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Sommes-nous prêts à traiter le risque inflammatoire dans la maladie cardiovasculaire ?
  • Raymond Kacenelenbogen

Compte rendu du congrès de l'European Atherosclerosis Society à Lyon

Cadre du débat

La participation d'un mécanisme inflammatoire à l'évolution de la plaque athéromateuse, connue depuis Virchow et démontrée par des expériences sur la paroi artérielle de lapins hypercholestérolémiques, est au centre d'études cliniques en prévention primaire et secondaire (figure 1).

Le risque relatif n'est que de 1,5 en tenant compte du cholestérol LDL, mais il s'élève à 2,8 en tenant compte du cholestérol LDL et de la (hs)CRP (cut-off retenu dans les études : 3 mg/l). On pourra utilement consulter un calculateur en ligne pour déterminer le score de Reynolds.

Prévention secondaire

Depuis 2017, plusieurs études ont testé des traitements anti-inflammatoires spécifiques. En effet, s'il est connu que les maladies inflammatoires « systémiques » (lupus érythémateux disséminé, polyarthrite chronique, maladie digestive inflammatoire chronique) sont d'importants facteurs de risque CV, les traitements non spécifiques (cortisone) ne réduisent pas ce risque, et les anti-inflammatoires inhibiteurs de la COX-2 l'augmentent.

Dans des études observationnelles, le méthotrexate avait montré une réduction des événements CV chez des patients traités pour une arthrite rhumatoïde ou psoriasique. Un traitement à faible dose a été étudié par P. Ridker et al. dans l'étude CIRT (Cardiac Inflammation Reduction Trial)1 chez des patients diabétiques et présentant des antécédents d'infarctus ou de maladie coronaire tritronculaire. Cette étude n'indiquait aucun effet protecteur, et une augmentation des tests hépatiques a conduit à son arrêt. Les tests inflammatoires (CRP, IL-1β, IL-6) n'étaient pas modifiés. Une étude a posteriori a montré que le risque est lié à un taux élevé d'IL-6 (figure 2).

Les statines elles-mêmes ont un effet anti-inflammatoire, déjà suspecté dans l'étude JUPITER et bien étudié. Elles inhibent la réaction inflammatoire « innée» des cellules immunitaires (dont les macrophages présents dans l'intima artérielle) : au niveau de la paroi cellulaire, des récepteurs «Toll Like » répondent moins à la stimulation par les cristaux de cholestérol (CC) et par le cholestérol oxydé (oxLDL). Certaines statines (pas toutes) inhibent également dans le cytosol l'activation des inflammasomes, responsables de l'augmentation des interleukines. Pour l'atorvastatine, l'effet principal passe par la diminution du NF-κB intranucléaire (figure 3). La rosuvastatine diminue moins l'activité de l'inflammasome (in vivo), et la simvastatine, au contraire, augmente cette activité.2

Une étude récente de randomisation mendélienne3 montre que l'action anti-inflammatoire des statines ne passe pas par IL-6.

Cependant, chez des patients traités par statine (à haute dose), si la CRP diminue, IL-6 ne change pas ; la diminution de la CRP passe au niveau hépatique par le géranylgéranyl-PP (en aval dans la voie du mévalonate). Les statines ont donc une action incomplète sur l'inflammation ; c'est là la base du concept, développé par P. Ridker, de « risque inflammatoire résiduel » (après traitement optimal par antiagrégant et statine).

Depuis le développement des traitements par anticorps monoclonaux, il était donc logique d'essayer le canakinumab (anticorps anti-IL-1β). L'étude CANTOS4 a inclus 10 061 patients après un infarctus, avec une CRP élevée. Le canakinumab a, comme anticipé, réduit les paramètres inflammatoires et les événements CV (3,86 événements pour 100 patients par année, vs placébo : 4,5 événements, soit un risque relatif de 0,86). Le traitement a réduit la hsCRP de 60 % ; le cholestérol LDL et la tension sont restés inchangés. Une sous-étude a montré une réduction plus importante de la mortalité CV dans le groupe où l'on constate une réduction du taux circulant d'IL-6, le dosage trois mois après la première injection se situant en dessous de la médiane (mortalité CV réduite de 52 %, mortalité globale réduite de 48 % à cinq ans). Le développement du canakinumab a cependant été arrêté, en raison d'un résultat jugé insuffisant par comparaison avec le prix élevé de la molécule (mais aussi en raison d'une augmentation modérée du nombre d'infections pulmonaires).

Les idées les plus simples étant parfois les meilleures, la colchicine à faible dose a été donnée à des patients après un infarctus.

L'étude COLCOT5 a montré, dans les 30 jours après un infarctus, une diminution de 23 % du risque relatif (objectif primaire composite). Le résultat était surtout positif grâce à la diminution des réhospitalisations pour revascularisation et grâce à la diminution des AVC. Le taux de CRP n'était pas significativement diminué chez les patients traités (vs placébo). En insuffisance coronaire stable : l'étude LoDoCo (0,5 mg/jour vs rien, 532 patients traités par antiagrégant plaquettaire et statine pendant trois ans) a donné des résultats nettement positifs : risque relatif de 0,33 sur l'objectif primaire combiné syndrome coronaire aigu (SCA) + mort subite extra-hospitalière + AVC non cardio- embolique. Cependant, cette étude n'est pas généralisable (absence de placébo, pas en double aveugle, nombre de patients et durée insuffisants).

