Le Professeur Hohnloser de l'université de Francfort a présenté les résultats de l'étude ELIMINATE-AF. Ces résultats ont également fait l'objet d'une publication récente dans le European Heart Journal.1
Informations générales
L'ablation par cathéter est une stratégie efficace et sûre de contrôle du rythme cardiaque chez les patients présentant une fibrillation auriculaire (FA) symptomatique; il s'agit de la technique d'ablation la plus pratiquée au niveau mondial. Cette procédure est associée à un statut prothrombotique transitoire, pouvant persister jusqu'à plusieurs mois après l'intervention, résultant de lésions de l'endothélium auriculaire gauche, de la ponction transseptale et de la diminution temporaire de la contractilité due à la sidération myocardique de l'oreillette gauche. Afin de réduire le plus possible le risque d'événements trombo-emboliques périopératoires, il est nécessaire d'administrer une anticoagulation systémique avant, pendant et après la procédure ; toutefois, ce traitement est naturellement associé à un risque d'effets secondaires hémorragiques.2 Outre l'administration d'héparine durant la procédure, on recommande généralement aussi la prise ininterrompue d'antagonistes de la vitamine K (AVK). Il a été prouvé dans le passé que cette stratégie comporte un risque hémorragique plus faible que le relai par héparines à bas poids moléculaire (HBPM).3 Les grands essais de référence évaluant le traitement oral anticoagulant à base de non-antagonistes de la vitamine K (NOAC) ont démontré que ces agents sont plus efficaces et possèdent un profil de sécurité comparable (dabigatran, rivaroxaban) ou meilleur (apixaban, édoxaban) à celui des AVK dans le traitement chronique de la FA.4 Les études RECIRCUIT-, VENTURE-AF-, AXAFA-AFNET 5 ont déjà montré que lors d'une ablation par cathéter pour une FA, la prise ininterrompue, durant la période périopératoire, de rivaroxaban, dabigatran et apixaban respectivement a été associée à un faible risque hémorragique comparable à celui observé avec les AVK.5-7
Méthodologie de l'étude
L'étude ELIMINATE-AF a examiné l'efficacité et la sécurité du quatrième NOAC disponible, à savoir l'édoxaban, par rapport à un AVK chez les patients subissant une ablation pour FA (avec radiofréquence ou cryothérapie). Il s'agit d'une étude multicentrique et randomisée, menée dans plusieurs pays d'Europe, d'Asie et du Canada pendant la période comprise entre mars 2017 et septembre 2018 (figure 1). Les patients ont été randomisés selon un rapport 2:1 pour être assignés au groupe édoxaban ou AVK. Les deux groupes de l'étude incluaient des patients présentant des caractéristiques comparables : âge moyen de 60 ans, environ 70 % d'hommes et environ la moitié des patients présentant un score CHA2DS2-VASc de 2 ou plus. Dans le groupe édoxaban, les patients ont reçu une dose quotidienne unique de 60 mg (ou 30 mg s'ils répondaient aux conditions pour une réduction posologique). Dans le groupe AVK, les patients ont reçu de la warfarine, de l'acénocoumarol ou du phenprocoumone selon la disponibilité dans le pays concerné. L'anticoagulation a été instaurée au plus tard 3 semaines avant l'ablation. Le délai maximal entre la dernière prise d'édoxaban avant l'ablation et la procédure d'ablation était de 18 heures et visait à garantir une inhibition suffisante du facteur X. La valeur INR cible dans le groupe AVK était comprise entre 2 et 3, une valeur atteinte dans 64,1 % du temps (nombre d'heures total). Durant l'intervention, de l'héparine IV a été administrée avec un temps de coagulation activée (ACT) cible de 300-400 secondes. Le traitement de l'étude a été repris au plus tard 6 heures après le retrait du cathéter, après l'obtention d'une hémostase suffisante. Les patients ont fait l'objet d'un suivi les jours 30, 60 et 90 suivant l'ablation.
