Faire le point sur 2018 et sur ce que 2019 pourrait nous apporter. Voilà une attitude normale à adopter dans le premier éditorial de l'année. Vu que les éditions précédentes portaient tour à tour sur des sujets médicaux, l'heure me semblait venue de se pencher une fois encore sur les changements apportés à l'organisation des soins de santé en Belgique et sur leurs retombées sur la cardiologie. Pour comprendre les deux pierres angulaires de la politique publique qui, au cours de ces dernières années, ont fait beaucoup parler d'elles, à savoir les soins à basse variabilité et les réseaux, il est nécessaire de bien connaître la gestion d'un hôpital. C'est pourquoi j'ai demandé, pour cet éditorial, l'aide professionnelle du médecin en chef et cardiologue de notre hôpital, le Dr E. Wyffels.
Les dernières semaines de 2018 ont été mouvementées. Le gouvernement est tombé, en même temps que le voile qui entourait tous les changements annoncés avec fracas pour le secteur hospitalier1. Rien n'est toutefois ce qu'il paraît être. En dernière minute, un arrêté d'exécution sur les soins à basse variabilité est en effet paru dans le Moniteur belge2 à la fin du mois de décembre. Et ce, en dépit des nombreuses questions critiques concernant la faisabilité pratique de son implémentation, soulevées notamment par le plus grand syndicat de médecins3. Lors de la dernière semaine de 2018, il est également clairement apparu que la Flandre n'allait pas rester inactive face à la concrétisation des réformes hospitalières. Au niveau fédéral, la législation organique, qui continue de faire l'objet de vifs débats, se fait provisoirement attendre, le Conseil d'état ne l'estimant pas urgente. L'avant-projet d'arrêté du Gouvernement flamand fixant les principes de la planification stratégique des soins des réseaux hospitaliers est quant à lui clair. Les deux chantiers, à savoir les soins à basse variabilité et les réseaux, s'inscrivent dans un glissement de paradigme vers des 'value based healthcare' (VBHC) où la valeur est définie comme un résultat à un certain coût.4
The winds of change are blowing5
Le caractère prometteur des changements annoncés dans la politique gouvernementale reste encore à voir. Ces changements apportent-ils vraiment une réponse aux nombreuses critiques sur notre système de santé, qui privilégierait une demande axée sur l'offre et des soins de santé basés sur le volume, plutôt qu'un modèle de santé? 'The proof of the pudding is in the eating'. Mais ce pudding n'est pas encore prêt.
C'est à nous, les cliniciens, de l'utiliser dans l'intérêt de nos patients. Le changement dans notre pratique clinique en matière de cardiologie est toujours précédé par des preuves scientifiques, de préférence étayées par des études randomisées. Ces données sont ensuite reprises dans des directives, souvent évolutives, et adaptées à l'évolution des connaissances. La communauté cardiologique a en effet toujours été un précurseur dans le domaine de la conception et de l'implémentation de la médecine fondée sur les faits.
Qu'en est-il des deux chantiers évoqués? Financement global prospectif (FGP6) et réseaux d'hôpitaux. Des preuves scientifiques (claires) existent-elles? Si c'est le cas, quelles sont-elles?
Le paiement global prospectif des honoraires en Belgique a pour but de graduellement transformer le système de 'fee for service' actuel en système où les soins intégrés et multidisciplinaires sont davantage encouragés: rémunérer à terme les résultats cliniquement significatifs plutôt qu'un simple paiement basé sur le volume. Ce terme est toutefois peu clair, étant donné qu'aucun lien n'est aujourd'hui établi avec le résultat. Les programmes de soins cardiovasculaires conviennent par ailleurs parfaitement à une approche de ce type, et ce, pour plusieurs raisons. Les maladies cardiovasculaires sont fréquentes, onéreuses et souvent mortelles. Elles ont en outre un impact économique notable. Les soins prodigués au patient cardiaque sont fournis par des médecins de différents horizons: cardiologues aux diverses aptitudes particulières, chirurgiens cardiaques, anesthésistes cardiaques, nucléaristes et radiologues. Les évolutions récentes en équipes cardiaques et l'approche multidisciplinaire des maladies cardiaques structurelles notamment sont exemplaires. Le patient cardiovasculaire se déplace en outre, au cours de son traitement, dans tout un continuum de soins: du service des urgences, des soins intensifs et du service d'admission de l'hôpital vers le centre ambulatoire. Suffisamment de raisons pour améliorer la coordination et l'intégration des soins.
