Introduction
Le terme générique 'maladies cardiaques coronariennes' (MCC) désigne un certain nombre d'entités cliniques telles que les syndromes coronariens aigus, l'angor stable et instable, certaines formes de mort subite d'origine cardiaque ou encore l'insuffisance cardiaque et les arythmies faisant suite à une cardiomyopathie ischémique.
La base physiopathologique commune de toutes ces maladies comprend:
- l'athérosclérose de la paroi vasculaire des vaisseaux sanguins coronariens;
- la formation anormale d'un thrombus; et/ou
- les troubles de la régulation autonome des fonctions cardiovasculaires (CV).
L'importance de ces cardiopathies peut être éclairée sous différents angles:
- Pour le patient, ces maladies causent beaucoup de souffrance et de morbidité. Elles sont une cause majeure de décès prématuré et d'années de vie ajustées sur l'incapacité (AVAI). En 2014, les cardiopathies ischémiques ont été la première cause principale de mortalité en Belgique (7,36 % de tous les décès) (https://spma.wiv-isp.be/). En 2016, elles ont été la deuxième cause principale d'AVAI (7,15 % de l'ensemble des AVAI) (http://ihmeuw. org/46wr).
- Ces maladies génèrent des coûts considérables, à la fois en raison de leur fréquence et de leur caractère chronique.
- Les MCC sont à l'origine d'un absentéisme majeur. En 2014, la Belgique comptait 321 573 personnes en invalidité dans le groupe des salariés du secteur privé et des chômeurs, autrement dit des personnes qui, compte tenu de leur âge, font partie de la population économiquement active, mais qui sont inaptes au travail pour cause de maladie depuis plus d'un an; dans ce groupe, 20 434 personnes - soit 6,3 % - étaient invalides en raison d'une maladie cardiovasculaire, cette catégorie formant la troisième cause principale d'invalidité (www.inami.fgov.be/fr/ statistiques).
Il existe plusieurs raisons de mesurer la tolérance physique à l'effort d'un patient atteint d'une MCC. Une première bonne raison concerne l'estimation du pronostic. La capacité d'effort d'un patient cardiaque est un bon indicateur de son risque de récidive et de sa probabilité de survie, et ce, indépendamment d'autres indicateurs pronostiques1. Dans le cadre de la rééducation cardiaque, il est également nécessaire de connaître la tolérance à l'effort du patient afin de pouvoir élaborer un programme d'entraînement physique approprié.
Dans le cas d'emplois physiquement exigeants, cette estimation jouera aussi un rôle important lorsqu'un avis est sollicité sur l'aptitude au travail.
La tolérance physique à l'effort d'un patient peut notamment être estimée au moyen de paramètres spiro-ergométriques, lesquels sont décrits plus en détail ci-dessous. Quant aux études sur le poste de travail, elles permettent de vérifier l'équilibre entre la tolérance physique à l'effort et la charge de travail effective. Ceci est illustré plus loin par une étude de cas.
Estimation de la tolérance physique à l'effort au moyen de paramètres spiro-ergométriques
VO2max et MET
En règle générale, c'est en premier lieu la capacité de la pompe cardiaque qui limite la tolérance physique à l'effort d'une personne en bonne santé, autrement dit la mesure dans laquelle cette personne est apte à accomplir un travail ou un effort physique.
La capacité d'effectuer un travail aérobie dépend également de l'aptitude du coeur à adapter son débit aux exigences des muscles qui fournissent le travail et de l'aptitude de ces muscles à faire un usage optimal de l'oxygène fourni par le sang.
La meilleure manière d'estimer cette capacité consiste à déterminer la VO2max, à savoir la consommation maximale d'oxygène, au cours d'un examen de spiro-ergométrie. La VO2max représente donc la capacité maximale d'absorption d'oxygène atteinte lors de la réalisation d'un effort physique qui augmente progressivement, par exemple au cours d'une épreuve sur ergomètre ou sur tapis roulant.
Cette VO2max est déterminée par le débit cardiaque maximal que le myocarde peut fournir et par l'extraction de l'apport d'O2 artérioveineux.
Le débit cardiaque est déterminé par le produit de la fréquence cardiaque (FC) et du volume systolique. Le volume systolique est la fonction de la contractilité du myocarde et du degré de vasodilatation/ constriction périphérique.
