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La cardiomyopathie du péripartum
  • Sofie Gevaert 

La cardiomyopathie du péripartum (CMP-PP) est une forme d'insuffisance cardiaque gauche systolique associée à une fraction d'éjection réduite, qui survient en fin de grossesse ou dans les mois qui suivent. Il s'agit d'un diagnostic d'exclusion, ce qui signifie que le diagnostic ne peut être retenu que si d'autres causes ont été exclues. Comme exemples, citons une cardiomyopathie (CMP) héréditaire, une valvulopathie sévère, une CMP ischémique, une insuffisance cardiaque liée à une (pré-)éclampsie grave, une myocardite, une CMP toxique et une CMP de stress. Le tableau clinique peut être très variable : certaines femmes présentent une symptomatologie légère et guérissent sans séquelles, tandis que d'autres connaissent une évolution très grave avec un risque important de complications majeures, de dysfonction ventriculaire gauche persistante, voire de décès ou de nécessité d'une transplantation cardiaque. Les symptômes peuvent être confondus avec des symptômes liés à la grossesse, ce qui peut conduire à un diagnostic tardif à un moment où l'affection est déjà très avancée, comme le montrent deux cas cliniques issus de la pratique. En cas d'apparition de symptômes de dyspnée en péripartum, en particulier s'ils sont disproportionnés ou surviennent de manière assez aiguë, il est indiqué de doser le (NT-pro)BNP et de procéder à une échocardiographie le plus rapidement possible. Au cours de la phase aiguë, une prise en charge pluridisciplinaire dans un centre spécialisé est indiquée. Le traitement est similaire à celui de l'insuffisance cardiaque en dehors de la grossesse, seuls les IEC (inhibiteurs de l'enzyme de conversion de l'angiotensine), les ARB (antagonistes des récepteurs de l'angiotensine) , inhibiteurs du SGLT2 et la spironolactone étant contreindiqués pendant la grossesse. L'utilisation de la bromocriptine pour traiter une CMP-PP reste controversée.

Deux cas cliniques issus de la pratique

Une grossesse peut se compliquer d'une cardiopathie aiguë dans près de 4 % des cas, et cela constitue la principale cause de décès péripartum dans le monde occidental. Les femmes présentant une cardiopathie préexistante courent un risque plus élevé d'insuffisance cardiaque, mais une insuffisance cardiaque aiguë peut également survenir chez des femmes ne présentant pas de pathologie cardiaque connue au préalable.

Cas 1

Une femme de 28 ans n'ayant pas d'antécédents cardiaques était à 37 semaines de sa deuxième grossesse lorsqu'elle s'est présentée à deux reprises aux Urgences en raison d'une dyspnée apparue assez récemment et survenant au moindre effort. On a pensé à de l'hyperventilation, prescrit du diazépam et programmé une induction quelques jours plus tard. Le jour de l'induction, elle présentait une dyspnée marquée, avait le teint terreux et était tachycarde et hypotendue. Une échocardiographie pratiquée en urgence a révélé une diminution très importante de la fonction ventriculaire gauche et la patiente a été transportée d'urgence dans un centre tertiaire, où elle a accouché d'un enfant mort-né et a été placée sous machine coeur-poumon artificiel en raison d'un choc cardiogénique profond. N'ayant pas récupéré sa fonction cardiaque, elle a subi avec succès une transplantation cardiaque, après une période de transition avec une assistance mécanique.

Cas 2

Une femme de 24 ans a été hospitalisée six mois après la naissance de son premier enfant en raison d'une insuffisance cardiaque systolique marquée. Rétrospectivement, elle a réalisé qu'elle ne se sentait déjà pas bien depuis l'accouchement, souffrant d'une fatigue extrême et d'une dyspnée lors d'efforts mineurs. Cette situation a longtemps été attribuée à une dépression du post-partum. Après l'instauration d'un traitement de l'insuffisance cardiaque, nous avons observé une récupération progressive mais incomplète de la fonction ventriculaire gauche.

Un bilan étiologique complet n'a pas permis de trouver de cause à l'insuffisance cardiaque chez ces deux patientes, et on a donc retenu le diagnostic de cardiomyopathie du péripartum.

Qu'est-ce qu'une cardiomyopathie du péripartum ?

