Publier un rapport complet d'un méga-congrès tel que celui de la Heart Failure Association de l'ESC, organisé à Paris, relève de l'impossible. Je me limiterai donc à mentionner quelques sujets qui m'ont particulièrement marqué, à savoir : deux grands débats, quelques sessions consacrées à de nouveaux agents pharmaceutiques abaissant la kaliémie, bientôt disponibles et susceptibles d'offrir de nouvelles possibilités dans le traitement des patients insuffisants cardiaques sévèrement atteints et, pour terminer, un essai au résultat négatif évaluant l'intérêt ou l'inutilité d'un programme structuré axé sur l'insuffisance cardiaque.
Les ARNI (inhibiteurs de la néprilysine/antagonistes des récepteurs de l'angiotensine) en tant que traitement de première ligne de l'insuffisance cardiaque avec fraction d'éjection réduite (HFrEF)?
POUR (J. McMurray) et CONTRE (M. Jessup)
Un débat très animé a été mené sur le pour et le contre de l'élargissement de l'utilisation des ARNI dans le traitement de la HFrEF. L'utilisation des ARNI est actuellement limitée en Belgique aux patients présentant une FEVG < 35 %, qui restent symptomatiques (classes 2-4 de la NYHA) et qui ont déjà été traités par une 'dose optimale' d'un IECA ou d'un ARA, conformément aux recommandations de l'ESC et à la méthode appliquée dans le cadre de l'essai PARADIGM-HF. Dans l'essai PARADIGM-HF, on a examiné l'effet de l'ajout d'un inhibiteur de la néprilysine (sacubitril) à un traitement existant par IECA/ARA, BB et ARM (antagonistes du récepteur minéralocorticoïde). Les résultats de l'étude PARADIGM-HF se sont révélés à ce point positifs, tant sur le plan du critère d'évaluation principal, à savoir un critère composite consistant en mortalité cardiovasculaire/hospitalisation (- 20 %), que sur le plan de la mortalité totale (- 16 %), que la question peut se poser à juste titre: le moment est-il venu d'intégrer ces agents à un stade nettement plus précoce du traitement médicamenteux, non pas après un traitement par IECA/ARA, mais plutôt d'emblée? Cela permettrait d'éviter les ajustements posologiques parfois difficiles des ARM et des diurétiques de l'anse, qui ne sont pas toujours faciles lors de la transition.
McMurray a donc défendu le point de vue 'POUR', plaidant en faveur d'une utilisation nettement plus large et plus précoce des ARNI. Au cours de son exposé, il a cependant souligné le fait que le bénéfice des ARNI, par rapport aux IECA, était perdu lorsque les taux de proBNP sont supérieurs à environ 5 500 pg/ml.
Jessup, pour sa part, a défendu le point de vue 'CONTRE' et - contre toute attente - a remporté le débat avec brio. Elle fait remarquer que l'essai PARADIGM-HF concernait un groupe de patients extrêmement sélectionné ('enriched population'), dans lequel les patients les plus atteints étaient sous-représentés (environ 95 % relevaient de la classe 2-3 de la NYHA, en d'autres termes < 5 % relevaient de la classe 4 de la NYHA). Dans une phase de préinclusion de l'essai, les patients ont été exposés successivement à une dose d'énalapril de 20 mg par jour et à une dose moyenne et élevée d'ARNI. Ce n'est que lorsque ces deux épreuves étaient tolérées que les sujets étaient effectivement randomisés. Dans la phase de préinclusion, il s'est avéré que près de 20 % des patients étaient intolérants à ces doses élevées d'IECA ou d'ARNI; ces patients ont dès lors quitté l'étude.
Le débat s'est donc conclu sur le constat qu'au vu des informations disponibles chez les patients hospitalisés avec insuffisance cardiaque aiguë associée à une HFrEF, il est trop tôt pour intégrer les ARNI dans le traitement médicamenteux. Cependant (commentaire personnel de M. G.), on peut avancer de nombreux arguments démontrant l'utilité de ne pas attendre que la fonction des patients se détériore en classe IV de la NYHA pour utiliser les ARNI. Les données sont en effet insuffisantes dans ce groupe de patients sévèrement atteints (sous-représentation dans l'étude PARADIGM- HF) et le bénéfice est perdu en cas de taux très élevés de proBNP. De plus, ces patients sont souvent intolérants aux IECA à cause d'une hypotension, d'une insuffisance rénale ou d'une hyperkaliémie. Il semble donc préférable de faire correspondre le groupe cible à une population stable de classe 2-3 de la NYHA qui présente une bonne tolérance pour les doses d'IECA ou d'ARA fondées sur les preuves.
La revascularisation chirurgicale dans l'insuffisance cardiaque due à une cardiopathie ischémique estelle plus efficace que le traitement médicamenteux (TMO ou traitement médicamenteux optimal)?
