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Sténose aortique sévère chez le patient à faible risque : remplacement valvulaire chirurgical ou percutané ?
  • Jerrold Spapen 

La sténose aortique est la pathologie valvulaire la plus fréquente. Dans la grande majorité des cas, elle est due à une calcification progressive de la valve et se manifeste à un âge avancé. La prévalence de la sténose modérée à sévère est estimée à 3-5 % chez les patients de plus de 75 ans. Les anomalies congénitales, telles que les valves bicuspides, peuvent entraîner une dégénérescence prématurée. Il n'est pas rare que ces patients développent une sténose sévère avant l'âge de 60 ans. La sténose aortique rhumatismale est rare dans les pays occidentaux.

L'échocardiographie transthoracique est fondamentale dans le diagnostic. Une sténose sévère est définie comme un gradient de pression transvalvulaire moyen > 40 mmHg et une surface valvulaire calculée < 1 cm² (< 0,6 cm² indexé) pour un débit systolique normal. Une dysfonction ventriculaire gauche sévère ou une petite cavité ventriculaire gauche peuvent conduire à des débits systoliques très faibles, de sorte que le gradient et par conséquent le grade de la sténose peuvent être sous-estimés. Un bilan plus approfondi incluant entre autres un CT scan cardiaque, une échocardiographie de stress à la dobutamine ou un cathétérisme cardiaque est alors indiqué pour révéler une sténose sévère.1

à ce jour, il n'existe aucun traitement médical permettant de prévenir la maladie ou d'en ralentir la progression. En moyenne, la valve se rétrécit de 0,1 cm² par an. Le pronostic d'une sténose aortique symptomatique sévère est mauvais, avec une mortalité rapportée allant jusqu'à 50 % après 1 an et 90 % après 5 ans.2 Par conséquent, dans ces cas, les recommandations européennes prévoient une indication de classe I pour le remplacement valvulaire aortique. Chez les patients asymptomatiques présentant une sténose sévère, une intervention est indiquée en cas de dysfonction ventriculaire gauche, d'épreuve d'effort anormale, de sténose très sévère ou rapidement évolutive, de calcification valvulaire prononcée ou de valeurs très élevées du (NT-pro)BNP.3

Pendant plus d'un demi-siècle, le remplacement chirurgical de la valve aortique (SAVR) a été la seule option thérapeutique. De nombreux patients, généralement âgés et présentant parfois des comorbidités sévères, n'entraient dès lors plus en ligne de compte pour ce traitement, en raison du risque périopératoire élevé, souvent inacceptable. Le remplacement transcathéter de la valve aortique par voie percutanée (TAVI) a été développé pour que ces patients puissent quand même être traités. Depuis l'implantation de la première valve TAVI par Alain Cribier en 2002, les résultats de cette technique mini-invasive ont largement été étudiés et comparés au SAVR dans des études randomisées.4 En résumé, ces études montrent que le TAVI améliore significativement le pronostic des patients inopérables et que la technique est au moins équivalente au SAVR chez les patients présentant un risque opératoire élevé, intermédiaire et faible.5,6 Sur la base de ces résultats, la Société européenne de Cardiologie recommande le TAVI chez les patients de plus de 75 ans, quel que soit leur profil de risque.3 Ces dernières années, le nombre de procédures TAVI a fortement augmenté, avec un quasi-doublement entre 2015 et 2021 dans une vaste étude observationnelle américaine. Bien que la plupart des valves percutanées aient été implantées chez des patients plus âgés, la plus forte augmentation (un facteur de 2,7) a été enregistrée chez les patients de moins de 65 ans. En 2021, 48 % des sténoses aortiques dans ce groupe d'âge, généralement des patients à faible risque, ont été traitées par voie percutanée.7

Cependant, l'utilisation du TAVI chez des patients de plus en plus jeunes présentant un faible risque opératoire soulève des questions et fait l'objet d'un débat dans la littérature récente. D'une part, le pronostic après un SAVR est très bon chez ces patients. Dans une étude récente, la survie à 8 ans après la chirurgie était de 95 % chez les patients de moins de 75 ans ou ayant un score STS-PROM < 1 %.8 D'autre part, on dispose de peu de données sur les résultats après un remplacement valvulaire percutané à long terme, ce qui est évidemment problématique vu que l'espérance de vie d'un patient à faible risque après l'intervention est souvent > 10 ans. Une méta-analyse récente de 7 études randomisées (tous profils de risque) a montré une incidence significativement plus faible de mortalité et d'événements cérébrovasculaires au cours des 6 premiers mois suivant un TAVI comparativement à un SAVR. Cependant, après 24 mois, on a observé une augmentation de la mortalité dans le groupe TAVI et les patients étaient significativement plus souvent hospitalisés.9 Les données des études PARTNER 2A, OVSERVANT et GARY ont également montré un avantage en termes de survie après 2 ans pour le groupe d'étude traité par chirurgie.10