En cas d'effort, le débit cardiaque d'une personne normale peut être multiplié par quatre, voire par six, à la suite d'un doublement ou d'un quadruplement de la FC et d'une augmentation du volume systolique de 20 à 50 %. Un homme présente un débit cardiaque plus élevé que celui d'une femme.
Avec le vieillissement, on observe une diminution de la FC maximale qu'une personne peut développer, avec à la clé une réduction de la VO2max.
Tous ces paramètres sont directement mesurables, mais en pratique quotidienne, des épreuves d'effort sont couramment utilisées - entre autres - pour une détermination directe de la VO2max.
Cependant, chez les patients cardiaques et les personnes non entraînées, la tolérance à l'effort est déterminée par la mesure dans laquelle l'adaptation du système cardiovasculaire continue à se dérouler normalement en cas d'effort, mais aussi par la mesure dans laquelle l'effort est consenti au maximum. Dans ces cas-là, la VO2max sera calculée au cours d'une 'épreuve limitée par les symptômes', ce qui n'implique pas toujours qu'une charge cardiovasculaire maximale soit atteinte. Des facteurs motivationnels et d'autres limitations potentielles contribuent à la détermination du résultat obtenu. La VO2max est exprimée en litres/min ou - si on tient compte du poids corporel - en ml/kg/min.
La tolérance à l'effort peut également être exprimée comme un multiple de l'absorption d'O2 nécessaire au repos, ce qu'on appelle les équivalents métaboliques ou MET [Metabolic Equivalents in Task]. La valeur de 1 MET correspond à l'absorption moyenne d'oxygène au repos d'un homme de 40 ans pesant 70 kg, soit 3,5 ml d'O2/kg/min. Il convient donc de diviser par 3,5 le chiffre de VO2max (exprimée en ml/kg/min) pour le convertir en nombre de MET. En raison de leur facilité d'expression, les valeurs de référence en MET sont souvent appliquées en pratique en fonction de l'âge et du sexe. Néanmoins, leur utilisation constitue une simplification excessive, ne fournissant qu'une estimation approximative de 'l'individu moyen'; dans certains cas, cela peut conduire à une conclusion erronée.
La tolérance à l'effort d'une personne dépend en outre aussi de sa morphologie, de son schéma d'activité physique et de ses prédispositions (définies essentiellement par la génétique). Il est dès lors difficile de fixer des valeurs 'normales'. Dans une méta-analyse réalisée à des fins de normalisation, il n'a pas été possible de présenter une synthèse des chiffres en raison d'une hétérogénéité excessive des différentes études et des populations de référence2. Les tableaux 1a et 1b indiquent, respectivement pour les hommes et les femmes, les valeurs limites de VO2max (en ml/kg/min) dans 6 catégories3.
Ces valeurs limites peuvent être converties en MET en divisant les chiffres par 3,5.
Dans la population générale d'âge mûr, la tolérance à l'effort est présumée valoir environ 10 MET pour un homme et 8 MET pour une femme.
Les patients symptomatiques affichent des valeurs se situant entre 1 et 6 MET. En présence d'une capacité inférieure à 7 MET, il est question d'une limitation. Chez des personnes normales mais sédentaires, une tolérance à l'effort comprise entre 5 et 10 MET est escomptée, tandis que des personnes normales actives montreront une tolérance à l'effort entre 7 et 16 MET, selon l'âge, le sexe et le niveau d'entraînement.
Sur la base de l'anamnèse et des données de recherche clinique, certains indicateurs sont utilisés pour classer les patients en fonction de la gravité des symptômes de dyspnée ou d'angor. Citons par exemple le score canadien de classification cardiovasculaire [Canadian Cardiovascular Classification] ou la classification de la New York Heart Association (NYHA)5 allant de la classe I à la classe IV. Bien entendu, une telle classification est très subjective.
