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La cardiomyopathie arythmogène
  • Ruben Hoffmann , Pieter Koopman , Thomas Phlips , Johan Vijgen 

La cardiomyopathie arythmogène (CMA) est une affection rare mais grave, caractérisée par le remplacement des cellules myocardiques par du tissu adipeux cicatriciel. Ce phénomène se produit principalement dans le ventricule droit, bien qu'une atteinte du ventricule gauche soit de plus en plus souvent identifiée, ce qui explique pourquoi, ces dernières années, l'ancienne terminologie de cardiomyopathie ventriculaire droite arythmogène (CVDA) a été abandonnée. La prévalence est estimée à 1/2000-1/5000 en fonction de la localisation géographique, et la population atteinte est plutôt masculine.1 Cette maladie progressive peut entraîner des arythmies ventriculaires, une insuffisance cardiaque et une mort subite. À cet égard, le risque est surtout majoré chez les jeunes athlètes. Il est capital de connaître la pathologie, les manifestations cliniques et le diagnostic de la CMA pour pouvoir la traiter et prévenir les issues néfastes.

Physiopathologie

La CMA est avant tout une maladie génétique qui se transmet souvent selon un modèle autosomique dominant avec une pénétrance variable. Chez environ deux tiers des patients chez qui on a diagnostiqué une CMA, on trouve un variant causal qui, dans la majorité des cas, peut être ramené à 1 des 8 gènes principaux. Ceux-ci peuvent être subdivisés en deux groupes, le plus important étant le groupe des variants codant pour les desmosomes. On pense que ce groupe représente environ 60 % de tous les cas de CMA.2

Les gènes pathologiques impliqués sont principalement la plakophiline-2 (PKP2, 20-46 % de tous les cas), la desmoplakine (DSP, 10 %), la desmogléine-2 (DSG2, 10 %), la desmocolline (DSC2, 5 %) et la plakoglobine de jonction (JUP, < 1 %).1

Ce groupe de défauts génétiques entraîne une altération de l'intégrité structurelle des cellules myocardiques et commence au niveau moléculaire par des anomalies dans les desmosomes. Les desmosomes sont les protéines responsables de l'intégrité mécanique du myocarde par la liaison intercellulaire des cellules myocardiques.3 L'apparition d'un défaut entraîne une moins bonne adhésion cellulaire, éventuellement suivie d'une apoptose. Outre les gènes codant pour les desmosomes, il existe également des variants pathogènes des gènes codant pour les protéines de la jonction adhérente, les structures du cytosquelette et les canaux ioniques. À cet égard, il existe 3 variants, et les preuves les plus importantes concernent la protéine transmembranaire 43 (TMEM43), la desmine (DES) et le phospholambane (PLN).1

Que l'affection soit due à un défaut dans les gènes codant pour les desmosomes ou dans les gènes codant pour une autre protéine, la conséquence ultime dans le cadre de la CMA est l'apoptose. Lorsque ces cellules myocardiques meurent, elles sont remplacées par du tissu adipeux cicatriciel, ce qui interrompt la structure normale des ventricules et entrave leur fonction. Ces modifications structurelles au sein du myocarde normal génèrent des zones d'instabilité électrique, qui peuvent servir de substrat à des circuits de réentrée, lesquels peuvent à leur tour servir de mécanisme pour l'apparition de tachyarythmies ventriculaires. En outre, l'inflammation joue un rôle dans la progression de l'affection. Ceci a été observé sur plusieurs biopsies myocardiques effectuées chez des patients souffrant de CMA. Bien que cette réponse inflammatoire n'ait pas encore été élucidée, elle pourrait amplifier les lésions myocardiques, favorisant ainsi la progression de la maladie.1

Signes cliniques

Le tableau clinique de la CMA peut varier considérablement, allant des sujets asymptomatiques aux patients souffrant d'arythmies sévères ou d'insuffisance cardiaque. Chez une proportion significative de la population souffrant de CMA (~10 %), on peut même observer un arrêt cardiaque ou une mort subite cardiaque. Les symptômes apparaissent souvent à l'adolescence ou au début de l'âge adulte, bien qu'ils puissent survenir à tout âge. Les symptômes fréquents sont entre autres des palpitations, une syncope et, dans les cas graves, un arrêt cardiaque soudain. La pratique intensive d'un sport est un fréquent déclencheur d'épisodes arythmiques, ce qui explique pourquoi les jeunes athlètes courent un risque accru.

