Ces dernières semaines, le COVID-19 a dominé la littérature médicale. Ma première idée pour cet éditorial était donc de donner un aperçu des 'dommages collatéraux' engendrés par cette pandémie chez les patients cardiaques, car ils sont incontestables: les patients souffrant d'affections cardiaques aiguës n'osent pas venir aux urgences, même en cas de signes alarmants, et les consultations des patients chroniques ont été annulées, puisque seules les consultations 'urgentes et nécessaires' pouvaient être effectuées, quoi que ces termes signifient. En effet, les autorités avaient omis de les définir. L'INAMI, pour sa part, n'a rien trouvé de mieux que d'envoyer des courriers menaçants aux hôpitaux, pour vérifier s'ils s'en tenaient bien aux strictes interventions urgentes et nécessaires. Ces hôpitaux, déjà submergés par la transformation des unités normales en unités COVID, doivent en plus trouver du temps pour se conformer aux obligations administratives de l'INAMI. Les autorités leur ont en outre demandé de redémarrer progressivement des consultations normales. Alors que les hôpitaux ont tenté, avec succès, de s'organiser pour accueillir les patients atteints du COVID-19 dans leurs infrastructures; alors que nous, médecins et paramédicaux, risquons notre vie jour après jour pour prodiguer les meilleurs soins à ces patients, l'INAMI nous pointe encore une fois du doigt: était-ce vraiment nécessaire?
Heureusement, les cardiologues ont pu trouver une véritable littérature professionnelle dans les numéros d'avril du England Journal of Medicine. Les résultats des études ISCHEMIA ont été publiés dans plusieurs articles au cours du mois d'avril1-4.
Les résultats de ces études étaient attendus depuis longtemps. Ils devaient nous révéler si nous devions donner le meilleur traitement médical optimal aux patients souffrant de problèmes coronariens chroniques stables avec angor, ou plutôt préférer un traitement médical optimal avec évaluation angiographique et revascularisation. Je laisse au lecteur le soin de déterminer si ces études ont répondu à toutes nos questions. Passons brièvement ces études ISCHEMIA en revue. Notons également qu'elles méritent d'être lues dans leur intégralité, suppléments compris.
Considérations générales
Dans l'étude ISCHEMIA, 5 179 patients ont été randomisés, tandis que 777 autres patients atteints d'une néphropathie chronique sévère ont été randomisés dans une étude ISCHEMIA-CKD distincte. Dans l'étude ISCHEMIA, 96 % des patients du bras 'stratégie invasive' ont subi une angiographie coronaire, contre 26 % dans le bras 'stratégie conservatrice' (en raison d'un événement ischémique ou d'angor non contrôlé). Dans l'étude ISCHEMIA-CKD, ces chiffres atteignaient respectivement 85 % et 32 %. Dans les deux études, la puissance statistique était plus faible que prévu, en raison de la lenteur de l'inclusion et de faibles incidences d'événements, ce qui a conduit à la modification de la taille de l'échantillon et du critère d'évaluation primaire au cours de l'étude.
Résultats
Aucune différence significative entre les deux stratégies n'a été observée en ce qui concerne les décès dus à des complications cardiovasculaires, les infarctus du myocarde, les hospitalisations pour angor instable, l'insuffisance cardiaque ou la réanimation pour mort subite (critères d'évaluation primaire dans l'étude ISCHEMIA), ni en ce qui concerne les décès 'toutes causes' ou les infarctus du myocarde (critères d'évaluation primaire dans l'étude ISCHEMIA-CKD). Toutefois, il est intéressant de noter que, dans l'étude ISCHEMIA, l'incidence de décès 'toutes causes' était faible, à savoir 6,4 % après 4 ans, et ce dans les deux groupes. Ces chiffres sont évidemment plus élevés dans l'étude ISCHEMIA-CKD, en l'occurrence 27 % après trois ans, sans différence entre les deux groupes. En ce qui concerne les critères d'évaluation concrets, nous pouvons donc conclure que les deux stratégies donnent un résultat identique. Dans l'étude ISCHEMIA, la stratégie invasive a toutefois conduit à une diminution significative des infarctus (spontanés) tardifs (contrairement aux incidences de libération de troponine périprocédurale, qui étaient évidemment plus fréquentes dans le bras invasif), et à une meilleure qualité de vie et une quantité moindre de problèmes angoreux par rapport au bras conservateur, surtout lorsque les plaintes d'angor étaient fréquentes et plus sévères au moment de l'inclusion dans l'étude. Chez les patients qui souffraient d'angor au moins une fois par semaine, le nombre de sujets à traiter (NTT) pour voir disparaître l'angor semblait être de 3. Dans l'étude ISCHEMIA-CKD, il n'y avait pas de différences entre les deux types de stratégies, concernant le contrôle des plaintes angoreuses.
Discussions
Il est possible que le bras 'stratégie invasive' n'ait pas pu démontrer de supériorité sur le plan des critères d'évaluation concrets en raison de la sélection: dans les pays où le seuil de revascularisation est bas, les patients plus symptomatiques auraient pu être refusés de l'étude, ce qui pourrait expliquer pourquoi un risque d'événements aussi faible a été observé dans cette étude. En outre, les graphiques Kaplan-Meier montrent une incidence plus élevée d'infarctus du myocarde au cours des six premiers mois après la revascularisation (libération de troponine), mais les courbes se croisent et, après quatre ans, on notait une incidence plus élevée d'infarctus du myocarde (non liés à la procédure) dans le bras conservateur. Sachant qu'une libération de troponine après une PCI est associée à un meilleur pronostic, comparée à un syndrome coronarien aigu spontané, il sera d'autant plus important de continuer à suivre ces patients, pour évaluer si le bénéfice de la stratégie invasive se confirme dans le temps.
