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De la fibrillation auriculaire à la coronaropathie stable et l'artériopathie périphérique: comment optimiser le traitement anticoagulant pour les patients à haut risque?
  • Serge Motte 

En marge du congrès annuel de la Belgian Society of Cardiology s'est tenu le 7 février un symposium satellite intitulé 'From atrial fibrillation to stable coronary and peripheral arterial disease: how to optimize anticoagulation treatment for high risk patients?' sous la co-présidence des Prof. Peter Sinnaeve et Patrizio Lancellotti.

Le symposium visait à répondre à deux questions courantes en pratique clinique:

  • Les anticoagulants oraux directs (AODs) sont-ils une meilleure option de traitement pour les patients atteints de fibrillation auriculaire (FA) et ayant une insuffisance rénale chronique (IRC)?
  • Chez quel patient est-il indiqué de combiner un traitement anticoagulant et antiplaquettaire?

La première question a été débattue par le Dr Rogier Caluwé qui a souligné d'abord que l'association entre insuffisance rénale chronique et fibrillation auriculaire était fréquente et bidirectionnelle.

Il est généralement admis que l'IRC (définie par un taux de filtration glomérulaire estimé [eGFR] inférieur à 60 ml/min/1,73 m2 par l'équation CKD-EPI) augmente le risque de développer de la FA. Plusieurs études ont ainsi montré que l'incidence et la prévalence de la FA étaient élevées parmi les patients atteints d'une maladie rénale chronique. Par ailleurs, une étude de cohorte d'adultes atteints d'IRC a montré que la FA était associée de façon indépendante à une augmentation significative de 67 % du risque d'évolution vers l'insuffisance rénale terminale, même après ajustement pour un large ensemble de facteurs confondants potentiels.

Les patients atteints d'une insuffisance rénale chronique présentent un risque accru d'événements thrombotiques et de saignements

Il est établi que l'insuffisance rénale chronique augmente le risque thrombo-embolique dans la FA indépendamment d'autres facteurs de risque. Par ailleurs les patients insuffisants rénaux sont à risque accru de saignement en raison des anomalies de l'hémostase conduisant à une augmentation du risque hémorragique. La décision d'anticoagulation dans le cadre de la FA chez ces patients est donc un challenge en termes de balance bénéfice clinique/risque. Une revue systématique d'études observationnelles a montré que le bénéfice clinique net était en faveur de l'anticoagulation par warfarine avec réduction du risque d'AVC et de mortalité chez les patients en FA à différents stades d'insuffisance rénale chronique, à l'exception des patients avec insuffisance rénale terminale1.

L'utilisation des AVKs chez les patients insuffisants rénaux est problématique

Le Dr Caluwé a explicité les 3 raisons pour lesquelles l'utilisation des AVKs chez les patients insuffisants rénaux est problématique. Premièrement, l'analyse de cohorte de patients en FA a montré qu'il y avait une association entre la fonction rénale et le temps passé dans le range thérapeutique (TTR), les patients atteints d'IRC ayant un pourcentage de TTR plus faible comparativement aux patients ayant une fonction rénale normale. Deuxièmement, différentes études suggèrent une association entre le développement de calcifications de la média artérielle, le risque cardiovasculaire et la prescription d'AVKs. Le mécanisme par lequel la warfarine augmente la calcification de la média artérielle est probablement lié à une inhibition de la carboxylation d'une protéine, la matrix Gla-protein (MGP), inhibitrice de la calcification vasculaire synthétisée par le muscle lisse vasculaire. Troisièmement, l'exposition à des INRs suprathérapeutiques (> 3) chez des patients atteints d'IRC peut causer une IRA due à une hémorragie glomérulaire avec de nombreux cylindres d'hématies obstruant les tubules. Des analyses rétrospectives de bases de données de patients sous warfarine ont révélé que cette néphropathie associée au traitement anticoagulant pouvait survenir également chez les patients qui n'avaient pas d'IRC et qu'elle était associée à une progression accélérée de la fonction rénale2.