La variabilité de la présentation clinique implique que la CMA est difficile à diagnostiquer à un stade précoce. Ceci souligne l'importance d'une grande vigilance chez les personnes ayant des antécédents familiaux de la maladie ou des événements arythmiques inexpliqués.

Diagnostic

Le diagnostic de la CMA est difficile à poser, étant donné sa variabilité phénotypique et le chevauchement avec d'autres cardiomyopathies. Une combinaison de critères cliniques, de techniques d'imagerie et de tests génétiques est souvent nécessaire. C'est dans cette optique que les critères révisés de la Task Force ont été rédigés en 2010, avec une extension en 2020 pour fournir également une recommandation pour la CMA gauche.4, 5 Ces critères fournissent une base complète pour le diagnostic, avec six catégories subdivisées en critères majeurs et mineurs (figure 1).

Les critères du tableau 1 peuvent être utilisés pour poser un diagnostic clinique. Pour ce faire, on recherche d'abord la présence de critères relatifs au côté droit. S'ils sont présents, un diagnostic définitif peut être posé en présence de deux critères majeurs ou de quatre critères mineurs. Un diagnostic borderline peut être posé sur la base d'un critère majeur + deux critères mineurs ou de trois critères mineurs. On parle de CMA possible en présence de deux critères mineurs. Ici, on établit une distinction supplémentaire entre une CVDA et une CMA biventriculaire sur la base de la présence de critères relatifs au ventricule gauche.

En l'absence de critères relatifs au VD, on parle de cardiomyopathie ventriculaire gauche arythmogène si le testing génétique a également révélé la présence d'un variant pathogène supplémentaire.

Dysfonction globale ou régionale et anomalies structurelles

L'imagerie cardiaque joue un rôle crucial dans le diagnostic de la CMA. L'échocardiographie est utilisée comme examen initial pour évaluer les dimensions, la fonction et les anomalies structurelles (comme l'akinésie, la dyskinésie ou des anévrismes) des ventricules droit et gauche. Sur le plan échographique, c'est surtout la dilatation du ventricule droit qui est importante. Toutefois, l'imagerie par résonance magnétique cardiaque (IRMC) est plus sensible et plus spécifique, car elle permet de visualiser en détail l'infiltration fibreuse et les anomalies régionales du mouvement de la paroi. En outre, l'IRMC peut être complétée d'une étude du rehaussement tardif par gadolinium pour une caractérisation pariétale plus poussée.5

Biopsie endomyocardique

Bien qu'il s'agisse d'une procédure invasive, la biopsie endomyocardique peut fournir des preuves importantes de la présence de tissu fibreux et d'infiltrats inflammatoires. Les échantillons tissulaires sont généralement prélevés dans le ventricule droit et analysés en termes de caractéristiques histologiques. Celles-ci consistent en un nombre limité de myocytes par rapport au tissu fibreux. Le pourcentage résiduel de myocytes détermine s'il s'agit d'un critère majeur. La sensibilité est cependant limitée en raison de la nature focale de la maladie, et une biopsie négative n'exclut pas une CMA. La procédure comporte des risques, notamment de perforation cardiaque et d'arythmies, de sorte qu'elle est généralement réservée aux cas où les autres méthodes diagnostiques ne sont pas concluantes.1

Troubles de la repolarisation

Les inversions de l'onde T dans les dérivations précordiales droites (V1-V3) chez des sujets de > 14 ans sont les principaux troubles de la repolarisation. Ici, la présence d'un bloc de branche droit est la principale raison pour laquelle un trouble de la repolarisation est considéré comme un critère majeur (absent) ou mineur (présent).5

Troubles de la dépolarisation

Les ondes epsilon (petites déflexions positives à la fin du complexe QRS en V1-V3) et une durée prolongée des QRS (> 55 ms) dans les dérivations précordiales droites sont les principaux troubles de la dépolarisation et de la conduction dans le cadre de la CVDA. Ces anomalies reflètent le remodelage structurel et électrique du ventricule droit (figure 2).

