Le diabète est un important facteur de risque pour le développement précoce d'une athérosclérose coronaire: les diabétiques courent deux fois plus de risques de développer une cardiopathie ischémique. Chez ces patients, les maladies coronariennes évoluent souvent de manière asymptomatique, et elles ne se révèlent qu'au moment où un infarctus myocardique aigu se produit, souvent avec d'importants dommages myocardiques irréversibles.
Une fois le diagnostic posé, le pronostic des diabétiques est communément bien moins bon que celui des non-diabétiques. Le risque d'insuffisance cardiaque est 2 à 5 fois plus élevé, et le risque de décès consécutif à une cardiopathie ischémique est 2 à 4 fois plus élevé que chez les non-diabétiques.1 Globalement, 2 diabétiques sur 3 décèdent des suites de maladies cardiovasculaires.
Étant donné qu'un dépistage précoce pourrait déboucher sur une prévention et un meilleur traitement des maladies cardiovasculaires, la recherche préventive de maladies coronariennes chez les diabétiques asymptomatiques suscite beaucoup d'intérêt.
Bien que le diabète soit associé à un risque plus élevé de maladies coronariennes précoces et de complications y associées, on ne peut estimer que le risque cardiovasculaire d'un diabétique soit aussi élevé que celui d'un non-diabétique souffrant d'une maladie coronarienne connue, selon ce qu'avait déjà suggéré une étude finlandaise.2 Une revue systématique et une méta-analyse de 13 études incluant en tout 45 108 patients ont révélé que les diabétiques asymptomatiques ne représentent pas un 'équivalent du risque coronaire' mais, au contraire, que leur risque d'infarctus myocardique aigu est 40 à 50 % plus faible que celui des non-diabétiques souffrant d'une maladie coronarienne connue.3 Bien qu'ils ne doivent donc pas recevoir un traitement préventif, en tant que 'patients cardiaques', on peut toujours se demander si les diabétiques asymptomatiques doivent subir un dépistage à la recherche d'une maladie coronarienne silencieuse, et quels outils diagnostiques sont les plus appropriés à cet égard.
Un ecg à l'effort semble être la méthode la plus indiquée pour dépister les diabétiques asymptomatiques, étant donné que ce test est peu onéreux et qu'il peut être pratiqué dans tous les services cardiologiques expérimentés. Dans l'étude Look AHEAD (Action for Health in Diabetes), on a évalué la prévalence d'une épreuve d'effortmaximale anormale chez 5 783 patients asymptomatiques d'âge moyen, souffrant de surcharge pondérale/ d'obésité et de diabète de type 2.4 Bien qu'on ait trouvé un test anormal chez 22,5 % des patients, seuls 7,6 % présentaient une ischémie myocardique silencieuse. Dans l'étude DADDY-D, beaucoup plus petite, lors de laquelle les patients ont été randomisés entre un suivi clinique pur et un dépistage au moyen d'une épreuve d'effort, on n'a également observé d'ischémie que chez 7,6 % des patients.5 Lors du suivi ultérieur, il n'y avait pas de différence sur le plan de l'incidence des événements cardiaques majeurs, ni sur le plan du nombre d'épisodes d'insuffisance cardiaque. Le dépistage de routine des diabétiques asymptomatiques au moyen d'un ecg à l'effort identifie donc peu de cas d'ischémie myocardique et, même en cas de revascularisation ultérieure, ceci n'est pas associé à un bénéfice pronostique.
Plusieurs études ont démontré la valeur pronostique de l'échocardiographie de stress chez les diabétiques. Dans une première étude portant sur 937 patients adressés pour une échocardiographie de stress à la dobutamine en raison de plaintes suspectes d'angor, ou dans le cadre d'un suivi en cas de maladie coronarienne connue, la mise en évidence d'une ischémie myocardique était associée à d'importantes informations pronostiques supplémentaires, en plus de celles fournies par les facteurs cliniques et par la présence d'une dysfonction ventriculaire gauche.6 Toutefois, on n'a démontré la présence d'une ischémie myocardique que chez 25 % de ces patients adressés sélectivement. Dans une deuxième étude incluant 5456 patients, parmi lesquels 749 diabétiques, l'échocardiographie de stress s'est avérée aussi efficace pour la stratification du risque chez les diabétiques que chez les non-diabétiques, et ce, indépendamment de l'âge.7 Par rapport à un test négatif, un test anormal révélant une ischémie inductible ou la présence d'une cicatrice d'infarctus était associé à une importante diminution de la survie à 5 ans sur le plan des critères d'évaluation concrets, tant chez les diabétiques que chez les non-diabétiques. Toutefois, après un test négatif, on a observé un doublement de l'incidence de nouveaux événements cardiovasculaires chez les diabétiques, par rapport aux non-diabétiques. Le pronostic d'un test négatif est surtout moins bon chez les diabétiques de plus de 65 ans, chez qui on enregistre chaque année 5,5 % de nouveaux événements cardiaques, versus 2,6 % par an chez les diabétiques de moins de 65 ans et 2,2% par an chez les non-diabétiques de plus de 65 ans. Contrairement au très bon pronostic observé chez les non-diabétiques, une échocardiographie de stress négative chez les diabétiques plus âgés n'offre pas de garantie durable de survie sans événement. De ce fait, il semble indiqué de rechercher une maladie coronarienne silencieuse tous les 2 à 3 ans chez les diabétiques asymptomatiques de plus de 65 ans.
