Si 2016 restera gravée dans les mémoires, beaucoup ne s'en souviendront pas comme d'une année heureuse à laquelle on repense avec joie. Les terroristes n'avaient encore jamais frappé aussi fort ni aussi près que cette année. Les évolutions politiques semblent pointer vers un individualisme accru, les États ayant davantage tendance à se replier sur eux-mêmes dans l'espoir de préserver leur prospérité de manière plus durable, plutôt que d'investir dans une société multiculturelle. Bien que la problématique environnementale n'ait encore jamais été aussi dramatiquement palpable, les dirigeants du monde entier remettent en cause de grands projets d'amélioration de l'environnement.
En Belgique, une nouvelle colère blanche gronde dans le secteur de la santé: les grands espoirs d'améliorations structurelles dans les soins de santé ne seront pas concrétisés. Pire même, le secteur va subir des économies drastiques alors que notre ministre s'était pourtant rendue au conclave budgétaire avec des oursins dans les poches. L'association de ces deux ingrédients risque, premièrement, d'être financièrement fatale pour de nombreux établissements hospitaliers qui ont déjà de l'eau jusqu'au cou et, deuxièmement, d'aggraver plus que jamais le risque de voir nos soins de santé plonger dans un système à deux vitesses. Notre ministre et ses conseillers se défendent en invoquant l'absence de propositions concrètes de la part des partenaires. Loin de cette banalité, la vérité est que le processus décisionnel n'a pas bougé d'un iota: les groupes de pression traditionnels (mutualités, syndicats…) sont cordialement invités à la table des négociations, en sachant que leurs intérêts sont souvent opposés, et l'absence de consensus sert de prétexte pour prendre 'en petit comité' les décisions 'nécessaires'. Tous les débats relatifs aux soins de santé aboutissent au même résultat: les spécialistes sont pointés du doigt pour leurs hauts salaires et pour leur mésusage du système d''honoraires' à des fins d'enrichissement personnel. Voilà qui en découragerait plus d'un parmi la grande majorité des spécialistes honnêtes et motivés, soucieux de fournir les meilleurs soins à leurs patients. Et pourtant… nous avons malgré tout plusieurs raisons de garder le sourire, nous, cardiologues de Belgique:
- Le monde reçoit aussi des impulsions positives et nous devons les mettre en avant.
- La communauté cardiologique de Belgique fait preuve d'une bonne volonté évidente dans l'organisation de soins de qualité.
- La cardiologie reste avant tout une discipline incroyablement passionnante, dans laquelle nous pouvons jouer un rôle influent, en tant que médecins, dans la recherche du bien-être de nos patients.
- Bien que les médias s'acharnent à ne donner écho qu'aux informations négatives, nous pourrions élever le débat avec les événements positifs. Comme les manifestations de solidarité après les attentats. Ou les organisations d'aide humanitaire toujours promptes à porter assistance aux victimes de catastrophes naturelles. Comme le récent sommet climatique et le signal fort envoyé par la Chine, enfin prête à s'attaquer au problème de la pollution. Ou les nombreuses nouvelles PME qui souhaitent réaliser leurs rêves et qui, malgré le climat économique parfois difficile, ont le courage de mettre sur pied des projets parfois risqués, mais ô combien audacieux et prometteurs. Ou encore les nombreux jeunes qui s'investissent toutes les semaines dans les mouvements de jeunesse, sans recevoir un euro en retour, en vue de faire bouger nos enfants de manière créative et de leur inculquer une conscience sociétale, bref, d'en faire de bonnes personnes.
- Dans le domaine de la cardiologie en Belgique, nous devons réagir à la véritable chasse aux sorcières contre les médecins spécialistes. Les soins de première ligne sont naturellement d'une importance cruciale, mais ils bénéficient déjà depuis plusieurs années de mesures bénéfiques, dont nous ne pouvons que nous réjouir. Les décideurs politiques et les économistes de la santé - car, soyons francs, ce sont eux qui définissent aujourd'hui l'organisation des soins de santé - doivent néanmoins enfin avoir l'honnêteté intellectuelle de reconnaître que la médecine spécialiste revêt, elle aussi, une importance vitale si nous souhaitons optimiser la qualité de nos soins. Cette partie de la médecine va de pair avec une haute technicité et requiert un savoir-faire particulier, cela n'a rien de scandaleux. Pas plus que le fait qu'elle soit, dès lors, plus onéreuse. Ce coût plus élevé implique seulement une gestion attentive de notre part. La communauté cardiologique met tout en oeuvre pour y parvenir. Prétendre que nous bottons en touche lorsque nous devons faire des propositions aux décideurs politiques est un mensonge grossier que nous ne pouvons plus accepter ni des décideurs politiques, ni des économistes de la santé. Un petit rappel? À combien de reprises la Société Belge de Cardiologie n'a-t-elle pas imploré le cabinet de la ministre et l'INAMI de prendre des mesures pertinentes pour la cardiologie, sur la base des directives et des recommandations de la Société Européenne de Cardiologie? Chaque fois, nos propositions ont été rejetées en moins de cinq minutes. Et combien de solutions créatives notre ministre actuelle ne s'est-elle pas vu proposer lorsque, au moment de prendre ses fonctions, elle a lancé un appel à tous les professionnels de la santé du terrain, mais combien de réponses avons-nous obtenues en retour? Quels petits cadeaux avons-nous déjà reçus de nos décideurs politiques? Le principal est une gaffe du ministre précédent, qui a avalisé la création de nouveaux centres de cardiologie, alors que tout être un tant soit peu sensé en voit d'emblée l'absurdité et le prix exorbitant. Le ministre précédent fragmentait, la ministre actuelle voit les choses sous un autre jour: la centralisation des soins en réseaux. Une bonne idée en soi, mais en parfaite opposition avec la création de nouveaux centres de cardiologie (bonjour la cohérence politique d'un gouvernement à l'autre). Et qui plus est, ces réseaux doivent être prêts pour la fin de l'année. Comment? Cela reste un mystère!
