s'est révélée insuffisante pour l'évaluation et le suivi de la fonction systolique du VD et des dimensions du VD. Tant l'échocardiographie en 3D que l'IRM y jouent un rôle important. L'échocardiographie 2D-strain peut peut-être aussi jouer un rôle dans le suivi de la fonction du VD, mais il nous manque encore les résultats concernant la mortalité et la morbidité.

L'ETO est cruciale pendant le traitement percutané de l'IT. L'échographiste doit certes acquérir une certaine dextérité, car la visualisation obstinément optimale et complète de cette valve est d'une nécessité absolue pendant une ETO. La coupe mid-oesophagienne bicave, mais plus encore la coupe bas-oesophagienne et l'imagerie transgastrique, avec visualisation tant 2D qu'en plan X et 3D, tant en mode B/W qu'en mode Doppler couleur, sont cruciales.

Il reste encore un long chemin à parcourir, durant lequel nous devrons évaluer, pour chaque type d'IT, l'effet des différentes possibilités thérapeutiques 'actuelles' dans le cadre d'études multicentriques prospectives, et de préférence randomisées, afin de vérifier si les thérapies percutanées peuvent effectivement conduire à de meilleurs résultats. Les paramètres tels que la qualité de vie, qui sont actuellement disponibles au départ des essais menés avec les interventions percutanées, sont naturellement intéressants. Mais la véritable percée de ces nouvelles techniques n'aura lieu qu'une fois que des critères d'évaluation robustes, et donc la mortalité et le taux de réhospitalisation, seront influencés positivement par les interventions et qu'un rapport coût/ efficacité positif pourra également en être dégagé.

Je conclurai par mes voeux optimistes pour la nouvelle année 2021 : Je souhaite, en particulier aux personnes qui travaillent dans le secteur des soins, de retrouver un sentiment de sécurité dans l'exercice de leurs activités quotidiennes et, pour nous, cardiologues, la possibilité de proposer à nouveau des soins cardiologiques de qualité à nos patients. Je remercie chaleureusement tous ceux qui se sont battus sur le front avec acharnement en vue d'endiguer la pandémie, et en particulier le personnel infirmier.

Je souhaite au cardiologue belge un sage ministre Vandenbroucke, qui investira intelligemment dans les nouveaux développements en cardiologie, tels que les valvuloplasties percutanées, afin que notre pays ne poursuive pas sa descente parmi les pays en développement en ce qui concerne les soins aux patients victimes d'un problème valvulaire. Nous nous remémorons avec nostalgie le temps où, en Belgique, nous pouvions faire la différence dans le développement de nouvelles techniques pour le traitement des coronaropathies, ce qui nous permet aujourd'hui encore de tirer notre épingle du jeu. Nous accusons désormais un énorme retard par rapport à d'autres pays européens dans le domaine du traitement des valvulopathies. Faisons preuve de positivité afin de convaincre le ministre Vandenbroucke d'investir dans les cardiopathies structurelles. Si, d'une part, la Belgique veut avoir son mot à dire, au niveau mondial, dans le développement de ces techniques mais si, d'autre part, nous désirons aussi que nos cardiologues interventionnels puissent également implanter ces valves percutanées avec toute la maîtrise nécessaire chez nos patients, un ministre sage ne peut qu'accéder à cette demande. Si la pandémie nous a appris quelque chose de positif, c'est que seuls les travaux de recherche et de développement peuvent opposer une solution aux importants problèmes sanitaires. Il est de notre ressort de convaincre le ministre que les cardiopathies, telles que les valvulopathies, ont un impact comparable à celui des affections oncologiques sur la survie des patients belges. Il y a bien longtemps que la cardiologie n'intéresse plus l'opinion publique, pas plus que les autorités politiques, ce qui hélas va souvent de pair. Il y a longtemps que nous avons laissé passer ce train médiatique, et que nous avons été pris de vitesse par l'oncologie. Il faut que cela change ! Le défi est énorme pour chacun d'entre nous, et plus particulièrement pour les cardiologues actifs au sein des universités, du BSC et de la LCB, des syndicats... Nous poursuivons tous un objectif commun : donner un coup de projecteur sur la cardiologie. Ministre Vandenbroucke : les maladies cardiovasculaires restent la première cause de décès en Belgique et nous ne faisons effectivement plus partie, depuis longtemps, des premières nations du monde en ce qui concerne le développement et le traitement optimal des cardiopathies. Pour reprendre les propos de Francesco Maisano, un expert en la matière : « Let the innovator explore the new pathways, let the out-of-the-box thinking inspire our field, while rigorously controlling outcomes to preserve patient safety and guide future indications ». Donnez à nouveau l'opportunité au cardiologue belge d'innover, d'explorer et de sortir des sentiers battus.

Vous ne m'en voudrez pas d'ajouter un voeu plus personnel, mais je souhaite aussi que nous parvenions à évoluer, cette année, vers une structure hospitalière unique à Alost. Les cardiologues des deux hôpitaux, à l'instar de tous les autres médecins des deux hôpitaux, en sont convaincus depuis bien longtemps et nous sommes prêts à y unir toutes nos forces. Quelle que soit la forme intermédiaire, la fusion des deux hôpitaux est essentielle.

Pour terminer, je vous souhaite, à vous chers lecteurs, une saine année 2021, remplie de rire, de plaisir et de chaleur humaine. Une année pleine de contacts sociaux dès que cela sera possible, sans danger et conforme aux instructions de nos sages dirigeants.

Références

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