Il ne fait aucun doute que le TAVI est beaucoup moins invasif que la chirurgie cardiaque, que la convalescence est plus courte et que les complications telles qu'hémorragie majeure, insuffisance rénale aiguë et fibrillation auriculaire sont moins fréquentes. Il s'agit toutefois de complications périprocédurales aiguës, qui sont essentiellement pertinentes pour les patients âgés à haut risque, le « groupe cible » initial de la technique. Néanmoins, après un TAVI, on documente significativement plus de fuites paravalvulaires et on observe un nombre nettement plus élevé de troubles de la conduction nécessitant l'implantation d'un pacemaker. Ces complications potentielles sont corrélées à de moins bons résultats et il est donc important d'en tenir compte quand on traite des patients plus jeunes.5,6 Une méta-analyse récente a fait état d'un risque plus élevé de réintervention, attribué au risque plus élevé d'insuffisance paravalvulaire significative.11 L'accès coronaire plus difficile après un TAVI pose également question. En effet, le délai « door-to-balloon » est nettement plus long et le taux d'échec de la PCI est jusqu'à 4 fois plus élevé chez les patients traités par TAVI (comparativement aux patients n'ayant pas subi de TAVI), présentant un infarctus myocardique avec sus-décalage du segment ST.12 En outre, on dispose de peu de données sur la durabilité à long terme de la valve TAVI et la définition de la dysfonction valvulaire n'est pas uniforme dans les différentes études. Il est frappant de constater que de telles données ne sont également pas disponibles pour les bioprothèses implantées chirurgicalement, qui sont pourtant considérées comme la référence. En effet, dans la littérature chirurgicale, on utilise souvent la nécessité d'une réintervention comme définition de la dysfonction valvulaire, et les données échocardiographiques font souvent défaut. Ceci conduit à une sous-estimation probablement significative de la réelle dégénérescence des valves chirurgicales et rend difficile la comparaison avec la détérioration des valves percutanées. Néanmoins, dans les études plus anciennes, les valves TAVI ne sont pas structurellement moins performantes que la référence historique et elles semblent même se dégrader moins rapidement. Leur profil hémodynamique est également généralement meilleur (surface valvulaire calculée plus grande et gradient transvalvulaire plus faible).11, 13

étant donné que les bioprothèses ont une durée de vie limitée, il est important de tenir compte de la nécessité potentielle d'une réintervention lorsqu'elles sont implantées chez des patients jeunes à faible risque. Il n'existe pas de données solides permettant de privilégier une stratégie particulière. Sur la base de la littérature la plus récente, un SAVR en première intention, suivi d'un TAVI valve-in-valve semble être une séquence acceptable.3, 14 L'explantation de la valve TAVI est la procédure cardiochirurgicale qui connaît la plus forte augmentation ces 5 dernières années. étant donné qu'il est souvent nécessaire de réparer ou de remplacer simultanément la racine aortique et/ou la valve mitrale, cette procédure est complexe et donne de moins bons résultats qu'un SAVR isolé, de sorte qu'il est donc préférable de l'éviter.8, 15 Le TAVI-in-TAVI est peut-être la meilleure stratégie pour des patients sélectionnés présentant un risque chirurgical élevé et ayant une anatomie optimale.14, 16