Arythmies ventriculaires

Outre les anomalies visibles sur un ecg au repos, les arythmies ventriculaires constituent également une catégorie importante. Ces arythmies sont limitées dans le temps et ne sont souvent pas visibles sur un ECG au repos. Dans ce cas, on peut recourir au Holter ou à un autre monitoring ambulatoire de l'ecg pour repérer des troubles du rythme transitoires. À cet égard, la présence d'extrasystoles ventriculaires à raison de > 500/24 h est aussi importante que la présence d'une tachycardie ventriculaire (non soutenue).

Testing génétique

Le testing génétique à la recherche de mutations connues liées à la CMA peut confirmer le diagnostic et il est surtout utile pour le dépistage des membres de la famille. L'identification d'une mutation pathogène fournit la preuve définitive de la maladie et constitue un bon argument pour le dépistage des membres de la famille à haut risque. Cependant, l'absence de mutation n'exclut pas le diagnostic, étant donné l'hétérogénéité génétique de la maladie. En outre, des variants de signification inconnue peuvent compliquer l'interprétation des résultats des tests génétiques, ce qui souligne la nécessité d'un conseil génétique exhaustif.1,5

Traitement

Les principaux objectifs du traitement de la CMA sont la prévention de la mort subite cardiaque, le contrôle des arythmies et le traitement de l'insuffisance cardiaque. Une prise en charge pluridisciplinaire impliquant des cardiologues, des généticiens et des électrophysiologistes est nécessaire. En outre, il est nécessaire de procéder à une stratification du risque, car certains patients présentent un risque plus élevé de mort subite cardiaque. Sur ce plan, on établit une distinction entre les facteurs de risque mineurs, majeurs et élevés. Néanmoins, une approche individualisée est nécessaire.

Patients à haut risque

En présence d'un antécédent d'arrêt cardiaque, de tachycardie ventriculaire soutenue ou d'une dysfonction ventriculaire gauche ou droite très sévère (FE < 35 %), il existe une recommandation de classe 1 pour l'implantation d'un DCI. Cette recommandation est ramenée à une classe 2a chez les personnes présentant comme facteurs de risque une syncope, une tachycardie ventriculaire non soutenue et/ou une dysfonction modérée à sévère du ventricule gauche (36-45 %) ou du ventricule droit (36-40 %).

Patients à faible risque

Le jeune âge, le sexe masculin, un antécédent familial, une inversion de l'onde T, la fragmentation des QRS ou des tachycardies ventriculaires stimulées lors d'un examen électrophysiologique sont décrits comme des facteurs de faible risque. Dans ce groupe de patients, il existe une indication de classe 2b pour l'implantation d'un DCI. Si aucun des facteurs de risque susmentionnés n'est présent, le risque d'événement indésirable grave (SAE) est très faible, et un DCI n'est pas indiqué.

Modifications du style de vie

Compte tenu de la forte association entre la pratique d'un sport intensif et les événements arythmiques en cas de CMA, on recommande généralement à tous les patients d'éviter les sports de compétition et les activités physiques intenses. Une activité physique modérée peut être autorisée sous surveillance médicale. À cet égard, des contrôles réguliers (annuels) sont recommandés.

Traitement pharmacologique

À ce jour, il existe peu de données concrètes concernant la pharmacothérapie de la CMA. Si on envisage une approche médicamenteuse, les bêtabloquants sont la pierre angulaire du traitement, car ils diminuent la stimulation adrénergique qui peut déclencher des arythmies. En ce qui concerne d'autres antiarythmiques comme le sotalol, l'amiodarone ou la flécaïnide, il n'y a pas de consensus pour les utiliser systématiquement. Il est également important de noter que le traitement médicamenteux n'est pas une alternative au traitement par DCI. Le traitement médicamenteux standard de l'insuffisance cardiaque est indiqué en cas d'évolution vers une insuffisance cardiaque chronique.