Les AODs: premier choix chez les patients atteints d'insuffisance rénale modérée

Les AODs constituent un premier choix d'anticoagulants oraux chez les patients atteints de dysfonction rénale pour deux raisons. Tout d'abord, une méta-analyse des essais cliniques randomisés qui comparaient l'efficacité et la sécurité (saignements majeurs) des AODs à ceux de la warfarine pour la prévention des accidents vasculaires cérébraux (AVC) chez des patients en FA non valvulaire a montré que l'utilisation des AODs était associée à un risque réduit d'AVC ou d'emboles systémiques et à un risque réduit de saignement majeur comparativement à la warfarine chez les sujets souffrant d'une insuffisance rénale légère ou modérée3. Par ailleurs, le déclin de la fonction rénale est fréquent chez les patients atteints de FA traités avec des anticoagulants oraux. Une analyse d'une base de données américaine a ainsi montré que l'incidence cumulée d'une diminution de plus de 30 % du eGFR était de 24,4 %, et l'incidence de l'insuffisance rénale aiguë de 14,8 % à l'issue d'une période de suivi de deux ans. Les AODs, en particulier le dabigatran et le rivaroxaban, pourraient être associés à des risques plus faibles de dégradation de la fonction rénale que la warfarine4.

Si les AODs constituent un bon choix, notamment en raison de leur efficacité et sécurité chez les patients avec IRC, il est essentiel de prescrire la dose adéquate, ajustée pour la fonction rénale. L'ajustement inadéquat des doses d'AODs chez les patients souffrant d'une insuffisance rénale peut avoir des conséquences en termes d'efficacité ou de sécurité du traitement anticoagulant. Dans le cadre d'une étude rétrospective portant sur une grande cohorte de patients américains avec FA qui ont commencé à utiliser des AODs dans la pratique clinique courante, les doses prescrites étaient souvent inadéquates par rapport à la dose recommandée selon la fonction rénale. Les données suggèrent que l'utilisation des AODs à dose non ajustée chez les patients souffrant d'insuffisance rénale était associée à un risque plus élevé de saignement majeur sans diminution du risque d'accident vasculaire cérébral. La réduction de la dose chez les patients qui n'avaient pas d'insuffisance rénale ne semble pas avoir eu d'impact sur l'efficacité pour le dabigatran et le rivaroxaban mais l'efficacité de l'apixaban par contre s'est révélée réduite pour la prévention des accidents vasculaires cérébraux sans aucun avantage pour la sécurité5.

Le choix de l'anticoagulant chez les patients avec insuffisance rénale chronique sévère ou terminale reste problématique

Enfin, le Dr Caluwé a abordé la problématique de l'anticoagulation chez les patients avec insuffisance rénale chronique sévère ou terminale. Il n'y a pas de données d'études randomisées sur l'utilisation des AODs pour la prévention des AVC chez les patients atteints d'une insuffisance rénale sévère (clearance de créatinine (CrCl ) < 25-30 ml/min) ou terminale. Sur base de données de pharmacocinétique, le rivaroxaban, l'apixaban et l'edoxaban (mais pas le dabigatran) sont approuvés en Europe pour l'utilisation chez les patients souffrant d'une insuffisance rénale sévère (stade 4, CrCl de 15 à 29 mL/min), avec le régime de dose réduite. L'expérience clinique concernant l'utilisation des AODs chez ces patients étant très limitée, leur prescription est plutôt déconseillée. Concernant les patients en FA avec insuffisance rénale terminale, en dialyse, l'indication-même de l'anticoagulation est controversée. De nombreuses études observationnelles ont fourni des résultats controversés en ce qui concerne le bénéfice clinique des AVKs chez ces patients. La plupart des études ont montré une incidence significativement plus faible d'AVC et d'embolie sous warfarine, mais aussi un risque de saignement nettement accru1. L'efficacité et l'innocuité des AODs chez les patients en dialyse ne sont pas claires et font l'objet d'études en cours.

En conclusion, les AODs sont des anticoagulants oraux de premier choix chez les patients atteints d'insuffisance rénale modérée (stade 3). Outre leur profil favorable en termes d'efficacité et de sécurité chez les patients souffrant de maladie rénale, ces molécules semblent avoir un avantage par rapport aux AVKs en ce qui concerne la prévention de la dégradation de la fonction rénale. Chez les patients avec insuffisance rénale sévère ou terminale, les AODs pourraient également être une bonne option, mais des données supplémentaires sont nécessaires.

La seconde question abordée lors du symposium, à savoir : 'Quand combiner traitement anticoagulant et antiplaquettaire?', a été débattue par le Prof. Christophe Beauloye.

Il est bien établi que l'association d'un traitement anticoagulant (AC) et d'un agent antiplaquettaire (AAP) augmente significativement le risque hémorragique et est en général déconseillée. La question de la combinaison d'un anticoagulant et d'un (ou deux) AAP est toutefois à envisager dans les situations suivantes:

  • Dans le cadre de la prévention secondaire des évènements cardiovasculaires au décours d'un syndrome coronarien aigu (SCA), ou chez un patient avec maladie coronaire stable ou avec pathologie artérielle périphérique.
  • En cas d'angioplastie coronaire chez un patient anticoagulé au long cours pour la prévention des complications emboliques d'une FA.