La fraction d'éjection ventriculaire gauche (FEVG) est largement utilisée comme indicateur de la fonction VG et peut être déterminée de façon non invasive par échocardiographie. Toutefois, il convient de noter qu'une mesure objective de la fonction VG n'est pas bien corrélée avec des indicateurs objectifs de la tolérance à l'effort. Il a ainsi été démontré qu'il n'existe qu'un faible lien entre la FEVG au repos et la tolérance à l'effort exprimée en durée de l'effort lors d'une épreuve d'effort standardisée. En d'autres termes, on peut conserver une bonne tolérance à l'effort malgré une fonction VG considérablement réduite, et une faible tolérance à l'effort n'indique pas nécessairement une mauvaise fonction VG6. Si on veut connaître la tolérance physique à l'effort d'un patient atteint d'une MCC, une épreuve d'effort reste la meilleure option.
Seuil ventilatoire (SV-1) et RER
La tolérance physique à l'effort est également déterminée par l'atteinte du point de basculement d'un métabolisme musculaire principalement aérobie vers un métabolisme musculaire anaérobie. C'est le niveau auquel l'apport d'oxygène aux muscles qui fournissent le travail devient insuffisant (par exemple, en raison d'un débit cardiaque trop bas). Grâce à la glycolyse anaérobie, les muscles vont libérer de plus en plus d'acide lactique tamponné par du bicarbonate, avec libération supplémentaire de CO2. Cette augmentation soudaine de la libération de CO2 par rapport à l'absorption d'O2 peut s'observer comme une inflexion sur les courbes de spirométrie par différentes méthodes (méthode 'V-slope' et méthode des équivalents respiratoires). Dans des conditions normales, ce seuil ventilatoire (SV-1) est atteint entre 40 et 90 % de la VO2max. Cependant, en cas de déconditionnement ou de limitation cardiaque, ce seuil est atteint plus rapidement et il est alors question d'une acidification 'prématurée'.
Pour simplifier (à l'excès), certains utilisent dans la pratique le RER ou 'ratio d'échange respiratoire', car celui-ci peut être aisément déterminé à partir du rapport de spirométrie. Le RER est le rapport entre la libération de CO2 et l'absorption d'O2. Une valeur RER de 1 correspond (le plus souvent) au début de la phase anaérobie. Plus vite ce point est atteint, plus l'état du patient est critique. Une épreuve mesurant l'effort maximal est définie comme un test où une valeur RER ≥ 1,15 est atteinte. Dans les cas de limitations (pulmonaires ou musculosquelettiques) non cardiaques, cette valeur n'est souvent pas atteinte.
Fréquence cardiaque (FC), fréquence cardiaque de réserve (FCR) et travail fourni
D'autres indicateurs de tolérance à l'effort qui peuvent être déduits des épreuves d'effort sont liés à l'évolution de la FC:
- La FC maximale que peut présenter un sujet sain est étroitement corrélée avec l'absorption d'O2 et il existe des nomogrammes pour estimer indirectement la VO2max à partir de la FC atteinte lors d'épreuves sous-maximales - par exemple, le niveau de travail qui peut être atteint avant de développer une FC de 150 bmp.
- On peut aussi utiliser la fréquence cardiaque de réserve (FCR) pour évaluer la tolérance à l'effort, entre autres dans l'appréciation de certains postes de travail. La FCR est la différence entre la FC maximale développée (pendant une épreuve d'effort) et la fréquence cardiaque au repos.
- Par ailleurs, il a aussi été démontré que la VO2max pouvait être estimée à partir du travail total fourni (en watts ou kpm) lors d'une épreuve d'effort standardisée.
étude du poste de travail
Comme indiqué plus haut, les études portant sur le poste de travail permettent de vérifier l'équilibre entre la tolérance physique à l'effort d'un patient et la charge de travail effective, ce qui peut constituer un outil utile pour estimer l'aptitude au travail d'une manière assez objective. C'est ce qu'illustre le cas ci-dessous.
Pour rappel: en physiologie du travail, la norme utilisée depuis des années prescrit qu'un poste de travail de 8 heures ne peut en moyenne pas faire appel à plus de 30 à 40 % de la FCR, et qu'en cas de pics de charge survenant de manière répétée, il est préférable de ne pas dépasser 50 %7. Ces critères utilisés pour les travailleurs en bonne santé s'appliquent également aux patients cardiaques.
Le taux de charge moyen d'un poste de travail est estimé à l'aide d'une formule où figure au numérateur la différence entre la FC moyenne pendant X heures de travail et la fréquence cardiaque au repos, et au dénominateur la FCR mesurée en laboratoire par une épreuve d'effort.