La valeur de la scintigraphie de perfusion myocardique de stress-SPECT pour la stratification du risque des diabétiques est bien documentée.8 Une scintigraphie de perfusion myocardique de stress négative est associée à un bon pronostic à moyen terme. Les diabétiques présentent toutefois une légère augmentation du risque de nouvel événement cardiaque (1,6 % par an) après une scintigraphie de perfusion myocardique de stress négative, comparativement aux non-diabétiques (< 1 % par an).9 Avec la scintigraphie de perfusion myocardique de stress-SPECT, la durée garantie de survie sans événement après un examen négatif est également plus courte chez les diabétiques: le nombre d'événements augmente au bout de deux ans et, chez les patients ayant une fraction d'éjection < 45 % après l'examen de stress, l'augmentation se produit même au bout d'un an.
La prévalence d'ischémie silencieuse chez les diabétiques asymptomatiques examinés au moyen d'une scintigraphie de perfusion myocardique de stress-SPECT est plutôt faible, tout comme après une échocardiographie de stress. Dans l'étude prospective DIAD (Detection of Ischemia in Asymptomatic Diabetics), 1 123 patients ont été randomisés entre un dépistage par scintigraphie de perfusion myocardique de stress et l'absence de dépistage. Chez les patients qui ont été soumis au dépistage, la scintigraphie de perfusion myocardique de stress-SPECT s'est avérée tout à fait normale dans 78% des cas. Parmi les 22 % de patients présentant un quelconque défaut de perfusion ou un trouble de la fonction ventriculaire gauche, seuls 6 % présentaient une ischémie myocardique modérée à étendue.10 L'évolution clinique lors du suivi ultérieur jusqu'à 4,7 ans ne différait pas significativement entre les deux groupes de patients. Ceci a conduit les investigateurs à conclure que le dépistage de routine des diabétiques asymptomatiques ne peut être recommandé.
Dans une étude rétrospective plus récente portant sur 1354 patients asymptomatiques, parmi lesquels 302 diabétiques, la prévalence d'une ischémie myocardique significative d'un point de vue pronostique atteignait 4,4 % dans l'ensemble de la population d'étude.11 La prévalence d'ischémie silencieuse était significativement plus élevée chez les diabétiques (12,5 %) que chez les non-diabétiques (5,6 %). Les diabétiques avaient toutefois un profil de risque plus élevé, avec davantage d'hypertension et surtout davantage d'hyperlipidémie.
Dans la récente étude BARDOT (Basel Asymptomatic high-Risk Diabetes Outcome Trial), quelque 400 diabétiques asymptomatiques ont bénéficié d'une scintigraphie de perfusion myocardique de stress.12 La plupart des patients (78 %) présentaient une scintigraphie de perfusion myocardique normale et avaient un bon pronostic lors du suivi clinique ultérieur (décès, infarctus myocardique ou nouvelle revascularisation chez seulement 2,9 % d'entre eux). Les patients ayant une scintigraphie de perfusion myocardique anormale (22%) couraient, en dépit du traitement instauré, un risque 3 à 4 fois plus élevé de nouvel événement cardiaque et un risque 11 fois plus élevé de développer une maladie coronarienne symptomatique ou une progression silencieuse de cette affection. Les patients ayant une scintigraphie de perfusion myocardique anormale qui ont été randomisés vers une stratégie médicale versus une stratégie médicale-invasive ne présentaient pas de différences sur le plan de leur évolution clinique, mais bien une incidence quadruplée de nouvelle ischémie myocardique ou d'infarctus lors d'une scintigraphie de perfusion myocardique de stress de contrôle, pratiquée deux ans plus tard.