Plusieurs facteurs sont à prendre en compte lors de la conception d'un tel système.
En marge des honoraires des médecins, il existe en effet une foule d'autres 'moteurs de coûts': coûts du cabinet, du matériel médical et des implants ainsi que du personnel paramédical nécessaire. Il convient également de tenir compte des différents moteurs de qualité lors du développement de ce système basé sur la valeur.
En dépit de la littérature connue7, la Belgique fait autrement. 'Ceci n'est pas une pipe', n'est-ce pas?
En effet, le FGP ne couvre actuellement que les honoraires. Il s'agit en outre d'un système basé sur les données historiques des prestations fournies en Belgique. Un examen normatif, ou qualitatif, fait défaut: les prestations exécutées reposaient-elles sur des faits? Le budget des moyens financiers et des matériaux médicaux n'est, provisoirement du moins, pas non plus inclus. Le contrôle de la qualité se limite à une surveillance du système, l'accent portant avant tout sur des indicateurs de processus et de structure dont nous savons que le lien avec les résultats pertinents est tout au plus anecdotique8. La mesure d'incitation doit donc résider dans l'indemnisation (symbolique) 'pay for performance' (P4P) aux hôpitaux et en aucun cas dans celle aux prestataires de soins individuels, qui n'inclut en fait que peu d'indicateurs de résultat et aucun indicateur cardiovasculaire, mis à part l'annonce que le HSMR9 allait à terme également jouer un rôle. C'est peu, mais mieux que rien pourrait-on dire. C'est déjà un début. Même s'il est né dans la confusion.
La littérature démontre un potentiel limité tant pour les 'paiements groupés' que pour le P4P dans la transformation des coûts croissants et de l'indéfendable variabilité sans nuire à la qualité10-12. Heureusement, peu d'éléments de preuve indiquent que la qualité viendrait à décliner. Les preuves de 'cherry picking' et 'gaming' quant à elles abondent. Utiliser le système (ou en abuser) pour éviter certaines catégories de patients ou procéder à un codage préférentiel. En tout cas, les preuves sont limitées, définies par leur contexte et reposent souvent sur des analyses rétrospectives avec des groupes de contrôle limités. Les problèmes liés à la mise en oeuvre de tels programmes ressortent quant à eux clairement13. La (sur)charge administrative, les lignes de politique peu claires et les 'guerres territoriales' compliquent les choses. Même les analyses d'un système où, en marge de la forfaitarisation prospective, une valeur ajoutée ou un résultat est ajouté comme incitatif, restent prudemment positives. En résumé, l'on peut avancer que le paiement groupé et d'autres initiatives s'inscrivant dans le cadre des VBHC ont un effet marginal, aux preuves souvent anecdotiques14.
La rhétorique qui caractérise souvent les politiques englobe des éléments surtout théoriques. L'attention empirique et académique dont ce sujet fait l'objet dans différents pays après deux décennies d'études dresse un portrait bien plus nuancé15. Différentes raisons l'expliquent. Souvent, la mesure incitative (financière) pour les hôpitaux ou prestataires de soins est trop restreinte, les paramètres de qualité à suivre trop complexes ou mal choisis et le décalage entre la pratique et le feed-back empêche une adaptation ponctuelle adéquate. S'il y a un effet, il est souvent minime et de nature temporaire16. La qualité revêt, dans le secteur des soins, plusieurs visages, et ne porte pas toujours bien son nom. On dispose de peu de données concrètes qui lient des variables de processus et de structure à la mortalité ajustée en fonction du risque voire aux PROMs17. Tout médecin ayant les deux pieds dans la réalité clinique sait comment nuancer l'engouement qui entoure JCI ou NIAZ.
