Le syndrome de perfusion du propofol (PRIS) est une complication rare, liée à un médicament, dont la cause est multifactorielle. Un bon monitoring de la dose s'avère capital. L'identification précoce du syndrome occupe une place centrale, et les tracés électrocardiographiques et les éléments biochimiques jouent un rôle important sur ce plan.
L'histoire de la maladie
Monsieur S., âgé de 37 ans, est amené aux Urgences après s'être intentionnellement tranché le cou. Dans ses antécédents, nous notons un trouble de personnalité borderline, de l'épilepsie et un syndrome de Korsakov, après des années d'abus d'alcool. Sa consommation de drogues (cannabis et benzodiazépines) est également problématique, et on constate un manque d'encadrement social.
À l'examen clinique, nous voyons un homme stuporeux, en choc hypovolémique. L'auscultation cardiopulmonaire est normale. À la biochimie, nous observons une insuffisance rénale, une défaillance hépatique marquée et une acidose lactique. Une radiographie du thorax s'avère sans particularités, et l'ecg est normal (figure 1). Après une chirurgie fructueuse du cou et des transfusions, le patient est transféré aux Soins intensifs, où il pourra être extubé facilement; les paramètres biochimiques s'améliorent également. Le lendemain, il présente une pneumonie d'aspiration (poumon droit), pour laquelle on instaure une antibiothérapie par pipéracilline-tazobactam. Il est également nécessaire d'instaurer une ventilation invasive et une sédation par propofol (10 ml/h), étant donné une désaturation sévère et une diminution de la conscience. Deux jours plus tard, le patient développe des crises épileptiques récidivantes, suite à un sous-dosage en antiépileptiques. On augmente le propofol à 25 ml/h, et on ajoute du rémifentanil, de la clotiapine et du lévétiracétam au traitement. Finalement, le patient est curarisé, et on instaure des vasopresseurs. Le sixième jour après son admission, le patient est devenu progressivement hypotendu et manifestement tachycarde durant la matinée. La température corporelle, la saturation et les radiographies du thorax étaient normales. L'ecg s'est brusquement modifié de manière dramatique, avec des sus-décalages diffus évolutifs du segment ST, suggestifs d'une atteinte coronaire pluritronculaire (figure 2). Les analyses de laboratoire montraient une élévation de la troponine I (0,45 μg/l), une légère acidose métabolique et une rhabdomyolyse évolutive marquée qui, rétrospectivement, était déjà présente la veille. Une échocardiographie transthoracique pratiquée en urgence n'a toutefois pas montré de zones akinétiques ni d'atteinte valvulaire sévère, ce qui ne concordait pas avec le tracé ecg et rendait un problème d'ischémie coronaire moins vraisemblable, surtout suite à l'absence d'élévation ultérieure de la troponine.
Le propofol a été arrêté vers midi, et on a instauré du midazolam. L'hypotension persistante a nécessité l'augmentation de la noradrénaline. L'ecg montrait un sus-décalage diffus persistant du segment ST (figure 3). Une échocardiographie transthoracique pratiquée quelques heures plus tard a révélé une dilatation et une hypocontractilité des cavités cardiaques droites. Les besoins en vasopresseurs ont augmenté et vers le soir, le patient a développé une bradycardie progressive avec apparition d'un choc cardiogénique. L'échocardiographie révélait alors une mauvaise contractilité globale, notamment du ventricule droit. En dépit de l'augmentation des agents inotropes et des vasopresseurs, le patient a présenté une brusque asystolie et est finalement décédé, après une brève tentative de réanimation cardiopulmonaire.
Sur la base des anomalies à l'ecg, de la biochimie et de la clinique, nous avons posé le diagnostic de 'syndrome de perfusion du propofol'. Rétrospectivement, la vitesse de perfusion du propofol a été calculée comme égale à 25 ml/h = 5,9 mg/kg/h = 98 μg/kg/min.
