Lors du symposium ESC 'When to optimize heart failure treatment', Michel Komajda (France), Michael Böhm (Allemagne) et Martin Cowie (Angleterre) ont analysé la prise en charge actuelle des patients présentant une insuffisance cardiaque et les manières de l'optimaliser. La session était présidée par Stefan Anker (Allemagne).
La session a débuté par une courte introduction faite par le professeur Stefan Anker. Il a souligné la prévalence importante de l'insuffisance cardiaque dans le monde et le fait que le pronostic reste réservé, malgré les avancées réalisées ces dernières années.
Ensuite, c'est Michel Komajda qui a analysé l'adhérence aux guidelines dans la prise en charge de l'insuffisance cardiaque.
Il a salué les progrès réalisés dans le traitement de l'insuffisance cardiaque, traduits par une diminution de la mortalité ces dernières décennies,1 mais il constate également un taux élevé de réhospitalisations2 qui sont causées dans leur majorité par une décompensation cardiaque.3 Une attention particulière devra être donc accordée aux traitements (impliquant des médicaments ou des dispositifs médicaux) reconnus pour améliorer le pronostic et stabiliser cette maladie.
On constate, ces dernières années, une amélioration dans la prescription de ces classes de médicaments4 mais trop souvent ces traitements sont sous-dosés.3
L'étude observationnelle QUALIFY, qui a inclus plus de 7 000 patients de 547 centres dans 36 pays (entre septembre 2013 et décembre 2014), montrait que seulement 14,8 % des patients avaient atteint la dose-cible de bétabloquant.5 Pourtant, plusieurs études ont démontré un bénéfice clair, suite à l'utilisation des doses-cibles maximales. L'étude ATLAS (1999) montrait une diminution de 12 % du critère combiné, mortalité/hospitalisations quand les doses maximales de lisinopril étaient utilisées (par rapport aux doses basses de lisinopril).6 L'étude MOCHA (1996) qui comparait diverses doses de carvedilol et placebo, montrait également une nette réduction du taux de mortalité pour le groupe carvédilol 25 mg, 2 ×/jour.7 L'étude HEAAL (2009) montrait aussi une réduction du critère combiné mortalité/hospitalisation pour insuffisance cardiaque pour le groupe traité par losartan 150 mg par rapport au groupe losartan 50 mg.8 Les causes de la prescription des doses sousoptimales sont multiples. Par exemple, l'âge de 75 ans ou plus est un prédicteur indépendant pour cette attitude.9 Ensuite, l'organisation de la prise en charge des patients insuffisants cardiaques après une hospitalisation peut être déficitaire. Une analyse réalisée dans les hôpitaux universitaires à Paris montrait que approximativement 20 % des patients ne se sont pas présentés en consultation de contrôle (soit parce qu'ils ont eu un évènement, soit sans raison) et 72 % des patients se sont présentés pour le suivi, mais avec un délai trop long (45 +/- 28 jours).10
Michel Komajda termine son exposé en soulignant que l'adhérence aux guidelines dans la prescription des thérapies recommandées est associée avec une réduction du taux de la mortalité et des réhospitalisations à moyen terme.11
Michael Böhm plaide pour une optimalisation rapide du traitement pour l'insuffisance cardiaque, en s'appuyant sur le risque élevé de réhospitalisation et l'augmentation nette de la mortalité après une hospitalisation pour décompensation cardiaque.12 La phase la plus vulnérable est le premier mois post-hospitalisation, d'où l'extrême importance d'optimaliser rapidement le traitement évidence-based pour l'insuffisance cardiaque13 (figure 1).
La fréquence cardiaque a une valeur prédictive, avec une élévation du risque de 15,6 % pour une accélération de 5 battements cardiaques.14 D'ailleurs, l'étude SHIFT a montré une diminution du critère combiné (mortalité cardiovasculaire et hospitalisation pour l'insuffisance cardiaque) de 18 % dans le groupe ivabradine ou une fréquence cardiaque plus basse a été obtenue.15 Une analyse post-hoc de la même étude, montrait qu'une exposition chronique à l'ivabradine, réduisait le risque de réhospitalisation dans la phase vulnérable (1-3 mois après la sortie de l'hôpital).16 Si on évaluait le NNT (numbers to treat), on remarquait qu'il faut traiter par ivabradine 27 patients pendant une année pour éviter une première hospitalisation pour insuffisance cardiaque et 14 patients par an de suivi pour éviter une réhospitalisation.17
On remarque également que la présence de plusieurs comorbidités est associée avec un plus grand nombre d'évènements cardiovasculaires (mortalité cardiovasculaire et hospitalisation).18 En fait, ces comorbidités peuvents agir par l'intermédiaire de la dysfonction endothéliale, du stress oxydatif et de l'inflammation en provoquant une rupture de plaque athérosclérotique et un infarctus, une progression du remodeling, une dysfonction organique et au final une insuffisance multi-organique.
Martin Cowie a insisté sur le management avant la sortie de l'hôpital et le management à long terme. Actuellement les guidelines recommandent de développer un plan pré-sortie avec des rendezvous fixés (dans la semaine chez le médecin traitant et endéans deux semaines chez le cardiologue) ainsi qu'un programme pour augmenter les doses des médicaments evidence-based et pour évaluer l'éligibilité pour l'implantation des pacemakers +/- défibrillateurs. Les patients devront également être inclus dans des programmes dédiés à l'insuffisance cardiaque.19
Malgré ces recommandations, Martin Cowie note qu'en Angleterre seulement moins de 10 % des patients sortant après un épisode de décompensation cardiaque sont revus endéans les deux semaines dans la clinique d'insuffisance cardiaque, en soulignant ainsi la difficulté de mettre en pratique ces guidelines. Il fait remarquer également les problèmes de tolérance rencontrés lors de l'augmentation des doses; par exemple dans sa pratique, malgré l'essai d'augmenter la dose des bétabloquants, plus de 53 % des patients gardaient une FC > 70/min (soulignant ainsi le rôle important de l'ivabradine). Il donne quelques conseils pour optimiser la prise en charge ; par exemple, un patient ambulatoire, lors d'une visite dans la clinique de l'insuffisance cardiaque, devrait pouvoir bénéficier rapidement, selon les nécessités, de plusieurs services (prise de sang, radiographie, pharmacie).
Le programme 'Optimize Heart Failure Care', a été initié pour améliorer la prise en charge de l'insuffisance cardiaque suite à une hospitalisation et il a été implémenté dans 45 pays. Ce programme consiste en des initiatives qui détermineront la prescription d'un traitement approprié (protocoles cliniques adaptés aux ressources locales, check-lists pré- et post-sortie), l'éducation du patient (application smartphone, 'my HF passport', pour améliorer la compréhension de la maladie, l'adhérence au traitement et encourager l'implication active dans le suivi) et le planning post-sortie.20
L'expérience de ce programme suggère qu'une implémentation réussie nécessite un support des spécialistes locaux d'insuffisance cardiaque, des réunions éducationnelles régulières et une collaboration multidisciplinaires. Les résultats préliminaires suggèrent que l'optimalisation de la thérapie pharmacologique est obtenue par le programme avec peu de nouveaux investissements.
Références
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