La prévention secondaire des évènements cardiovasculaires au décours d'un SCA, ou chez un patient avec maladie coronaire stable ou avec pathologie artérielle périphérique

L'utilisation d'un traitement anticoagulant oral dans le cadre de la prévention secondaire après SCA semble être intéressante sur le plan physiopathologique car il a été montré que les marqueurs de la génération de thrombine restaient élevés après l'épisode aigu chez les patients prenant de l'acide acétylsalicylique. L'étude OASIS-2 a démontré que la warfarine (INR cible 2,5) en plus de l'acide acétylsalicylique comparée à l'acide acétylsalicylique seule réduisait le risque de décès, d'infarctus du myocarde (IM) ou d'AVC après un IM aigu, mais essentiellement chez les patients avec compliance élevée6. Les AVKs n'ont pas été recommandés dans cette situation en raison du sur-risque hémorragique et de la complexité du traitement par AVKs par rapport au bénéfice escompté.

L'intérêt des AODs dans cette indication a naturellement été évalué avec l'hypothèse qu'ils offriraient une meilleure balance efficacité/tolérance que les AVKs. L'essai de phase III Atlas TIMI 51 a montré que deux doses faibles de rivaroxaban 2,5 mg × 2/j et 5 mg × 2 plus acide acétylsalicylique et clopidogrel après SCA étaient associées à une réduction significative du critère principal de jugement composite décès cardiovasculaire, IM et AVC, comparativement à une bithérapie antiplaquettaire. La faible dose (2,5 mg × 2) était associée à une réduction de la mortalité cardiovasculaire et de toute cause. Le taux d'hémorragies majeures et d'hémorragies intracrâniennes était augmenté sous rivaroxaban sans augmentation des hémorragies fatales. La dose de 2,5 mg était associée à moins d'hémorragies fatales que la dose de 5 mg × 2. La dose de l'AOD a donc clairement un impact sur le résultat clinique avec une meilleure tolérance des faibles doses.7 Ainsi, l'étude de phase III APPRAISE 2 a montré que l'apixaban à des doses similaires à celles prescrites dans la FA était associé à une augmentation des hémorragies majeures après SCA sans réduire la survenue du critère associant décès cardiovasculaire, IM et AVC. L'étude a été stoppée prématurément8.

La sécurité du rivaroxaban à dose faible (2,5 mg × 2/j) en association avec le clopidogrel ou le ticagrélor a par ailleurs été comparée à une bithérapie antiplaquettaire par acide acétylsalicylique et clopidogrel ou ticagrélor au décours d'un SCA dans l'étude Gemini-ACS. Le critère principal de jugement était le taux d'hémorragie cliniquement significative et l'étude a montré qu'une bithérapie par rivaroxaban à faible dose en association à un inhibiteur du P2Y12 avait une tolérance similaire à une bithérapie acide acétylsalicylique et inhibiteur P2Y12 9.

Enfin, le rivaroxaban a été testé à faible dose chez des patients avec une maladie coronaire stable ou une pathologie artérielle périphérique dans l'essai de phase III COMPASS évaluant en double aveugle le rivaroxaban à l'acide acétylsalicylique dans la prévention cardiovasculaire secondaire10. Cette étude comparait trois bras: rivaroxaban 2,5 mg × 2/j plus acide acétylsalicylique 100 mg/j, rivaroxaban 5 mg × 2/j et acide acétylsalicylique seule 100 mg/j. Le critère principal de jugement composite associait décès cardiovasculaires, AVC ou IM. L'étude a été interrompue pour supériorité de l'association rivaroxaban plus acide acétylsalicylique après un suivi moyen de 23 mois. Le critère principal de jugement a été observé chez 4,1 % des patients sous l'association rivaroxaban plus acide acétylsalicylique, contre 5,4 % chez les patients sous acide acétylsalicylique seule, (Hazard ratio (HR): 0,76, intervalle de confiance (IC) à 95 %: 0,66-0,86, p < 0,001). Cependant, le risque de saignement majeur était accentué dans le groupe rivaroxaban plus acide acétylsalicylique, 3,1 %, contre 1,9 % dans le groupe acide acétylsalicylique seule (HR 1,70, IC 95 %, 1,40-2,05, p < 0,001). En revanche, il n'y avait pas de différence significative en ce qui concerne le risque de saignement fatal ou intracrânien entre les 2 groupes. Il est à souligner que le taux de mortalité dans le groupe rivaroxaban plus acide acétylsalicylique était significativement réduit comparativement au groupe acide acétylsalicylique seule, (3,4 % versus 4,1 %, HR 0,82, IC 95 %, 0,71-0,96, p = 0,01). L'association rivaroxaban à faible dose et acide acétylsalicylique chez les patients avec une maladie cardiovasculaire stable réduit donc le risque d'évènement cardiovasculaire et la mortalité au prix cependant d'un risque accru de saignement majeur, comparativement à l'acide acétylsalicylique seule.