La CMP-PP est une cardiomyopathie idiopathique qui se manifeste par une insuffisance cardiaque due à une diminution de la fonction systolique du ventricule gauche, survenant en fin de grossesse ou au cours des mois suivants, sans qu'une cause sous-jacente puisse être identifiée. Ici, la fraction d'éjection ventriculaire gauche doit être < 45 % et le ventricule gauche peut être dilaté ou non. L'évolution ultérieure peut être très variable, comme l'illustrent les deux cas : certaines patientes peuvent présenter une récupération complète ou non de la fonction ventriculaire gauche, tandis que d'autres connaissent une évolution fulminante pouvant nécessiter une assistance mécanique temporaire ou permanente, voire une transplantation cardiaque.1, 2

En résumé, les critères diagnostiques suivants sont utilisés :

  • Insuffisance cardiaque due à une dysfonction systolique du ventricule gauche (fraction d'éjection < 45 %) ;
  • Apparition en fin de grossesse ou dans les premiers mois suivant l'accouchement ;
  • Absence d'étiologie sous-jacente démontrable.

Épidémiologie et facteurs de risque

L'incidence de la CMP-PP varie considérablement en fonction de l'ethnie et de la région. L'incidence la plus élevée est observée en Afrique (1 sur 100 naissances au Nigeria) et en Haïti (1 sur 300 naissances). Aux États-Unis, l'incidence varie entre 1/1000 et 1/4000, en Europe entre 1/1 500 (Allemagne) et 1/10 000 (Danemark). L'incidence est plus élevée chez les femmes afro-américaines et le risque augmente avec l'âge (> 30 ans), le nombre de grossesses et en cas de grossesse multiple. En outre, l'hypertension, la pré-éclampsie, le tabagisme, le diabète, la malnutrition et l'utilisation de bêta-agonistes ont été décrits comme des facteurs prédisposants.1, 2

Physiopathologie

L'étiologie de la CMP-PP n'est pas encore totalement comprise et est probablement multifactorielle. Des modèles animaux ont montré que la prolactine joue un rôle important en raison de sa toxicité vasculaire et de ses propriétés pro-apoptotiques. On observe des mutations génétiques susceptibles d'être liées à la cardiomyopathie chez 20 % des patientes. Chez ces patientes, le stress physiologique de la grossesse pourrait en quelque sorte 'révéler' une cardiomyopathie non encore identifiée.1, 2

Diagnostic

Pour pouvoir diagnostiquer une CMP-PP, il doit y avoir une forte suspicion clinique lorsque des femmes présentent des symptômes de dyspnée en fin de grossesse ou peu après celle-ci, en particulier lorsqu'ils sont disproportionnés par rapport à l'effort fourni ou lorsqu'ils surviennent brusquement la nuit. Environ deux tiers des diagnostics sont posés dans les premiers jours suivant l'accouchement. En plus de la dyspnée, les patientes signalent souvent de la fatigue, des oedèmes et une sensation d'oppression. À l'examen clinique, on peut observer une tachypnée, une tachycardie, une augmentation de la pression veineuse jugulaire, des crépitants à l'auscultation pulmonaire et des oedèmes. Cependant, l'analyse des patientes incluses dans le registre européen des cardiomyopathies du péripartum a montré que les oedèmes et les crépitants peuvent être absents chez jusqu'à 40 % des patientes.3 Une minorité de patientes présente un choc cardiogécardiogénique, des troubles du rythme sévères et/ou des complications thrombotiques.

Deux outils diagnostiques jouent un rôle essentiel pour le diagnostic : le dosage des peptides natriurétiques, BNP (brain natriuretic peptide) ou NT-proBNP, et l'échocardiographie. Le BNP et le NT-proBNP ne sont pas élevés en cas de grossesse non compliquée, mais ils sont fortement augmentés en cas de CMP-PP. En outre, une échocardiographie doit être réalisée à la moindre suspicion de CMP-PP ; en effet, la mise en évidence d'une diminution de la fonction ventriculaire gauche à l'échocardiographie est essentielle au diagnostic. En cas de tableau clinique sévère avec insuffisance respiratoire et/ou état de choc, il s'agit du premier examen à réaliser. Dans certains cas, on constate un thrombus intracardiaque en plus de la diminution de la fonction ventriculaire gauche, étant donné que la CMP-PP est une affection prothrombotique. La CMP-PP est un diagnostic d'exclusion, de sorte qu'il faut recourir au diagnostic différentiel pour exclure d'autres problèmes tels qu'une CMP héréditaire, des valvulopathies sévères, une CMP ischémique, hypertrophique ou toxique (après un traitement anticancéreux). D'autres formes aiguës d'insuffisance cardiaque à exclure sont l'insuffisance cardiaque aiguë liée à une (pré-)éclampsie sévère, une CMP de stress et une myocardite. En cas de (pré-)éclampsie sévère, l'insuffisance cardiaque est principalement due à une insuffisance cardiaque diastolique.1, 2 Après la stabilisation initiale, d'autres examens diagnostiques peuvent être planifiés, tels qu'une coronarographie, une IRM (résonance magnétique) cardiaque, des tests génétiques et, dans de rares cas, une biopsie myocardique.

