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Réflexions en marge du congrès ESC 2019
  • Christiaan Vrints

La quête infructueuse d'un traitement de l'HFpEF… Est-il temps d'instaurer une sous-spécialité en cardiologie préventive ?

Ce numéro du Journal de Cardiologie présente les comptes rendus du congrès annuel de la Société Européenne de Cardiologie (ESC) à Paris. Depuis plusieurs années, le congrès de l'ESC est le congrès cardiologique le plus important, et il attire un public mondial. Cette année, son éminence a encore été renforcée par la collaboration avec la World Heart Federation, qui en a officiellement fait un véritable congrès mondial, avec 33 522 participants issus de 151 pays. Plus de 600 sessions ont eu lieu, et lors des 6 sessions Hot Line, 28 études cliniques ont été présentées pour la première fois. Pendant le congrès, l'on a compté 54 publications simultanées dans les principales revues de cardiologie. Cinq nouvelles recommandations de l'ESC ont été présentées au sujet du diagnostic et du traitement de l'embolie pulmonaire aiguë, du diabète et du prédiabète en cas de maladies cardiovasculaires, des tachycardies supraventriculaires, des maladies coronariennes chroniques et de la dyslipidémie.

Traditionnellement, le numéro de novembre du Journal de Cardiologie est consacré au congrès européen. Compte tenu de l'ampleur des sessions, seuls les principaux temps forts peuvent être exposés. Ce numéro a pu voir le jour grâce à l'aide de nombreux collègues qui ont rédigé un compte rendu des sessions auxquelles ils ont assisté, bénévolement. La rédaction les remercie chaleureusement pour leur application.

La troisième édition de l'ESC Textbook of Cardiovascular Medicine a également été présentée lors du congrès de l'ESC, tout comme la nouvelle plateforme en ligne ESC Cardiomed, qui va au-delà de la version en ligne du manuel imprimé. Alors que l'ESC Textbook est devenu si volumineux qu'il ne peut plus réellement être considéré comme un 'manuel' à prendre en main, l'ESC Cardiomed est un environnement d'apprentissage en ligne, dynamique et encyclopédique, ainsi qu'un ouvrage de référence qui sera continuellement adapté et complété. Richement illustré à l'aide de multimédias et d'hyperliens vers les toutes dernières recommandations de l'ESC et les publications parues au sein de la grande famille des revues de l'ESC, l'ESC Cardiomed constituera la principale source d'information pour tout clinicien confronté aux maladies cardiovasculaires.

La Société Européenne de Cardiologie, qui existe entre-temps depuis 79 ans, et dont le Belge Henri Denolin a été l'un des premiers présidents, est devenue l'une des associations scientifiques les plus importantes dans le domaine des maladies cardiovasculaires, au même titre que l'American Heart Association et l'American College of Cardiology et même plus importante encore, à certains égards. Bien que l'intégrité scientifique de la Société Européenne de Cardiologie soit incontestable à l'échelle internationale, certaines de ses recommandations relatives à la pratique médicale sont examinées au niveau national, via une nouvelle analyse de la littérature, effectuée par des experts du Centre fédéral d'Expertise des soins de santé ou de l'INAMI. La nouvelle analyse et la réécriture des recommandations internationales de l'ESC peuvent venir de questions concernant leur mise en pratique au niveau local, mais aussi de la perception que les membres des panels des recommandations de l'ESC sont trop liés à l'industrie pharmaceutique et à l'industrie des dispositifs médicaux. D'une part, nous devons admettre que le sponsoring industriel des études cliniques internationales et de l'organisation de réunions scientifiques exerce une influence sur l'élaboration des recommandations. D'autre part, c'est uniquement grâce à la collaboration entre les instances scientifiques et l'industrie que des progrès significatifs ont été enregistrés au niveau des résultats cliniques du traitement des maladies cardiovasculaires. L'exemple le plus frappant est celui du traitement des syndromes coronariens aigus. En l'espace de 25 ans, la mortalité à 1 an d'un syndrome cardiovasculaire aigu a diminué de 36 à 43 %, grâce à la large introduction et à l'optimisation des traitements antithrombotiques et des techniques de revascularisation, étayées par les résultats d'études cliniques à grande échelle, sponsorisées par l'industrie (figure 1)1. De nouvelles analyses nationales des recommandations de l'ESC peuvent être utiles pour évaluer la rentabilité, mais elles risquent de retarder la mise en oeuvre de thérapies innovantes. Un exemple éloquent est l'utilisation du TAVI: les différences nationales en Europe ne correspondent pas aux preuves scientifiques (figure 2)2 et reflètent plutôt la situation budgétaire du système national des soins de santé.