Dès lors, d'une part, un dépistage de routine des diabétiques asymptomatiques au moyen d'une scintigraphie de perfusion myocardique de stress ne doit pas être recommandé, étant donné la prévalence minime d'ischémie myocardique inductible et l'absence d'impact clair sur le pronostic à long terme. D'autre part, cet examen permet malgré tout de détecter un petit groupe de patients à haut risque présentant une ischémie inductible qui, comme l'indique l'étude BARDOT, présentent une maladie coronarienne rapidement évolutive. L'utilité et la rentabilité d'une scintigraphie de perfusion myocardique de stress peuvent être augmentées en utilisant ce test de manière sélective, en l'occurrence uniquement chez les patients courant un risque clinique prétest élevé de maladie coronarienne obstructive. Dans des études rétrospectives, la mise en évidence d'une ischémie silencieuse était liée au nombre de facteurs de risque coronaire11 et à la présence de complications du diabète telles que maladie vasculaire périphérique, rétinopathie, micro-albuminurie et neuropathie. On a proposé un score calcique coronaire en tant que 'gatekeeper' pour la réalisation d'une scintigraphie de perfusion myocardique de stress sélective chez les diabétiques asymptomatiques.13 Un score calcique > 100 HU augmentait la prévalence d'ischémie myocardique silencieuse modérée à sévère jusqu'à 31,5 % et, lors d'une analyse de régression logistique multivariée, le score calcique s'est avéré le seul facteur prédictif d'ischémie silencieuse.14
L'avènement de l'angiographie-CT coronaire a permis de se faire une idée de l'étendue et de la sévérité de l'athérosclérose coronaire, et ce, de manière non invasive. Parmi les 1 823 diabétiques ne présentant pas de cardiopathie ischémique préalablement connue, inclus dans le registre CONFIRM, seuls 24 % ne présentaient pas de lésions d'athérosclérose coronaire démontrables à l'angio- CT coronaire.15 On a noté une maladie coronarienne non obstructive chez 23 % des diabétiques, et une atteinte obstructive chez 52 % d'entre eux. Comparativement aux non-diabétiques, les diabétiques courent un risque de décès deux fois plus élevé. Les diabétiques souffrant d'une maladie coronarienne non obstructive ou obstructive courent également un risque de décès deux fois plus élevé que les diabétiques ayant un angio-CT coronaire normal.
Bien que l'angio-CT coronaire permette de se faire une idée précise de l'athérosclérose coronaire, importante sur le plan pronostique, un dépistage de routine des diabétiques asymptomatiques au moyen d'un angio-CT coronaire ne paraît toutefois pas judicieux. Dans l'étude FACTOR- 64, 900 diabétiques ont été randomisés entre un dépistage par angio-CT coronaire et un suivi médical classique.16 Dans cette étude, l'utilisation de l'angio- CT coronaire n'était pas liée à une quelconque diminution du critère d'évaluation composite constitué de la mortalité, des infarctus myocardiques non fatals ou de l'angor instable, durant une période de suivi d'au moins quatre ans. Il est important de signaler que, dans cette étude également, l'incidence d'événements cardiaques chez les diabétiques était relativement faible (2 % par an), quoique plus élevée que chez les non-diabétiques (1,6 % par an).
L'absence du moindre bénéfice clinique lié au dépistage des diabétiques, à la recherche d'une ischémie myocardique inductible au moyen d'une scintigraphie de perfusion myocardique ou d'une échocardiographie de stress, en dépit d'une prévalence élevée d'athérosclérose coronaire qui peut être révélée de manière non invasive par angio-CT coronaire, doit également être interprétée à la lumière des résultats de l'étude BARI 2D.17 Dans cette étude, une revascularisation coronaire au moyen d'une chirurgie de pontage n'a apporté aucun bénéfice aux patients diabétiques, sur le plan de la survie à cinq ans, comparativement au traitement médical optimal. Chez les diabétiques, il semble plus fondamental d'agir sur les causes métaboliques et inflammatoires de la vasculopathie plutôt que d'essayer, à un moment donné de l'évolution de leur coronaropathie rapidement évolutive, d'améliorer la perfusion myocardique par le biais d'une revascularisation mécanique; chez les diabétiques, elle sera en effet toujours imparfaite, étant donné le caractère diffus de leur vasculopathie.
En résumé, un dépistage de routine des diabétiques asymptomatiques à la recherche d'une ischémie myocardique inductible ne semble pas judicieux. Étant donné la faible prévalence d'ischémie myocardique, les coûts d'un dépistage de routine risquent d'être prohibitifs, surtout si on utilise pour ce faire des outils diagnostiques modernes state-ofthe- art. En outre, on ne dispose pas de preuves suffisantes indiquant que le traitement de revascularisation offre un avantage en matière de survie dans ce groupe de patients. Les recommandations actuelles18, 19 laissent cependant une place au dépistage d'un groupe de diabétiques à haut risque, défini sur la base de paramètres cliniques. Il faut mettre sur pied davantage d'études sur les nouveaux biomarqueurs (e.a. troponines cardiaques ultrasensibles), qui peuvent aider à définir un groupe à haut risque et à déterminer quels diabétiques peuvent tirer des bénéfices d'une intervention de revascularisation. Nous devons toutefois garder en tête qu'il est possible que la perspective de cette problématique change radicalement, si on devait connaître un tournant dans le traitement médical du diabète (inhibiteurs du cotransporteur sodium-glucose de type 2?20) … de la même manière que l'arrivée de statines puissantes a révolutionné le traitement des maladies coronariennes stables.
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