Traitement

Traitement de l'insuffisance cardiaque

Le traitement de l'insuffisance cardiaque diffère peu du traitement de l'insuffisance cardiaque en dehors de la grossesse et dépend de la sévérité du tableau clinique et de l'apparition pendant ou après la grossesse.

Insuffisance cardiaque aiguë sévère et choc cardiogénique

Si la patiente présente une insuffisance cardiaque sévère (hypoxie sévère ou choc), elle doit être stabilisée en veillant à optimiser la précharge, l'oxygénation (oxygène, ventilation invasive ou non) et la stabilisation hémodynamique (agents inotropes, vasodilatateurs, assistance circulatoire mécanique). En cas de survenue d'une insuffisance cardiaque réfractaire ou d'un choc cardiogénique en fin de grossesse, une césarienne urgente doit être pratiquée. Une prise en charge pluridisciplinaire est essentielle et il convient de transférer la patiente dès que possible dans un centre expérimenté en cardio- obstétrique et offrant des possibilités d'assistance circulatoire mécanique et de cardiochirurgie. Les recommandations européennes préconisent la mobilisation rapide d'une équipe pluridisciplinaire de cardio-obstétrique afin de prendre des décisions rapides concernant la suite du diagnostic et du traitement. Pour ce faire, il est important qu'une collaboration pluridisciplinaire existe déjà, de sorte qu'en situation aiguë, on sache directement à qui s'adresser. Cette équipe se compose au minimum de représentants des services de Cardiologie, d'Obstétrique et d'Anesthésiologie, ayant tous une expérience de la prise en charge des grossesses à haut risque chez les femmes souffrant d'une cardiopathie. En situation aiguë, il peut s'avérer nécessaire de faire appel à des experts supplémentaires issus de différents services : Soins intensifs cardiaques, Cardiologie interventionnelle, Chirurgie cardiaque et Néonatologie.4

Insuffisance cardiaque avec pression artérielle préservée

En cas de pression artérielle préservée et de signes de surcharge, il faut administrer des diurétiques dès que possible pour atteindre un état euvolémique, en évitant une diurèse excessive. Pendant la grossesse, les IEC, les ARB et la spironolactone sont contre-indiqués en raison de leur toxicité foetale. Comme vasodilatateurs alternatifs, on peut alors utiliser de l'hydralazine, avec ou sans dérivés nitrés. Après l'accouchement, le traitement classique de l'insuffisance cardiaque peut être entamé. Chez les femmes qui allaitent, l'énalapril ou le captopril sont les IEC de choix. Le sacubitril-valsartan et les inhibiteurs du SGLT2 sont déconseillés pendant la grossesse et l'allaitement.

Prévention des complications thromboemboliques

La CMP-PP est associée à un risque accru de complications thromboemboligènes; dans le registre européen des CMP-PP, ces complications ont été observées chez 7 % des patientes.3 Par conséquent, une anticoagulation thérapeutique est recommandée en cas de forte diminution de la fonction ventriculaire gauche, et ce, pendant 6 à 8 semaines après l'accouchement.

Bromocriptine

Étant donné que la prolactine joue un rôle dans la physiopathologie de la CMP-PP, la bromocriptine, qui bloque la libération de la prolactine, a fait l'objet d'études plus approfondies en tant que traitement étiologique possible. Deux petites études contrôlées par placebo menées en Afrique du Sud ont montré une amélioration de la fonction ventriculaire gauche. Un registre allemand a constaté une amélioration plus importante de la fraction d'éjection, sans différence sur le plan du degré de récupération entre les patientes traitées et non traitées. Une étude allemande randomisée n'a pas noté de différences sur le plan des résultats entre 2 schémas posologiques différents (2,5 mg/jour pendant 1 semaine ou 2,5 mg 2x/jour pendant 1 semaine, suivis de 2,5 mg/jour pendant 6 semaines). Les recommandations européennes indiquent qu'un traitement par bromocriptine 'doit être envisagé'. Aux États-Unis, ce traitement est encore considéré comme expérimental. Étant donné que la bromocriptine est associée à un risque thrombotique accru, les patientes doivent toujours recevoir une anticoagulation thérapeutique. En outre, il faut tenir compte des implications pour la patiente et l'enfant, car la bromocriptine empêche l'allaitement.1, 4