Au total, 632 patients ont été enregistrés, dont 614 ont été randomisés (population en intention de traiter (ITT), et au final, 553 patients ont reçu le traitement de l'étude et ont subi une ablation par cathéter. La population selon le protocole était composée de 417 patients (316 dans le groupe édoxaban et 101 dans le groupe AVK), après exclusion des patients présentant une violation majeure du protocole (figure 2). Les principaux motifs de violation étaient : non-respect de la prise du traitement de l'étude, adaptation posologique incorrecte pour l'édoxaban, non-atteinte de l'INR de 2 3 au cours des 10 jours précédant l'ablation ou dernière prise d'édoxaban > 24 heures avant l'ablation.
Le critère d'efficacité principal était un critère combiné composé des éléments suivants : décès, AVC (ischémique, hémorragique ou non déterminé) ou hémorragie majeure (selon les critères de l'International Society of Thrombosis and Haemostasis) durant la période comprise entre la fin de l'ablation et la fin du traitement anticoagulant (90 jours). Le critère de sécurité principal était le temps avant survenue d'une hémorragie majeure (selon les critères de l'International Society of Thrombosis and Haemostasis) durant la période de prise du médicament de l'étude. L'étude ELIMINATE-AF était à visée purement exploratoire, la population de l'étude étant insuffisante pour pouvoir démontrer une non-infériorité formelle par rapport à l'AVK.
Résultats
Dans l'analyse per protocole, le critère d'évaluation principal durant la période de péri- et de post-ablation s'élevait à 1,3 % (4 patients) dans le groupe édoxaban, contre 3 % (3 patients) dans le groupe AVK. Dans l'analyse en intention de traiter, ces pourcentages étaient de respectivement 2,7 % (10 patients) contre 1,7 (3 patients) (figure 3). Dans l'analyse en intention de traiter, l'incidence du critère de sécurité principal était de 2,5 % (10 patients) dans le groupe édoxaban (1 AVC hémorragique, 3 tamponnades cardiaques, 3 hémorragies au site de ponction, 2 hémorragies au niveau du système gastro-intestinal inférieur et 1 hémorragie menstruelle abondante), contre 1,5 % (3 patients) dans le groupe AVK (2 tamponnades cardiaques et 1 hémorragie au site de ponction) (figure 4). Aucune différence statistiquement significative n'a été observée en termes d'incidence des hémorragies majeures entre les deux groupes de traitement. De même, l'incidence des hémorragies dans le groupe édoxaban était comparable à celle des hémorragies sous dabigatran 150 mg 2x/j dans l'étude RE CIRCUIT (1,6 %) et sous apixaban 5 mg 2x/j dans l'étude AXAFA (3,1 %). A contrario, une différence importante a été observée en termes d'hémorragies dans les groupes AVK, avec 1,7 % dans l'étude ELIMINATE-AF, 4,4 % dans l'étude AXAFA et 6,9 % dans l'étude RE-CIRCUIT (figure 5). La majorité des hémorragies se sont produites durant l'intervention ou dans < 48 heures suivant l'intervention, ce qui permet de supposer que l'héparine administrée durant l'intervention a une responsabilité à cet égard. On remarque que l'utilisation d'héparine dans le groupe édoxaban était en moyenne 24 % plus élevée que dans le groupe AVK. Ceci peut expliquer en partie l'incidence plus élevée des hémorragies sous édoxaban dans cette indication.
Dans l'étude ELIMINATE-AF, seuls 2 patients (incidence 0,36 %) ont subi un AVC (1 hémorragique et 1 ischémique) ; ces deux patients étaient inclus dans le groupe édoxaban. De plus, le patient ayant subi un AVC ischémique s'était vu prescrire erronément une faible dose d'édoxaban (patients en surpoids avec clairance rénale supérieure à la normale). L'incidence d'AVC est comparable à celle observée dans les autres études de référence : 0,3 % dans l'étude AXAFA, 0,4 % dans l'étude VENTURE-AF et 0,2 % dans l'étude RE-CIRCUIT. Tout comme dans l'étude RE-CIRCUIT, aucun patient n'est décédé durant la période de l'étude. Les résultats des quatre grandes études de référence montrent que les événements thrombo-emboliques sont très rares dans cette indication.