Angioplastie coronaire chez un patient anticoagulé au long cours pour FA

La question de l'association d'un anticoagulant avec une mono- ou bithérapie antiplaquettaire se pose en cas de survenue d'un SCA ou d'indication d'une angioplastie coronaire chez un patient anticoagulé au long cours dans le cadre d'une FA.

Des études de désescalade ont montré qu'une bithérapie associant un anticoagulant et un inhibiteur du P2Y12 réduisait les complications hémorragiques en comparaison avec une triple thérapie anticoagulant, inhibiteur P2Y12 et acide acétylsalicylique.

L'étude WOEST a comparé la tolérance de la trithérapie (AVK - INR cible 2,0 - avec le clopidogrel et l'acide acétylsalicylique) avec celle de la bithérapie (VKA plus clopidogrel) chez les patients sous AVK et ayant eu une angioplastie coronaire11. Cette étude a montré que la stratégie de désescalade avec omission de l'acide acétylsalicylique réduisait clairement les complications hémorragiques (HR: 0,36, IC à 95 %, 0,26-0,50, p < 0,0001). Il convient de noter que l'étude WOEST n'avait pas la puissance suffisante pour détecter une éventuelle différence dans la survenue des événements thrombotiques. L'étude PIONEER AF-PCI portant sur 2 124 patients en FA nécessitant une angioplastie coronaire avec mise en place d'un stent a comparé trois bras: la dose de 15 mg de rivaroxaban associée à un inhibiteur P2Y12, la dose de 2,5 mg × 2/j associée à une bithérapie antiplaquettaire et enfin la stratégie associant AVK et bithérapie antiplaquettaire12. Le critère principal de jugement était un critère de sécurité (hémorragie cliniquement significative). Les deux bras AOD ont montré une réduction significative des complications hémorragiques en comparaison au bras AVK, mais l'étude manquait de puissance pour évaluer les complications ischémiques. L'étude Re-Dual PCI a montré que la bithérapie dabigatran- inhibiteur du P2Y12 (clopidogrel ou ticagrélor) était non inférieure à la trithérapie combinant AVK (warfarine), inhibiteur du P2Y12 et acide acétylsalicylique en termes de prévention des décès et des événements thrombo-emboliques (AVC, IM et embolies systémiques) et était associée à une réduction significative du taux d'hémorragies13.

Les résultats des essais WOEST, PIONEER AF-PCI et RE-DUAL PCI suggèrent donc que chez les patients en FA qui ont récemment eu une angioplastie coronaire, la double thérapie avec une combinaison d'un anticoagulant (AVK ou AOD) et clopidogrel est plus sûre que la trithérapie associant anticoagulant plus l'acide acétylsalicylique et clopidogrel.

Suite aux résultats de ces études, les recommandations de la Société Européenne de Cardiologie suggèrent d'utiliser les AOD après angioplastie à la place des AVKs en utilisant la dose faible qui a été validée dans les essais de phase III pour chacune des molécules. Il est suggéré également de considérer une bithérapie (anticoagulant oral et clopidogrel) plutôt qu'une trithérapie Si une triple thérapie (anticoagulant, acide acétylsalicylique, clopidogrel) est prescrite, elle doit être de durée la plus courte possible en fonction de l'estimation du risque hémorragique et du risque thrombotique14.

En conclusion, les AODs à faible dose dans la pathologie coronaire ou vasculaire périphérique stable, en association à l'acide acétylsalicylique, semblent intéressants pour réduire les évènements ischémiques en particulier chez des patients considérés à risque élevé de récidive d'évènement ischémique et à faible risque hémorragique. Il reste à définir des outils pour identifier au mieux ces patients.

Dans le traitement des syndromes coronaires aigus, la place des AODs reste encore limitée. Des faibles doses d'AOD pourraient à l'avenir remplacer l'acide acétylsalicylique. Enfin, les études de désescalade thérapeutique dans la FA et angioplastie coronaire avec les AOD ont permis de montrer qu'une stratégie associant AOD et inhibiteur du P2Y12 pouvait réduire les complications hémorragiques en comparaison à une triple thérapie AVK, inhibiteur P2Y12 et acide acétylsalicylique.

Références

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