Plan d'accouchement

Comme décrit ci-dessus, une césarienne urgente est indiquée en cas d'insuffisance cardiaque sévère réfractaire ou de choc cardiogénique. Si la patiente en fin de grossesse peut être stabilisée, un plan d'accouchement pluridisciplinaire doit être établi en concertation avec la patiente et l'équipe de cardio-obstétrique. En cas d'insuffisance cardiaque stabilisée, l'accouchement par voie basse est préférable, à moins que des raisons obstétricales ne justifient une césarienne. Après l'accouchement, il existe un risque accru de surcharge résultant d'une autotransfusion par les contractions utérines et de la mobilisation du liquide extravasculaire. Ceci peut être anticipé dans le plan d'accouchement.

Pronostic

La CMP-PP est associée à un risque accru de morbi-mortalité, tant maternelle que néonatale. Dans le registre européen des CMP-PP, la mortalité maternelle et néonatale atteignait respectivement 7 % et 5 % après six mois. Aux États-Unis, la mortalité maternelle à 1 an était comprise entre 4 et 11 %.

La fraction d'éjection ventriculaire gauche au moment du diagnostic constitue un facteur pronostique important, une fraction d'éjection < 30 % étant associée à des chances de guérison moindres et à un risque accru de complications. Néanmoins, nous observons une récupération complète de la fonction ventriculaire gauche chez certaines patientes, pouvant parfois prendre jusqu'à deux ans après le diagnostic. La récupération de la fonction ventriculaire gauche s'est produite chez moins de la moitié des patientes (46 %) après six mois dans le registre européen, où on a noté une dysfonction ventriculaire gauche sévère persistante chez 28 % des patientes. Après la récupération de la fonction ventriculaire gauche, il est recommandé de poursuivre le traitement de l'insuffisance cardiaque.1, 3

Les grossesses ultérieures sont associées à un risque accru de récidive, même en cas de récupération partielle ou complète de la fonction ventriculaire gauche. Chez les patientes dont la fonction cardiaque reste réduite, les grossesses ultérieures sont associées à un risque accru d'insuffisance cardiaque et sont même contre-indiquées si la fonction ventriculaire gauche est fortement diminuée. Il est donc très important d'informer la patiente au sujet des risques et de lui proposer une contraception adéquate. Si une patiente souhaite une grossesse ou tombe enceinte après avoir été informée, un suivi attentif par l'équipe de cardio-obstétrique est indiqué.

Conclusion

La possibilité d'une CMP-PP doit toujours être envisagée chez les femmes qui développent des symptômes de dyspnée disproportionnée ou aiguë en péripartum. Le dosage des peptides natriurétiques et l'échocardiographie sont essentiels pour poser le diagnostic à temps. Une fois le diagnostic confirmé, une approche pluridisciplinaire est indiquée, idéalement dans un centre tertiaire à même d'assurer cette approche pluridisciplinaire, une assistance circulatoire mécanique et une chirurgie cardiaque. Bien qu'une récupération complète de la fonction ventriculaire gauche soit possible grâce au traitement de l'insuffisance cardiaque, plus de la moitié des patientes gardent un certain degré de dysfonction ventriculaire gauche imposant, dans de rares cas, la nécessité d'une transplantation cardiaque.

Références

  1. Davis, M.B., Arany, Z., McNamara, D.M., Goland, S., Elkayam, U. Peripartum Cardiomyopathy: JACC State-of-the-Art Review. J Am Coll Cardiol, 2020, 75 (2), 207-221.
  2. Bauersachs, J., König, T., van der Meer, P., Petrie, M.C., Hilfiker-Kleiner, D., Mbakwem, A. et al. Pathophysiology, diagnosis and management of peripartum cardiomyopathy: a position statement from the Heart Failure Association of the European Society of Cardiology Study Group on peripartum cardiomyopathy. Eur J Heart Fail, 2019, 21 (7), 827-843.
  3. Sliwa, K., Petrie, M.C., van der Meer, P., Mebazaa, A., Hilfiker-Kleiner, D., Jackson, A.M. et al. Clinical presentation, management, and 6-month outcomes in women with peripartum cardiomyopathy: an ESC EORP registry. Eur Heart J, 2020, 41 (39), 3787-3797.
  4. Regitz-Zagrosek, V., Roos-Hesselink, J.W., Bauersachs, J., Blomström-Lundqvist, C., Cífková, R., De Bonis, M. et al. 2018 ESC Guidelines for the management of cardiovascular diseases during pregnancy. Eur Heart J, 2018, 39 (34), 3165-3241.

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