étude de cas
Une femme de 45 ans atteinte de diabète a subi durant ses congés un infarctus majeur de la paroi antérieure du myocarde. Du fait de son hospitalisation tardive, une revascularisation ne s'avérait plus utile. Elle a suivi un programme de rééducation tout en continuant néanmoins à signaler des symptômes de dyspnée d'effort et une fatigabilité accrue.
La fréquence cardiaque au repos s'élevait à 50 bpm sous blocage bêta-adrénergique.
à la fin de l'entraînement de rééducation, sa tolérance physique à l'effort a été évaluée par un examen de spiro-ergométrie. Le protocole d'effort a commencé à 50 W, avec une augmentation progressive de la charge de 10 W par minute. La valeur finale atteinte a été de 100 W pendant 30 s, ce qui correspond à un temps de charge de 5 min et 30 s. La fréquence cardiaque maximale atteinte sous blocage bêta-adrénergique s'élevait à 106 bpm. Par conséquent, la patiente présentait une fréquence cardiaque de réserve de 56 bpm (106-50).
Sa VO2max était de 920 ml/min ou 13 ml/kg/min, soit une tolérance à l'effort de près de 4 MET. Le premier seuil ventilatoire se situait à 60 W après 1 min 30 s de travail.
Cette femme encore jeune voulait reprendre son ancien poste de travail pour des raisons financières; elle travaillait à temps partiel comme aide-ménagère dans un hôpital.
La figure 1 montre les résultats de l'étude relative au poste de travail pendant 3 h 30 de travail, période durant laquelle la patiente a effectué toutes sortes de travaux ménagers: nettoyer et empiler du matériel, balayer, passer la serpillière, vider les poubelles et trier du linge. Les pics visibles sur le schéma, un pic maximal et un pic minimal, sont des artéfacts. La FC moyenne pendant 3 h 30 de travail a été de 94 bpm et la FC maximale de 114 bpm.
Le taux de charge moyen de ce poste de travail est estimé à 79 % de la réserve, ce qui est clairement trop élevé. La charge maximale est également excessive.
Il a été recommandé à cette patiente de ne pas reprendre ce poste de travail. Avec son accord, les résultats ont été envoyés au médecin du travail du service de santé de son employeur, avec la demande de lui fournir un poste de travail adapté.
Conclusion
En résumé, la tolérance physique à l'effort des patients atteints de MCC peut être estimée avec précision au moyen d'épreuves d'effort classiques standardisées.
Mesurer, c'est savoir. Il est vrai que chez certains patients, il sera difficile, sur la seule base de l'anamnèse, d'évaluer et de peser le taux de charge du poste de travail qu'ils veulent retrouver en regard de leur tolérance à l'effort. Dans de tels cas, la réalisation d'une étude du poste de travail peut s'avérer utile.
Références
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- Paap, D., Takken, T. Reference values for cardiopulmonary exercise testing in healthy adults: a systematic review. Exp Rev Cardiovasc Ther, 2014, 12 (12), 1439-1453.
- The Physical Fitness Specialist Certification Manual, The Cooper Institute for Aerobics Research, Dallas TX, revised 1997 printed in Advance Fitness Assessment & Exercise Prescription, 3rd Edition, Vivian H. Heyward, 1998, p 48.
- Campeau, L. The Canadian Cardiovascular Society grading of angina pectoris revisited 30 years later. Can J Cardiol, 2002, 18, 371-379.
- The Criteria Committee of the New York Heart Association. (1994). Nomenclature and Criteria for Diagnosis of Diseases of the Heart and Great Vessels. (9th ed.). Boston: Little, Brown & Co. p. 253-256.
- Cohn, J.N., Johnson, G.R., Shabetai, R., Loeb, H., Tristani, F., Rector, T. et al. Ejection fraction, peak exercise oxygen consumption, cardiothoracic ratio, ventricular arrhythmias, and plasma norepinephrine as determinants of prognosis in heart failure: The V-HeFT VA Cooperative Studies Group. Circulation, 1993, 87, V5-V16.
- Astrand, P.O., Rodahl, K. Textbook of work physiology. McGrawHill, 1977.
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