Limitations
L'étude ELIMINATE-AF présente quelques limitations. Premièrement, tout comme les études de référence évaluant les 3 autres NOAC dans l'indication de l'ablation par cathéter pour FA, cette étude possède une puissance insuffisante pour démontrer formellement une non-infériorité par rapport à l'AVK. Pour posséder une puissance suffisante, l'étude aurait dû inclure au minimum 3 000 patients ; or, une étude d'une telle envergure est considérée comme étant hors de prix. Aucune des différences observées entre le groupe édoxaban et le groupe AVK n'était donc statistiquement significative. à l'instar des autres études menées avec des NOAC dans cette indication, il s'agit d'études dites « PROBE » (études prospectives, randomisées, en ouvert, avec groupes parallèles, avec une évaluation des critères de jugement en aveugle, sigle issu de l'anglais « prospective, randomized, open-label, parallel-group, blinded-endpoint evaluation »). Alors que les autres études reposaient sur une randomisation selon un schéma 1:1, l'étude ELIMINATE-AF a opté pour une randomisation 2:1 ; le nombre absolu de patients sous NOAC inclus dans cette étude était donc le plus élevé (n = 375) (figure 6). Deuxièmement, une proportion relativement élevée de patients a été exclue de l'analyse per protocole car ils présentaient des violations du protocole définies selon des critères stricts. Il en a résulté une exclusion relativement inégale des patients entre le groupe édoxaban et le groupe AVK. Troisièmement, les patients de l'étude étaient relativement jeunes et présentaient un risque faible à modéré d'AVC, alors que ce risque est naturellement plus élevé dans la pratique quotidienne. Enfin, un biais résiduel pourrait exister compte tenu du fait qu'il s'agit d'une étude non en aveugle.
Conclusions
Le principal enseignement de l'étude ELIMINATE- AF est que la prise ininterrompue d'édoxaban lors d'une ablation par cathéter pour une FA est une stratégie présentant une efficacité et une sécurité identiques à celles associées à la prise ininterrompue d'antagonistes de la vitamine K (AVK). L'édoxaban vient donc compléter la liste des 3 autres NOAC en tant qu'alternative aux AVK, tout au moins chez les patients relativement jeunes ayant un risque faible à modéré d'AVC, avec le grand avantage qu'aucune surveillance de l'INR n'est requise. Pour autant, compte tenu du manque de données probantes disponibles à ce jour, il n'est pas conseillé, dans la pratique quotidienne, de passer activement d'un AVK à un NOAC en vue d'une ablation par cathéter pour FA.
Références
- Hohnloser, S.H., Camm, J., Cappato, R., Diener, H.C., Heidbuchel, H., Mont, L., et al. Uninterrupted edoxaban vs. vitamin K antagonists for ablation of atrial fibrillation: the ELIMINATE-AF trial. Eur Heart J, 2019, PubMed PMID: 30976787
- Calkins, H., Hindricks, G., Cappato, R., Kim, Y.H., Saad, E.B., Aguinaga, L., et al. 2017 HRS/EHRA/ECAS/APHRS/SOLAECE expert consensus statement on catheter and surgical ablation of atrial fibrillation. Heart rhythm, 2017, 14 (10), e275-e444.
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- Cappato, R., Marchlinski, F.E., Hohnloser, S.H., Naccarelli, G.V., Xiang, J., Wilber, D.J., et al. Uninterrupted rivaroxaban vs. uninterrupted vitamin K antagonists for catheter ablation in non-valvular atrial fibrillation. Eur Heart J, 2015, 36 (28), 1805-1811.
- Calkins, H., Nordaby, M. Uninterrupted Dabigatran versus Warfarin for Ablation in Atrial Fibrillation. N Engl J Med, 2017, 377 (5), 495-496.
- Kirchhof, P., Haeusler, K.G., Blank, B., De Bono, J., Callans, D., Elvan, A., et al. Apixaban in patients at risk of stroke undergoing atrial fibrillation ablation. Eur Heart J, 2018, 39 (32), 2942-2955.
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