Il y a très longtemps, on ne disposait que de peu de moyens pour soigner les malades. On s'est d'abord tourné vers la nature et on a trouvé que certaines plantes pouvaient se révéler utile, probablement par essais et erreurs. Les connaissances ont progressé lentement au début, mais depuis l'Egypte antique ou la Grèce d'Hippocrate, on a réalisé des progrès énormes avec une médecine devenant de plus en plus scientifique, surtout à partir du XIXème siècle avec les progrès de la chimie et des techniques de laboratoire. Les médicaments et les techniques chirurgicales ont eu une croissance pratiquement exponentielle au XXème siècle jusqu'à notre époque, permettant d'améliorer non seulement notre longévité mais également notre qualité de vie.
La médecine scientifique se base sur des études qui au départ incluaient relativement peu de patients mais qui sont progressivement devenues randomisées, en double-aveugle, multicentriques et incluant des milliers de patients pour prouver l'utilité de telle ou telle avancée ou encore la supériorité d'une approche par rapport à une autre.
Parallèlement, vu la complexité croissante et l'hyperspécialisation, les médecins ont ressenti le besoin d'avoir des recommandations simples pour nous guider dans notre pratique de tous les jours, les fameux guidelines qui sont devenus ainsi une véritable institution en Cardiologie. Leurs mises à jour sont attendues frénétiquement chaque année et sont présentées en grande cérémonie lors de meetings internationaux comme celui de la Société Européenne de Cardiologie qui impose pratiquement un monopole sur le sujet.
L'intérêt des guidelines est évident et des études ont montré que leur bonne application permettait d'augmenter la qualité de notre pratique. En poussant le raisonnement à l'extrême, on pourrait presque dire qu'appliquer les guidelines sans réfléchir est plus efficace. Par exemple, si vous avez un patient avec une insuffisance cardiaque avec une mauvaise fonction systolique, vous devez lui donner 'systématiquement' comme base un inhibiteur de l'enzyme de conversion, de l'aldostérone et un bétabloquant, associé idéalement à un défibrillateur implantable, avant de commencer à réfléchir. Si vous ne le faites pas, vous êtes un mauvais cardiologue et on pense même à développer des indices de 'qualité' basé sur ce concept. Les guidelines ont certainement leurs faiblesses et il est important de bien les reconnaître. Par contre, il est difficile d'être expert en tout pour pouvoir valablement mettre en perspective chaque item et d'en discuter l'un ou l'autre point bien spécifique.
De façon globale néanmoins, il faut se rendre contre que ces guidelines sont des recommandations données qui n'ont pas toutes le même degré d'évidence. Certaines sont basées sur des études randomisées à grande échelle, d'autres ne sont basées que sur l'avis de quelques experts (niveau C), avec un risque potentiel de certain biais. Même les recommandations sacro-saintes (niveau IA) basées sur les grandes études randomisées ont leurs limites, la plus grande étant liée à la population étudiée, aux patients qui sont inclus dans l'étude et à ceux qui sont exclus pour une série de raisons. Dans la pratique quotidienne, plus ou moins évaluable par les données extraites des registres, on a plus souvent affaire à des personnes plus âgées et présentant plus de comorbidités, ce qui complique nettement leur prise en charge et ouvrant la porte vers d'indispensables compromis. C'est pourquoi la bonne pratique de la médecine reste un travail artisanal, au sens noble du terme, plutôt qu'une pratique strictement scientifique. Les recommandations sont là pour nous guider, nous aider dans notre réflexion diagnostique et thérapeutique mais ne se veulent pas une obligation à la base. Il serait d'ailleurs déjà intéressant déjà de voir dans sa propre population quel est le pourcentage de patients qui aurait pu être inclus dans 'cette fameuse étude mythique' qui est censée être le socle de notre réflexion.