- La cardiologie a ceci de passionnant qu' il s'agit d'une discipline en perpétuelle évolution, qui cherche et offre réellement des réponses pour améliorer le bien-être de nos patients. Il n'y a pas de meilleure illustration que les récentes données sur le spectre complet des soins fournis à une population victime d'atteintes cardiovasculaires: de la prévention au traitement médicamenteux ou via la cardiologie interventionnelle.
L'ESC vient encore de publier ses nouvelles recommandations en matière de prévention.1 Dans les maladies cardiovasculaires, la prévention est cruciale et particulièrement efficace sur le plan économique lorsqu'elle est mise en place pour la population ad hoc. Un récent rapport du NICE (National Institute for Health and Care Excellence) a ainsi calculé qu'une campagne de santé nationale capable de faire baisser le risque cardiovasculaire de 1 % permet de prévenir 25 000 cas d'affections cardiovasculaires et, partant, d'économiser 40 millions d'euros. La mortalité coronarienne peut déjà être réduite de moitié moyennant une légère diminution des facteurs de risque, par l'adoption de mesures diététiques par exemple. La réduction de la mortalité cardiovasculaire que nous avons enregistrée ces trente dernières années est due pour moitié à la diminution des facteurs de risque cardiovasculaire dans notre population, principalement grâce à la régression de l'hypercholestérolémie, de l'hypertension et du tabagisme. En revanche, l'augmentation des cas d'obésité et de diabète de type II a l'effet inverse, sans oublier que le vieillissement croissant de la population se traduit par une hausse des maladies cardiovasculaires. De par l'impact important que nous pouvons et que nous devons avoir sur les affections cardiovasculaires, ces recommandations sont les plus importantes de toutes les recommandations de l'ESC. Malheureusement, les décideurs politiques belges s'en moquent éperdument. À peine ces directives étaient-elles publiées, soulignant clairement l'importance de mesures fédérales afin de limiter l'accès aux boissons alcoolisées et préconisant la tolérance zéro pour l'alcool au volant (recommandation de niveau 1B), que notre ministre estimait que l'interdiction de vente d'alcool dans les stations-service de notre pays représentait une violation intolérable de notre liberté. Allez donc expliquer cela aux parents qui ont perdu un enfant dans un accident de voiture impliquant un conducteur en état d'ébriété.
Bien que les lancements de nouveaux médicaments ayant un impact significatif sur la survie de nos patients soient moins fréquents qu'au cours des trente dernières années (IECA, bêtabloquants, statines, spironolactone…), l'ARNI (angiotensin-receptor-neprilysin inhibitor) prend aujourd'hui une nouvelle place dans le traitement de l'insuffisance cardiaque avec diminution de la fonction ventriculaire gauche (FEVG < 35 %) pour les patients qui présentent encore des symptômes après une titration optimale d'IECA, bêtabloquants et antagonistes des récepteurs aux minéralocorticoïdes. Désormais, l'ARNI a aussi fait son apparition dans les nouvelles recommandations de l'ESC et représente un nouveau pas en avant dans le traitement de ces patients insuffisants cardiaques.2 De même, dans les recommandations au sujet de la fibrillation auriculaire, les NOAC prennent une place de plus en plus prépondérante dans le traitement du risque thrombo-embolique lié à la fibrillation auriculaire, tandis que l'arrivée de leurs antagonistes améliore leur applicabilité en permettant une inversion immédiate de leur effet.3 Il est encore un peu trop tôt pour bétonner les inhibiteurs du PCSK9 dans les recommandations en matière de prévention cardiovasculaire, étant donné que les CRT supposées prouver leur impact sur la survie sont toujours en cours. Nous les retrouvons cependant déjà dans les recommandations pour le traitement de l'hyperlipidémie, avec un niveau IIb pour les patients à risque cardiovasculaire très élevé et cholestérol LDL élevé persistant en dépit d'un traitement par les doses maximales tolérées de statines en association avec l'ézétimibe, ou pour les patients chez qui les statines sont contre-indiquées.4