La colchicine présente les intérêts suivants :

  • sécurité de la molécule, connue de longue date (effets secondaires digestifs mineurs à faible dose) ;
  • coût très bas (pas de brevet) ;
  • inhibiteur de l'inflammasome, complexe présent dans les macrophages des plaques actives d'athérome, stimulés par les CC et par l'oxLDL. L'inflammasome est l'usine qui produit les IL (1β, 18, 6) via l'unité centrale qui est une caspase.

Une étude plus ample, LoDoCo2 (5522 patients, dont 80 % avaient eu un infarctus datant de plus de six mois), en double aveugle avec placébo et d'une durée de 29 mois, a été publiée en 2020. Le résultat en matière d'objectif primaire était positif (risque relatif : 0,69 ; 2,5 vs 3,6 événements pour 100 patients par année). Une sous-étude de 2017 a permis de stratifier le résultat selon les antécédents de SCA.6

Bien que toutes les courbes montrent une amélioration de l'objectif primaire, le risque relatif est le plus bas (0,55) lorsque la colchicine a été débutée à distance d'un SCA (deux à sept ans).

La séance était organisée sous la forme d'un débat pro-contra, l'accusation étant confiée à Ulrich Laufs (Université de Leipzig), qui a d'emblée avoué avoir eu du mal à trouver des arguments contre la nécessité d'un traitement anti-inflammatoire (risque résiduel). La question à résoudre est de mieux cibler ce traitement. Tout le monde (y compris l'étude de randomisation mendélienne) admet que la CRP, qui reste un excellent marqueur (et dont le dosage est facile), n'est en aucun cas la cause de l'évolution de la maladie athéromateuse. La colchicine est certes efficace, mais il reste une place importante pour de nouveaux traitements (en particulier ciblant IL-6).

L'étude ZEUS (ziltivekimab) a débuté en 2021 (figure 7).

Ridker a par ailleurs initié l'étude RESCUE : ziltivekimab chez des patients insuffisants rénaux, avec CRP > 2. Les résultats préliminaires sur les paramètres sanguins montrent une diminution de la CRP de 90% (et une diminution de la Lp(a) de 25%).

Actuellement, que pouvons-nous faire en pratique?

  • Les recommandations européennes et américaines (2021 et 2023) font état de la possibilité d'utiliser la colchicine en prévention secondaire, et depuis juin 2023, la FDA permet l'usage de la colchicine à faible dose (0,5 mg/jour) chez les patients ayant soit une atteinte CV, soit un haut risque CV (prévention primaire).
  • En prévention primaire, une sélection logique des patients serait : nombreux facteurs de risque (outre le cholestérol LDL) ET score calcique élevé ET hsCRP élevée (>3 mg/l). L'étude LoDoCo2 incluait aussi des patients sans antécédents CV, mais à haut risque.
  • La place la plus importante est en prévention secondaire, certainement pas en compétition, mais en synergie avec les statines, en présence d'une hsCRP élevée. Il est à retenir que la colchicine ne doit pas être commencée au stade aigu de l'infarctus (étude COVERT-MI tout à fait négative) ; son efficacité est à long terme.
  • Surtout, le dosage de la CRP est un outil qui permet de motiver les patients à suivre les recommandations « hygiéno- diététiques » (régime « méditerranéen », contrôle du surpoids, arrêt de la cigarette et pratique régulière d'une activité physique), car elles ont un effet mesurable sur la diminution de la CRP, de même que les inhibiteurs SGLT2 et les agonistes des récepteurs GLP-1.

Références

  1. Ridker, P.M., Everett, B.M., Pradhan, A., MacFadyen, J.G., Solomon, D.H., Zaharris, E. et al. Low-Dose Methotrexate for the Prevention of Atherosclerotic Events. N Engl J Med, 2019, 380 (8), 752-762.
  2. Koushki, K., Shahbaz, S.K., Mashayekhi, K., Sadeghi, M., Zayeri, Z.D., Taba, M.Y. et al. Anti-inflammatory Action of Statins in Cardiovascular Disease: the Role of Inflammasome and Toll-Like Receptor Pathways. Khadijeh Koushki et al. Clin Rev Allergy Immunol, 2021, 60 (2), 175-199.
  3. Yazdanpanah, M., Yazdanpanah, N., Chardoli, M., Deghan, A. Role of interleukin 6 signaling pathway in the anti-inflammatory effects of statins on coronary artery disease: Evidence from Mendelian randomization analysis. Int J Cardiol, 2024, 406, 131964.
  4. Ridker, P.M., Everett, B.M., Thuren, T., MacFadyen, J.G., Chang, W.H., Ballantyne, C. et al. Antiinflammatory Therapy with Canakinumab for Atherosclerotic Disease. N Engl J Med, 2017, 377 (12), 1119-113.
  5. Tardif, J-C., Kouz, S., Waters, D.D., Bertrand, O.F., Diaz, R., Maggioni, A.P. et al. Efficacy and Safety of Low-Dose Colchicine after Myocardial Infarction. N Engl J Med, 2019, 381, 2497-2505.
  6. Opstal, T.S.J., Fiolet, A.T.L., van Broekhoven, A., Mosterd, A., Eikelboom, J.W., Nidorf, S.M. et al. Colchicine in Patients With Chronic Coronary Disease in Relation to Prior Acute Coronary Syndrome. J Am Coll Cardiol, 2021, 78 (9), 859-866.

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