Considérations
Le propofol est un anesthésique et un sédatif qui se présente sous la forme d'une émulsion huileuse, lipophile, et qui traverse rapidement la barrière hémato-encéphalique, où il stimule les récepteurs gamma.1, 2 Le PRIS est une complication rare liée à l'utilisation de ce produit.1-3 Le syndrome se manifeste comme une défaillance multiorganique. Il n'existe pas de définition universellement reconnue de ce syndrome mais, dans la plupart des cas, on décrit la coexistence d'une acidose métabolique inexpliquée avec un trou anionique élevé et d'une dysfonction cardiaque (toutes deux dans 80 % des cas), associées à au moins une des caractéristiques physiques suivantes: rhabdomyolyse, débouchant éventuellement sur une insuffisance rénale aiguë, hyperlipidémie et fièvre.2, 4, 5
Sur le plan cardiaque, l'apparition d'une insuffisance cardiaque (le plus souvent droite) réfractaire à l'échocardiographie est caractéristique. Les troubles du rythme sont fréquents (allant de la tachycardie ventriculaire à des bradycardies réfractaires, voire à une activité électrique sans pouls avec collapsus cardiovasculaire). Les anomalies à l'ecg en disent long: l'apparition d'une morphologie de type bloc de branche droit et de modifications de type syndrome de Brugada sont considérées comme un signe préterminal d'instabilité cardiaque fatale.2, 6, 7
Le PRIS s'observe surtout en cas de doses cumulatives élevées (> 4 mg/kg/h; > 67 μg/kg/min) et d'administration prolongée (> 48 h), bien qu'il soit de plus en plus souvent décrit après des périodes d'anesthésie plus courtes.4, 5, 8
La cause, complexe et multifactorielle, consiste en une conjonction de modifications biochimiques induites par le propofol, de la pathologie sous-jacente et de l'utilisation d'autres médicaments. Le mécanisme-clé est un déséquilibre entre l'apport d'énergie et sa consommation au niveau des mitochondries. Les effets indésirables précoces, dose-dépendants, sont une insuffisance cardiaque progressive et l'apparition d'une acidose métabolique inexpliquée avec un trou anionique élevé (jusque dans 77 % des cas). Ces effets indésirables précoces sont dus à l'inhibition des chaînes de transport des électrons mitochondriales. Les effets indésirables plus tardifs, qui dépendent du temps, sont les arythmies précédemment décrites, les modifications à l'ecg et la rhabdomyolyse; ils seraient dus à des troubles de l'oxydation mitochondriale des acides gras.3, 4
Toutefois, les caractéristiques classiquement décrites font souvent défaut et, comme ce fut le cas ici, les anomalies à l'ecg peuvent précéder une défaillance cardiaque fulminante.
Les facteurs de risque décrits dans la littérature sont repris au tableau 1. On a déjà développé un système de score relatif au risque de PRIS.9 La réintroduction du médicament après l'apparition de signes suggestifs de PRIS n'est pas indiquée, même après régression des symptômes.4
Il n'existe pas de traitement étiologique. La prise en charge consiste en l'arrêt du médicament et en un traitement de soutien, au moyen d'ECMO (oxygénation par membrane extracorporelle), d'agents inotropes et de dialyse rénale.6, 10
La mortalité est élevée (33-66 %), mais elle semble diminuer. La conscience de l'existence du PRIS et l'éviction des facteurs déclenchants constituent les meilleures mesures préventives. On a décrit que le dosage quotidien des lipides sériques et des CK se révèle utile, mais ce n'est pas toujours le cas.2, 4, 6
Dans le présent cas, l'acidose métabolique typique et classiquement décrite était moins marquée, et d'autres effets indésirables précoces dose-dépendants (l'insuffisance cardiaque progressive) ont précisément été observés après les effets indésirables dépendants du temps, qui surviennent normalement plus tard (anomalies à l'ecg et rhabdomyolyse). Étant donné que le traitement est malheureusement le plus souvent insuffisant, une reconnaissance rapide de ce syndrome est capitale pour une évolution favorable, et cette reconnaissance a précisément été trop tardive ici, notamment en raison de la nature aspécifique des signes cliniques chez ce patient en état critique. En outre, nous savions que ce patient avait fait une tentative de suicide, ce qui avait soulevé des questions éthiques quant à son transfert vers un centre tertiaire en vue d'un traitement par ECMO.
Un monitoring correct de la dose de propofol reste assurément la pierre angulaire de la prévention d'une évolution fatale du PRIS. Toutefois, de fréquents contrôles de l'ecg peuvent attirer l'attention sur l'imminence d'un PRIS, surtout quand on sait qu'un PRIS peut également survenir en cas de monitoring correct de la dose.
Conclusion
Le PRIS va bien au-delà d'une simple perfusion excessive de propofol; il est le résultat d'une conjonction physiopathologique complexe d'une affection sous-jacente sévère, d'une dose cumulative trop élevée de propofol et d'autres facteurs de risque. Une issue heureuse dépend étroitement d'une reconnaissance précoce du syndrome. Toutefois, son diagnostic est souvent un défi, en raison de sa rareté, de la présentation aspécifique et de l'absence fréquente des caractéristiques typiquement décrites de l'affection. De ce fait, le PRIS constitue souvent un diagnostic rétrospectif. Les anomalies à l'ecg peuvent être la clé d'une identification précoce mais, même si le syndrome est détecté à temps, une issue fatale est souvent inéluctable.
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