Actuellement, une tendance peut-être plus pernicieuse se dessine. On parle de trajets de soins, de critères de qualité (si pas d'excellence…) ou encore d'accréditation. La mode est à la création d'algorithmes diagnostiques et thérapeutiques bien précis où le patient se présente à la case 'départ' et grâce à quelques questions judicieuses, il arrive à la case 'diagnostic' d'où il est orienté vers un traitement et arrive à la case 'sortie' après quelques étapes programmées. La dynamique est donc essentiellement binaire dans cette démarche car l'idéal est évidemment de pouvoir tout programmer sur un ordinateur pour simplifier le travail du clinicien, qui répond par oui ou par non, l'ordinateur préférant l'option 'blanc ou noir' sans cases intermédiaires 'gris clair et gris foncé' et encore moins la case 'gris moyen'. Pour une pathologie stéréotypée, le système peut présenter des avantages. Le cas typique est l'infarctus du myocarde de type STEMI, raison pour laquelle ce modèle est souvent choisi par nos décideurs pour tester le concept. Douleur thoracique? Oui. Faire ECG et voir si ST sus décalé? Oui et le patient se retrouve en salle de cathétérisme cardiaque et le reste suit, avec une sortie du patient programmée dès l'admission et avec un traitement pré-enregistré, lettre et facturation comprise. On peut en théorie imaginer toute une série de trajets pour essayer de couvrir les pathologies classiques, comme les pathologies valvulaires par exemple où on peut quantifier une série de données tirées par exemple de l'échographie cardiaque, la case départ étant 'souffle cardiaque'. Le médecin ou voir même son hôpital pourraient être ainsi jugés sur leur efficacité à développer ce type de système avec des critères de qualité à la clé, permettant de gagner le label noir/ jaune/rouge ou super flamand, bon bruxellois ou valeureux wallon! La question à se poser dans un second temps serait de savoir si l'ordinateur seul (intelligence artificielle) sera un jour capable de faire mieux que l'homme.
Cela se complique néanmoins si le patient vient car il est essoufflé car on part d'un symptôme moins spécifique, pouvant être causé par différentes pathologies. La case 'peptides natriurétiques' est intéressante pour départager le coeur du reste (même si toujours pas remboursé en Belgique) mais pas absolue et influencée par des variables de type âge, fonction rénale, sexe, obésité, … La problématique de l'insuffisance cardiaque à fonction ventriculaire gauche préservée illustre bien ce cas avec par exemple un patient essoufflé d'un certain âge, connu pour hypertension artérielle et diabète, qui se présente à la case départ et qui peut être aussi un peu anémique, avoir une petite infection pulmonaire compliquant une pathologie cardiaque sous-jacente dans un contexte de fonction rénale, tout cela sur fond de déconditionnement. Le bon clinicien fait un traitement 'à la carte' des différents éléments (prise en charge pluridisciplinaire gériatrique) mais difficile de prévoir quand on se trouve à la case initiale où on va arriver et cela sans tenir compte du côté psycho-social du patient! Complication supplémentaire pour le système expert: nous n'avons pas de guidelines du traitement de l'insuffisance cardiaque à fonction ventriculaire gauche préservée (sans tenir compte de la problématique du diagnostic de ce qu'on appelait avant l'insuffisance cardiaque sur dysfonction diastolique).
Il sera important de demander à nos décideurs / créateurs de trajet de soin qui développeront ce type de médecine quel est le pourcentage de patients de la vie réelle qui peuvent parcourir un trajet automatique voir même semi-automatique par rapport aux patients nécessitant une approche plus individualisée, surtout dans une population vieillissante et donc combinant bien souvent différentes pathologies. La validation de ces trajets de soins devra être établie mais inévitablement la discussion de savoir comment réaliser une étude randomisée et sur quels critères d'évaluation faut-il la baser va se poser, sans compter bien évidemment l'élément financier sous-jacent de la réalisation et de la validation de ces trajets de soins et de leur suivi. Bien de grands défis en perspective mais sommes-nous actuellement si mauvais que la nécessité de tels changements se pose ou pourrait on simplement dire qu'il vaut mieux investir dans l'éducation des médecins à bien comprendre et appliquer les guidelines existants, en intégrant les particularités de leurs patients, ainsi que leur mise à jour perpétuelle en fonction de l'évolution de nos connaissances.
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