L'influence de l'industrie pharmaceutique sur les associations scientifiques cardiologiques va d'ailleurs probablement diminuer sensiblement à l'avenir. La mise au point de nouveaux médicaments de fond pour les maladies cardiovasculaires s'avère de plus en plus difficile, ce qui explique que de nombreuses firmes pharmaceutiques arrêtent ce développement. Un exemple concret est celui des nombreuses études cliniques négatives, portant sur des médicaments pour le traitement de l'insuffisance cardiaque à fraction d'éjection préservée. L'étude PARAGON HF3, présentée pour la première fois lors du congrès, a également montré qu'un traitement par sacubitril/ valsartan n'offre aucun avantage sur le plan du critère d'évaluation primaire (décès cardiovasculaire ou hospitalisation pour insuffisance cardiaque), comparativement à un traitement par valsartan. Bien que des études cliniques soient encore en cours, il semble peu probable que l'on puisse rapidement trouver un traitement médicamenteux efficace. De ce fait, une prise en charge préventive plus intense des facteurs de risque cardiaques et des comorbidités, qui sont le principal déclencheur de la pathogenèse de l'insuffisance cardiaque à fraction d'éjection préservée, sera la seule option possible.

Toujours dans le cadre du traitement des maladies vasculaires athéroscléreuses, le traitement médicamenteux se dirige progressivement vers un mur. Malgré un traitement médicamenteux optimal, dont l'utilité thérapeutique est prouvée par des études cliniques, la morbidité et la mortalité restent élevées. Dans ce groupe de patients également, la nécessité d'une prévention cardiovasculaire plus efficace se fait entendre. Dans le cadre de la prise en charge des maladies coronariennes chroniques stables, l'accent a été mis trop exclusivement sur la détection et le traitement des sténoses coronaires focales. Ce n'est pas la sévérité de la sténose coronaire, mais l'étendue et l'activité inflammatoire de l'athérosclérose coronaire et la présence d'une réponse prothrombogène à la rupture de plaque qui sont les principaux critères déterminants du pronostic à long terme des patients souffrant de maladies coronariennes chroniques stables (figure 3). Compte tenu de ces nouvelles perspectives et du vieillissement croissant de notre population, il semble nécessaire de revoir les modalités de remboursement dans le cadre de nos soins de santé, qui sont actuellement essentiellement favorables aux procédures de revascularisation coronaire (souvent inutiles et inefficaces ?), et de mettre en place des incitants financiers plus importants pour la prévention cardiovasculaire4.

Il est peut-être urgent de considérer le développement de la cardiologie préventive comme une nouvelle sous-spécialité distincte en cardiologie5. Compte tenu des besoins accrus en raison des changements épidémiologiques ; des nouvelles connaissances en génétique et en physiopathologie de l'athérosclérose coronaire et de l'insuffisance cardiaque ; des possibilités croissantes et du perfectionnement de l'imagerie cardiovasculaire préclinique ; et de l'introduction de nouveaux traitements de fond pour l'athérosclérose (inhibiteurs de la PCSK9) et pour les complications cardiovasculaires du diabète (inhibiteurs du SGLT2 et du GLP-1), il est temps de voir la cardiologie préventive comme une sous-spécialité.

D'un point de vue organisationnel, en Belgique, tout cardiologue peut acquérir une compétence supplémentaire en revalidation cardiaque, une reconnaissance qui est difficile à obtenir, car la commission d'agrément compétente - qui se compose principalement de physiothérapeutes - considère trop la revalidation cardiaque comme une activité inhérente à la cardiologie. La revalidation cardiaque devrait être débarrassée de sa sujétion administrative restrictive à la physiothérapie, et doit davantage être considérée comme une partie et une activité intégrées dans le cadre d'une sous-spécialité beaucoup plus large de la cardiologie préventive.

Références

  1. Szummer, K., Jernberg, T., Wallentin, L. From Early Pharmacology to Recent Pharmacology Interventions in Acute Coronary Syndromes. J Am Coll Cardiol, 2019, 74 (12), 1618-1636.
  2. Pilgrim, T., Windecker, S. Expansion of transcatheter aortic valve implantation: new indications and socio-economic considerations. Eur Heart J, 2018, 39 (28), 2643-2645.
  3. European Society of Cardiology. (2019, 1 september). PARAGON-HF misses endpoint in preserved heart failure, but benefit noted in some patients. Geraadpleegd van www. escardio.org/The-ESC/Press-Office/Pressreleases/ paragon-hf-misses-endpoint-inpreserved- heart-failure-but-benefitnoted- in-some-patients.
  4. Arbab-Zadeh, A., Fuster, V. From Detecting the Vulnerable Plaque to Managing the Vulnerable Patient. J Am Coll Cardiol, 2019, 74 (12), 1582-1593.
  5. Shapiro, M.D., Maron, D.J., Morris, P.B. et al. Preventive Cardiology as a Subspecialty of Cardiovascular Medicine. J Am Coll Cardiol, 2019, 74 (15), 1926-1942.

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