Mais comme nous l'avons déjà indiqué, nous n'en sommes qu'au début. Nous devons avancer. Les caisses sont vides, la 'nouvelle norme' se caractérise par une croissance économique particulièrement plane et l'évolution démographique de même que le besoin croissant de soins démontrent que les choses vont devoir se faire différemment. La réalité veut toutefois que la politique publique déçoive tant par sa lenteur que par son manque de clarté. Cette situation donne raison aux cyniques et mine la confiance de nos médecins.
L'autre chantier de la politique publique était placé sous le signe de la création d'un réseau. Les réseaux hospitaliers locorégionaux doivent veiller à évoluer d'une demande basée sur l'offre vers une offre basée sur la demande de soins. Concentration, rationalisation, latéralisation et garantie de la subsidiarité ont été les maîtres-mots de ces 2 dernières années. La justification est intuitivement attrayante, mais ici aussi, la littérature est nuancée. La littérature belge y relative identifie dans tous les cas les facilitateurs et barrières à la réalisation fructueuse de cet exercice18. Un leadership médical fortement intégré sera essentiel pour réaliser la valeur ajoutée pour nos patients. Nombre d'associations cardiologiques ont, au cours de ces 2 dernières années, entrepris des étapes majeures pour concrétiser une intégration transhospitalière mais se heurtent à l'inertie des administrations qui se servent de l'absence de cadre légal pour défendre un immobilisme. Une attitude compréhensible, mais source d'une importante et inutile frustration. Si l'on songe à la note flamande, l'exercice devient intéressant: continuer sans cadre organique, étant donné que la législation fédérale se fait attendre? Reste en effet à connaître les conséquences sur le compte de résultat des hôpitaux individuels de la traduction de la latéralisation de certains trajets de soins dans les moyens en ergothérapie et lits justifiés financés par le CMI. La marge opérationnelle est minime, nombre d'hôpitaux ont un compte de résultat dans le rouge, ce qui renforce la pression sur les honoraires des médecins20.
Selon nous, nous n'allons pas seulement évoluer vers 25 réseaux mais surtout vers 25 collaborations cardiologiques transhospitalières où les conventions en matière de tâches et l'organisation d'une offre en soins cardiologiques complémentaires doivent être l'objectif. Les pays qui nous entourent ont en effet une longueur d'avance21-22. Nos décideurs politiques soulignent qu'il ne s'agirait 'que' de missions de soins locorégionales. Cependant, tout le monde sait qu'une réorganisation des soins suprarégionaux et de référence en découlera. Il s'agit d'une menace existentielle pour nombre de centres de cardiologie. Ce sera tout sauf évident. Ici également, un leadership fortement basé sur du contenu médical sera essentiel. Une bonne gouvernance hospitalière, accompagnée des profils de compétences adéquats, au bon endroit, est essentielle à cette fin. La littérature y relative est également claire à ce sujet23.
La cogouvernance ne peut être qu'un concept. Les circonstances font qu'une participation de notre côté, en tant que médecins, dans la politique est plus que souhaitable. L'organisation des soins de santé et, en particulier, l'organisation de l'offre en soins cardiologiques, nous tient trop à coeur pour la confier à des tiers. Il s'agit en outre d'un atout de taille qui permettra d'arriver à une vision à long terme saine dans l'organisation des soins pour le patient cardiologique. Si les cardiologues prennent également les rênes, il sera à l'avenir plus ardu d'avoir dans une législature un ministre qui stimule abondamment les nouveaux centres de cardiologie tandis que le suivant misera sur les accords de coopération en réseaux, induisant logiquement la nouvelle fermeture de quelques centres.
C'était un plaidoyer en faveur d'un leadership basé sur un contenu médical.
Nous vous souhaitons une année 2019 captivante.
Références
- De Tijd, 4 avril 2018; De Standaard, 2 mars 2018.
- Moniteur belge, 18 décembre 2018.
- BVAS, jeudi 13 décembre 2018.
- M. Porter: A Strategy for Health Care Reform - Toward a Value-Based System, NEJM, 2009, 361, 109-112.
- 'Wind of Change' du groupe de pop allemand Scorpions parle de la célébration de la glasnost en Union soviétique, de la fin de la guerre froide et de l'espoir suscité par la chute de différents régimes communistes après 1989.
- Global Payment with Standardisation.
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