Traitement par DCI

Les défibrillateurs cardioverteurs implantables (DCI) sont indiqués chez les patients ayant un antécédent de tachycardie ventriculaire soutenue, les sujets ayant survécu à un arrêt cardiaque soudain ou les patients présentant une dysfonction ventriculaire droite ou gauche sévère et un risque arythmogène élevé.

Ablation par cathéter

Pour les patients souffrant de tachycardie ventriculaire récidivante qui n'est pas correctement contrôlée par les médicaments ou l'implantation d'un DCI, l'ablation par cathéter peut s'avérer efficace. Cette procédure consiste à cartographier et à brûler le substrat arythmogène pour prévenir les arythmies et est le plus souvent nécessaire dans le ventricule droit. L'ablation endocardique n'est pas toujours suffisante. Une intervention combinée avec une ablation épicardique est souvent nécessaire. Bien que l'ablation par cathéter puisse réduire le fardeau des arythmies, elle n'est pas curative et les patients ont souvent besoin d'un traitement médical continu et d'un suivi.

Transplantation cardiaque

En cas de CMA terminale avec insuffisance cardiaque réfractaire ou arythmies incontrôlables, une transplantation cardiaque peut être envisagée. Il va de soi qu'il s'agit d'un dernier recours, étant donné les risques et complications associés à la procédure.

Conclusion

La cardiomyopathie arythmogène est une maladie génétique complexe qui a des implications considérables pour les personnes touchées, surtout les jeunes athlètes. Un diagnostic précoce et un traitement approprié sont essentiels pour prévenir la mort subite cardiaque et améliorer la qualité de vie. La base génétique de la maladie souligne l'importance du dépistage familial et du conseil génétique. Les études en cours sur les mécanismes génétiques et moléculaires de la CMA permettent d'espérer la découverte future de traitements plus efficaces et de stratégies préventives potentielles. L'augmentation constante de notre compréhension de la maladie ira également de pair avec une amélioration de notre capacité à combattre ses effets dévastateurs. De plus amples études sont toutefois nécessaires pour y parvenir.

Références

  1. Krahn, A.D., Wilde, A.A.M., Calkins, H., La Gerche, A., Cadrin-Tourigny, J., Roberts, J.D. et al. Arrhythmogenic Right Ventricular Cardiomyopathy. JACC Clin Electrophysiol, 2022, 8 (4), 533-553.
  2. Xu, Z., Zhu, W., Wang, C., Huang, L., Zhou, Q., Hu, J. et al. Genotype-phenotype relationship in patients with arrhythmogenic right ventricular cardiomyopathy caused by desmosomal gene mutations: A systematic review and meta-analysis. Sci Rep, 2017, 7 (1), 41387.
  3. Bharathan, N.K., Mattheyses, A.L., Kowalczyk, A.P. The desmosome comes into focus. J Cell Biol, 2024, 223 (9).
  4. Marcus, F.I., McKenna, W.J., Sherrill, D., Basso, C., Bauce, B., Bluemke, D.A. et al. Diagnosis of arrhythmogenic right ventricular cardiomyopathy/dysplasia: proposed modification of the task force criteria. Circulation, 2010, 121 (13), 1533-1541.
  5. Graziano, F., Zorzi, A., Cipriani, A., De Lazzari, M., Bauce, B., Rigato, I. et al. The 2020 “Padua Criteria” for Diagnosis and Phenotype Characterization of Arrhythmogenic Cardiomyopathy in Clinical Practice. J Clin Med, 2022, 11 (1), 279.
  6. Towbin, J.A., McKenna, W.J., Abrams, D.J., Ackerman, M.J., Calkins, H., Darrieux, F.C.C. et al. 2019 HRS expert consensus statement on evaluation, risk stratification, and management of arrhythmogenic cardiomyopathy. Heart Rhythm, 2019, 16 (11), e301-72.

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