L'an dernier, les résultats à 5 ans de l'étude PARTNER 3 et les résultats à 4 ans de l'étude EVOLUT Low Risk ont été publiés. Il s'agit des études randomisées les plus anciennes, portant spécifiquement sur des patients à faible risque (score STS-PROM < 2 %). L'âge moyen au moment de l'inclusion était respectivement de 73 et 74 ans. Un résultat frappant de l'étude PARTNER 3 est que la différence initiale sur le plan de la mortalité et des événements cérébrovasculaires en faveur du groupe TAVI, observée 1 an après la procédure, n'était plus significative après 5 ans. Entre 1 et 5 ans de suivi, on a enregistré une mortalité plus élevée dans le groupe TAVI, davantage d'hospitalisations et d'événements cérébrovasculaires. Bien que les différences ne fussent pas significatives, ces résultats donnent à réfléchir. Les données de l'étude EVOLUT Low Risk sont plus rassurantes à cet égard, avec une mortalité plus faible et moins d'AVC tout au long du suivi dans le groupe TAVI. Une autre conclusion importante de ces études est qu'on n'a pas noté de différences significatives sur le plan de la dégénérescence entre les valves implantées par voie percutanée ou chirurgicalement. On a documenté significativement plus de cas d'insuffisance paravalvulaire après un TAVI, mais, contrairement aux études plus anciennes, il s'agissait en majeure partie de fuites légères qui n'avaient pas d'impact sur la mortalité.17, 18 Ceci pourrait être lié à l'amélioration constante des dispositifs TAVI, à l'évolution des techniques d'imagerie avec une meilleure détermination de la taille de la prothèse et un meilleur planning de la procédure, et peut-être aussi à l'anatomie moins complexe de la région valvulaire aortique native chez les patients à faible risque comparativement aux patients à haut risque.14 De même, dans l'étude NOTION (inclusion > 70 ans, indépendamment du profil de risque), dont les résultats ont été publiés cette année après 10 ans de suivi, on n'a pas noté de différences significatives en termes de mortalité, d'événements cérébrovasculaires ou de dégénérescence valvulaire entre les patients traités par voie percutanée ou chirurgicale.19

Il est important de noter que dans toutes les études, les sténoses aortiques « classiques » high-gradient ont été traitées avec une fonction ventriculaire gauche systolique généralement normale. Les patients présentant une bicuspidie (une cause fréquente de sténose aortique chez les patients plus jeunes !), une maladie coronarienne complexe, une valvulopathie concomitante significative et une vasculopathie périphérique sévère avec des problèmes d'accès ont été exclus. Les études ont également inclus nettement plus d'hommes (65-70 %). Par conséquent, les résultats ne peuvent être purement et simplement extrapolés à la pratique quotidienne. En outre, les études étaient sponsorisées par l'industrie et chaque étude n'a porté que sur un seul type de valve. L'étude DEDICATE répond en partie à ces préoccupations. Dans cette étude non sponsorisée portant principalement sur des patients à faible risque, les critères d'inclusion étaient moins stricts et le choix entre TAVI vs SAVR, le type de valve et (en cas de TAVI) l'accès étaient déterminés par l'équipe cardiologique locale des centres participants.20 Les résultats à 1 an ont été rapportés récemment, et ils ont montré que le TAVI n'était pas inférieur au SAVR.20

Les bons résultats post-TAVI chez les patients présentant un risque chirurgical élevé ou intermédiaire à court et à moyen terme, l'évolution technologique constante, le perfectionnement de la technique, ainsi que l'expérience croissante des opérateurs ont conduit à un nombre croissant d'interventions valvulaires percutanées chez les patients à faible risque. Les données les plus récentes, notamment des études PARTNER 3, EVOLUT Low Risk et NOTION, montrent que le choix entre SAVR et TAVI n'est plus déterminé par le risque opératoire. L'espérance de vie, des caractéristiques spécifiques du patient, telles que la fragilité (non incluse dans le score STS-PROM), des facteurs anatomiques (degré de calcification de la valve, dimensions de l'anneau...), les maladies valvulaires et/ou coronariennes concomitantes et l'accès vasculaire sont des facteurs plus importants, qui détermineront si les patients doivent être traités en salle de cathétérisme ou en salle d'opération (figure 1). Cette discussion pluridisciplinaire doit être menée conjointement par les spécialistes des valves et de l'imagerie, les cardiologues interventionnels, les chirurgiens cardiothoraciques et les gériatres, l'accent n'étant pas mis sur la valve, mais sur le patient dans sa globalité.

Bien que le TAVI semble être une procédure attrayante — essentiellement pour le patient — et peu invasive, il convient de souligner qu'on ne dispose pas de données à long terme. Plusieurs études randomisées et méta-analyses ont montré qu'à court terme, le TAVI est équivalent ou supérieur au SAVR. Par contre, à long terme, cette différence semble disparaître et certaines études font état d'un meilleur résultat après un SAVR (figure 2).

Références

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