POUR (E. Velazquez) et CONTRE (D. Perera)
Le débat très animé fut essentiellement consacré aux résultats des études STICH (Surgical Treatment for Ischemic Heart Failure) et STICHES (STICH Extended Study), cette dernière consistant en un suivi de la population de l'étude STICH pendant 10 ans au maximum. Les résultats de ces études ont été publiés dans le New England Journal of Medicine respectivement en 2011 et en 2016. Dans l'étude STICH, les patients présentant une réduction de la FEVG (< 35 %) et une pathologie coronaire ont été randomisés pour recevoir un TMO ou un TMO associé à une revascularisation chirurgicale par pontage aorto-coronarien (CABG). Des exclusions étaient prévues pour la randomisation des patients présentant un angor de classe 3-4 selon la classification de la CCS et une sténose de l'artère coronaire (à l'angiographie) de plus de 50 %, mais il est important de noter que pas moins de 60 % des patients souffraient d'angor (classe 1 ou 2 selon la CCS). Les résultats de l'étude STICH étaient cependant négatifs: après 5 ans, l'examen du critère d'évaluation principal, à savoir la mortalité totale, n'a mis en évidence aucune différence entre le groupe traité par pontage aorto- coronarien et le groupe ayant reçu un traitement médicamenteux. De plus, au cours des deux premières années, la mortalité était nettement plus élevée dans le groupe avec pontage aorto-coronarien; ensuite on observait une tendance (non significative) vers une meilleure survie dans le groupe traité par pontage aorto- coronarien. En 2016, les résultats du suivi jusqu'à 10 ans (STICHES) ont été publiés: ils montrent une meilleure survie chez les patients traités par pontage aorto-coronarien, à la fois sur le plan de la mortalité totale, de la mortalité cardiovasculaire et de l'association mortalité totale/hospitalisation pour affections cardiovasculaires. Velazquez a donc défendu avec grande conviction la supériorité de la revascularisation chirurgicale. Mais, de façon assez inattendue à nouveau, le débat a été remporté par D. Perera, qui a souligné à juste titre certains aspects empêchant que l'on puisse extrapoler simplement les résultats des études STICH/ STICHES à la population actuelle atteinte d'insuffisance cardiaque et de cardiopathie ischémique: la population de l'étude STICH avait en effet un âge moyen de 59 ans, alors que le patient insuffisant cardiaque moyen du Royaume-Uni est âgé de 74 ans à l'inclusion, ce qui augmente fortement le risque de comorbidités. En outre, le risque lié à l'intervention est considérable. De fait, après 30 jours, le patient a un risque de 9 % soit d'être décédé, soit d'être toujours hospitalisé en raison de complications graves. Perera indique que le patient âgé atteint de cardiopathie ischémique et d'insuffisance cardiaque est exposé à un risque peropératoire non négligeable, et n'atteindra peut-être jamais l'âge auquel il pourrait récolter, éventuellement, les bénéfices de l'intervention.
Je partage avec D. Perera la très grande crainte que les données de l'étude STICH/STICHES soient utilisées pour justifier le pontage aorto-coronarien chez des patients âgés qui présentent une insuffisance cardiaque de novo, sans angor ou événement ischémique aigu. Certes, les recommandations de l'ESC pour l'insuffisance cardiaque (2016) préconisent pour l'instant, pour la classe I à IIa, la réalisation d'une angiographie coronaire, respectivement chez les patients présentant une insuffisance cardiaque et un angor réfractaire au traitement, une mort subite avortée ('aborted sudden death') ou une arythmie ventriculaire symptomatique (classe I), ou encore lorsque le profil de risque indique un risque élevé de pathologie coronaire (classe IIa), mais ces recommandations reposent sur des données particulièrement faibles (level C: expert opinion). Il reste que dans bon nombre d'hôpitaux, l'angiographie coronaire fait partie du bilan standard du patient insuffisant cardiaque. Or, la population de patients des études STICH/STICHES n'est guère comparable aux patients hospitalisés aujourd'hui pour insuffisance cardiaque aiguë. Notre population de patients atteints d'insuffisance cardiaque aiguë est en moyenne nettement plus âgée que la population de l'étude STICH, et présente moins fréquemment un angor. De plus, si on examine par exemple les données de la population STICH (annexe supplémentaire à l'article de 2011), on remarque que pas moins de 88 % des patients prenaient déjà un bêtabloquant, et 90 % un IECA ou un ARA, et que 'seulement' 65 % des patients prenaient également un diurétique de l'anse. Dans ces données, on n'observe aucune différence entre le groupe pontage aorto-coronaire/TMO d'une part et le groupe TMO d'autre part; de plus, aucune évolution n'est relevée au cours de la première année. En d'autres termes, dans la population des études STICH/ STICHES également, l'optimisation du TMO avait déjà été obtenue au moment de la randomisation et de la pratique du pontage aorto-coronarien. Même dans ces conditions, les résultats 30 jours après le pontage n'étaient pas concluants (voir ci-dessus). Je souhaite donc lutter afin que la priorité absolue soit aujourd'hui donnée au traitement médicamenteux chez ces patients, à moins qu'une relation étiologique puisse se démontrer entre la pathologie coronaire et l'atteinte du myocarde. À cet égard, la mesure de la réserve coronaire (FFR) et/ou l'imagerie pourraient éventuellement jouer un rôle, p. ex. par le biais d'une scintigraphie MIBI qui permettrait de mettre en évidence une ischémie et/ou des zones d'infarctus, et ainsi prouver que cette observation ne relève pas d'une simple coïncidence de deux pathologies souvent observées avec l'âge. Procéder à une revascularisation chirurgicale chez un patient qui présente un CMP non ischémique et qui souffre par hasard aussi d'une pathologie coronaire sans que celle-ci ne soit à l'origine de l'insuffisance cardiaque me semble une approche dénuée de sens qui entraîne un risque injustifiable.