Ce que l'étude ISCHEMIA montre certainement, c'est que si le patient répond aux critères d'inclusion de l'étude, si les facteurs de risque sont aussi bien traités que dans l'étude ISCHEMIA (très bonne mise en oeuvre des médicaments EB et taux de réussite élevé concernant l'atteinte des valeurs cibles pour la TA, le contrôle lipidique et l'HbA1c), une stratégie invasive présentera peu d'avantages (voire aucun) sur le plan de la réalisation des critères d'évaluation concrets (mais ne les influencera pas négativement). Elle permettra toutefois de mieux contrôler les plaintes d'angor sévère. L'étude ISCHEMIA-CKD a également démontré qu'une stratégie invasive n'avait pas de valeur ajoutée, comparée à une stratégie conservatrice.
Limitations
Reste à savoir si cela répond à toutes les questions (à savoir si nous devons avoir recours à la stratégie conservatrice ou à une stratégie invasive dès que les tests de stress non invasifs ont révélé une ischémie modérée à sévère).
Les résultats d'ISCHEMIA donnent uniquement un aperçu au sujet d'une population limitée de patients souffrant de syndromes coronariens chroniques: les patients présentant des plaintes d'angor légères à modérées et un risque faible. Dans cette population, il est bien sûr difficile de démontrer l'avantage d'une stratégie invasive par rapport à un traitement conservateur. Les patients qui n'ont pas été évalués dans cette étude étaient des patients présentant des syndromes coronariens aigus, ayant une FEVG < 35 %, une insuffisance cardiaque de classe III-IV, une maladie du tronc commun, un angor réfractaire sous traitement médical et les patients qui ont été récusés de l'étude par les chercheurs (chez qui on suspectait donc qu'une stratégie invasive donnerait de meilleurs résultats).
La stratégie d'inclusion ne correspond pas à la pratique quotidienne: on a utilisé les CT scan coronaires, conjointement aux plaintes d'angor cliniques et à la démonstration d'une ischémie par tests de stress non invasifs avant de randomiser les patients. Les CT scan coronaires ont été utilisés pour exclure les patients ayant une maladie du tronc commun (9 %) et les patients sans maladie coronarienne obstructive (20 %), avant la randomisation. Par conséquent, si l'on souhaite utiliser les données d'ISCHEMIA pour proposer une stratégie conservatrice pour le patient, il faudra non seulement utiliser des tests de stress non invasifs, mais avant tout un CT scan pour exclure une maladie du tronc commun et confirmer l'absence de maladie coronarienne obstructive: ce n'est pas la procédure standard dans la plupart des centres du monde.
Au cours de l'étude, des ECG à l'effort ont également été acceptés pour détecter une ischémie modérée et sévère. Alors que la référence en vigueur pour l'ischémie est la FFR, l'utilisation d'un ECG à l'effort pour évaluer l'ischémie et sa gravité est pour le moins intrigante.
Bon nombre de cardiologues interventionnels s'indigneront du fait que la FFR n'a été évaluée que dans 20,3 % (481/2372) des revascularisations. Parfois, le résultat du test de stress non invasif a été utilisé pour déterminer s'il fallait ou non mesurer la FFR. Il est clair qu'en ces temps modernes où l'on recourt aux cathétérismes, cela revient à une sous-utilisation de la FFR.
Conclusion
En toute humilité, et avec le plus grand respect pour ces études ISCHEMIA, publiées dans le périodique médical le plus réputé, je pense que ces publications démontrent que, chez un patient recevant un traitement médical optimal, et présentant un angor à l'effort stable, léger à modéré, répondant aux critères d'inclusion et à l'arbre décisionnel diagnostique utilisé (CT scan coronaire + test de stress non invasif), une approche conservatrice se justifie si les plaintes d'angor ne sont pas trop sévères. Une stratégie invasive dans ce groupe à faible risque n'entraîne pas une mortalité plus élevée, mais bien un meilleur contrôle des symptômes. Il existe également des données probantes indiquant qu'une stratégie de revascularisation reposant sur la démonstration d'une ischémie à l'aide de la FFR dans ce groupe de patients atteints de syndromes coronariens chroniques se justifie certainement5. Étant donné qu'il est actuellement possible de mesurer la FFR de manière non invasive via un CT scan, j'attends avec impatience les publications dans lesquelles la FFR-CT sera utilisée pour décider de revasculariser ou non, et j'attends aussi de voir si cette revascularisation s'avèrera être une meilleure stratégie que le traitement médical optimal. Le grand groupe de patients présentant une ischémie clairement démontrable, mais sans maladie coronarienne épicardique, attire également l'attention. Dans cette population de patients, une étude plus poussée de la microcirculation sera cruciale, afin de tendre également à un traitement optimal pour ces derniers.
Références
- Maron, D.J. et al. Initial invasive or conservative strategy for stable coronary disease. N Engl J Med, 2020, 382 (15), 1395-1407.
- Spertus, J.A. et al. Health-status outcomes with invasive or conservative care in coronary disease. N Engl J Med, 2020, 382 (15), 1408-1419.
- Antman, E.M., Braunwald, E. Managing stable ischemic heart disease. N Engl J Med, 2020, 382 (15), 1468-1470.
- Bangalore, S. et al. Management of Coronary Disease in Patients with Advanced Kidney Disease. N Engl J Med, 2020, 382 (17), 1608-1618.
- Xaplanteris et al. Five-year outcomes with PCI guided by Fractional Flow Reserve. N Engl J Med, 2018, 379: 250-259.
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