Pour les cardiologues interventionnels, et pour les chirurgiens cardiaques, qui se reconvertissent de stratèges du traitement coronaire en spécialistes ès pathologie coronarienne interventionnelle et traitement de la cardiopathie structurelle, l'époque est captivante. Il en va de même pour les technologues en imagerie cardiaque chargés, en concertation avec ces cardiologues interventionnels, du traitement des patients atteints de cardiopathies structurelles. Initialement utilisée dans le groupe inopérable ou le groupe à risque chirurgical très élevé, la technique TAVI a aujourd'hui gagné ses galons. Elle s'est d'ailleurs progressivement étendue au groupe à risque intermédiaire.5 La principale raison justifiant cette extension tient au fait que l'expérience acquise avec la technique, et les nouveaux développements technologiques ayant permis de réduire les fuites paravalvulaires et la nécessité d'une stimulation définitive, ont entraîné une amélioration progressive des résultats, comme l'ont démontré de nombreuses méta-analyses. Nous devons néanmoins faire preuve de prudence lorsque nous introduisons rapidement cette technique dans la jeune population souffrant de sténose aortique, compte tenu du risque de dégradation accélérée.6 En parallèle à la TAVI, le MitraClip est mis à contribution dans le traitement des patients atteints d'insuffisance mitrale primaire et secondaire.7,8 Là aussi, il ne fait aucun doute que les adaptations apportées à la technique percutanée qui était initialement la plus utilisée, le MitraClip, déboucheront sur un élargissement de l'application aux patients à risque opératoire plus faible. La fermeture de l'appendice auriculaire gauche en est un autre exemple, le dispositif Watchman étant associé à la plus grande expérience acquise. Elle apparaît d'ailleurs dans les recommandations de l'ESC au sujet de la fibrillation auriculaire en prévention des thrombo-embolies dans la FA chez les patients courant un risque hémorragique élevé ou une contreindication aux OAC, certes avec un niveau de preuve IIb.3 Les récentes méta-analyses, qui ajoutent également des données réelles issues de registres, pointent elles aussi dans la direction d'une alternative valable à l'anticoagulation en comparaison des NOAC, même si les données sur le sujet sont encore insuffisantes.9
Nous vivons donc une époque stimulante, difficile mais passionnante. Dans notre petite Belgique, l'organisation des soins de santé pose de grands défis et laisse peu de marge à de nouvelles mauvaises mesures. En tant que cardiologues, nous avons l'extraordinaire privilège d'assurer les soins des patients souffrant d'affections cardiovasculaire, ce qui exige une formation continue dans une discipline qui requiert des compétences tant cliniques que techniques. Les pouvoirs publics exigent de nous, à raison, que nous mettions tout en oeuvre pour assurer des soins de qualité, conformément aux données scientifiques actuelles. Montronsnous optimistes face à la nouvelle organisation qui nous attend mais, en tant que 'soignants', nous pouvons exiger de notre gouvernement qu'il mène une politique cohérente et qu'il cesse de fustiger les médecins spécialistes: que chacun commence par balayer devant sa porte!
Références
- Piepoli, M.F. et al. 2016 European Guidelines on cardiovascular disease prevention in clinical practice. Eur Heart J, 2016, 37, 2315-2381.
- Ponikowski, P. et al. 2016 ESC Guidelines for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure. Eur Heart J, 2016, 37, 2129-2200.
- Kirchhof, P. et al. 2016 ESC Guidelines for the management of atrial fibrillation developed in collaboration with EACTS. Eur Heart J, 2016, 37, 2893-2962.
- Catapano, A.L. 2016 ESC/EAS Guidelines for the Management of Dyslipidaemias. Eur Heart J, 2016, 37, 2999-3058.
- Siontis, G. Transcatheter aortic valve implantation vs. surgical aortic valve replacement for treatment of severe aortic stenosis: a meta-analysis of randomized trials. Eur Heart J, 2016, doi:10.1093/eurheartj/ehw225.
- Nappi, F. Pushing the Limits in Transcatheter Aortic Valve Replacement. High-Volume Center's Effect, Overconfidence, or Something Else? JACC: CVi, 2016, 9 (21), 2186-2188.
- Athappan, G. et al. MitraClip Therapy for Mitral Regurgitation. Primary Mitral Regurgitation. Intervent Cardiol Clin, 2016, 5, 71-82.
- Feldman, T. et al. MitraClip Therapy for Mitral Regurgitation. Secondary Mitral Regurgitation. Intervent Cardiol Clin, 2016, 5, 83-91.
- Sahay, S. et al. Efficacy and safety of left atrial appendage closure versus medical treatment in atrial fibrillation: a network meta-analysis from randomised trials. Heart, 2016, 0, 1-9. doi:10.1136/ heartjnl-2016-309782.
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