De nouveaux chélateurs du potassium pour prévenir l'hyperkaliémie et optimiser le traitement médicamenteux de l'insuffisance cardiaque.
Deux sessions de midi intéressantes ont également été consacrées aux nouveaux chélateurs du potassium; la première, qui s'est tenue le samedi, avait trait à Zirconium (Astra Zeneca) et la seconde, organisée le lundi, concernait Patiromer (Vifor), deux molécules qui échangent le potassium présent au niveau de l'intestin respectivement contre du sodium et du calcium. 'Mais qu'est-ce que c'est que ce truc', diront certains. John Cleland souligne que la quasi-totalité des traitements fondés sur les preuves utilisés dans l'insuffisance cardiaque entraîne une augmentation des taux de potassium; c'est certainement le cas des inhibiteurs du système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA) (IECA, ARA, ARM, mais aussi les ARNI (association récente composée d'un inhibiteur de la néprilysine et d'un antagoniste des récepteurs de l'angiotensine), mais aussi des bêtabloquants. L'hyperkaliémie, définie comme > 5 ou > 5,5 mEq/l, a été observée dans l'étude Emphasis HF chez respectivement 32,5 et 8,9 % de la population de l'étude. Les principaux facteurs de risque étaient le diabète, l'insuffisance rénale et une classe NYHA plus élevée (c.-à-d. les patients les plus atteints). L'hyperkaliémie entraîne un sous-dosage des inhibiteurs du système RAAS et certainement aussi des ARM. Pourtant, le pronostic de ces patients est meilleur en cas de posologie optimale des agents inhibant le RAAS. Il est donc important de maîtriser l'hyperkaliémie pour pouvoir optimiser le traitement médicamenteux de l'insuffisance cardiaque. Malheureusement, la tolérance au produit Kayexalate est très mauvaise, ce qui peut induire une nécrose du côlon. En outre, l'hyperkaliémie entraîne une libération d'aldostérone visant à abaisser les taux de potassium, ce qui entraîne alors une rétention sodique et hydrique. Ces deux sessions ont montré que la tolérance aux nouveaux chélateurs du potassium est bonne et qu'ils induisent une réduction efficace et durable de la kaliémie, ce qui permet non seulement de conserver l'utilisation des ARM, mais même d'augmenter leur posologie en vue de maîtriser les symptômes de congestion dans l'insuffisance cardiaque chronique.
Un programme structuré pour l'insuffisance cardiaque permet-il toujours de réduire les coûts?
Les recommandations de 2016 de l'ESC stipulent que la prise en charge pluridisciplinaire du patient insuffisant cardiaque permet de réduire de façon significative le risque de mortalité et d'hospitalisation, et attribuent à ces programmes une recommandation élevée (1A). Mais est-ce toujours le cas? Les résultats de l'étude NT-HF-MP-trial, présentés le 30/4 par Simon Stewart, avaient déjà donné matière à réfléchir. Cet essai a randomisé, dans différents hôpitaux australiens, au final 809 patients qui ont reçu soit une prise en charge conventionnelle, soit un programme de soins intensif avec accompagnement à domicile et suivi téléphonique structuré par un personnel infirmier spécialisé en insuffisance cardiaque; le suivi était de 12 mois et le critère d'évaluation principal était le coût du point de vue économico-sanitaire. Aucune différence n'a été observée entre les deux groupes. Sur le plan de l'hospitalisation et de la mortalité totale également, on n'a observé aucune différence entre la prise en charge standard et le programme pluridisciplinaire. Des résultats décevants donc pour les nombreux médecins qui lancent actuellement un programme de prise en charge, mais qui incitent donc à faire mieux. Selon moi, les tout premiers programmes en matière d'insuffisance cardiaque ont connu un grand succès parce qu'ils avaient été démarrés au sein de centres très engagés ayant un intérêt particulier pour l'insuffisance cardiaque, et ce succès est aujourd'hui compromis par la comorbidité croissante de la population toujours vieillissante qui dépasse les compétences du cardiologue. Ce problème ne pourra être résolu que par le biais d'une prise en charge pluridisciplinaire individualisée qui transcende la sous-spécialisation. La prise en charge optimale d'un patient complexe peut rarement se résumer en un algorithme simple.
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