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Intérêt de l'ergospirométrie en cardio-oncologie
  • Aurelia David-Cojocariu , Marina Emmanouilidou , Corina Martinez-Mena , Raymond Kacenelenbogen

Les avancées thérapeutiques récentes ont permis une amélioration de la survie des patients atteints de pathologies oncologiques.1 En même temps, on remarque une augmentation des complications dues aux divers traitements. La cardiotoxicité (liée aux effets directs des traitements oncologiques sur la structure et la fonction cardiaque) représente une importante cause de morbidité et de mortalité, tout comme le développement accéléré des maladies cardiovasculaires (CV), observé surtout en présence des facteurs de risque CV traditionnels.2

La prise en charge précoce vise à obtenir un traitement oncologique optimal et complet, mais aussi à prévenir, diagnostiquer et traiter les éventuelles complications CV.

Le bénéfice de l'activité physique dans la prévention des maladies CV et néoplasiques est bien connu, en partie par la diminution de la dysfonction endothéliale et du stress oxydatif.3, 4 Les programmes de réadaptation des patients atteints de cancer sont en général bien tolérés et améliorent la capacité cardiorespiratoire de 10 à 15 %.5 Les données concernant la réadaptation en cardio-oncologie sont cependant encore limitées.6

Le test d'effort cardiopulmonaire (CPET) est encore utilisé de façon limitée, voire sous-utilisé, en cardio-oncologie. Au cours d'une épreuve d'effort graduelle (sur bicyclette ergométrique), l'ergospirométrie mesure le volume et la composition (O2 et CO2) des gaz à chaque expiration du patient. Le rapport VCO2/VO2 augmente au cours de l'effort, en raison de la mise en route des ressources d'énergie anaérobies au niveau musculaire. Les valeurs utiles à l'interprétation sont les valeurs maximales obtenues : VE (ventilation externe), VO2 (oxygène consommé, soit air inspiré moins air expiré), VCO2 (CO2 produit), FC max (fréquence cardiaque maximale atteinte) et Watts max (charge maximale atteinte). On calcule d'après ces valeurs le pouls d'oxygène maximal (O2 apporté aux tissus par chaque battement cardiaque, soit VO2 pic/FC max), la réserve respiratoire (un sujet dont les poumons sont normaux utilise pour un effort maximal moins de 80 % de sa ventilation maximale minute volontaire, qui est évaluée d'après une respiration la plus profonde possible avant le test : VMM = VEMS *35). Ces valeurs maximales atteintes sont rapportées à la normale pour le poids, l'âge, la taille, le sexe et le degré d'entraînement). Le problème est que l'effort fourni n'est vraiment maximal que dans environ 50 % des tests (ce qui est révélé par le QR max : quotient respiratoire (VCO2/VO2) n'atteignant pas la limite > 1,1).

Dans ce cas, on doit interpréter les valeurs intermédiaires (sous-maximales), en particulier l'efficience de l'utilisation de l'oxygène (VO2/Watts, ou plutôt une pente correspondante, delta VO2/delta Watts, ou encore une pente semi-logarithmique : OUES = oxygen uptake efficiency slope). L'hyperventilation (VE/VCO2 élevé) est un signe de gravité de l'insuffisance cardiaque, mais se retrouve aussi dans l'insuffisance respiratoire.

Le seuil aérobie est en général très précisément déterminable d'après les courbes obtenues : au seuil lactique, la production de CO2 augmente rapidement (point d'inflexion = AT1, Aerobic Threshold 1). L'abaissement du seuil en pourcentage du VO2 pic est le témoin d'un certain niveau de désentraînement, mais en deçà de 40 %, il s'agit d'un signe d'insuffisance cardiaque ou d'insuffisance respiratoire (où il est souvent difficile à déterminer).

Notre but est en réalité de faire une première ergospirométrie avant le début de la chimiothérapie potentiellement cardiotoxique et de dépister un début d'insuffisance cardiaque en cours de chimiothérapie, en refaisant une ergospirométrie au moment où apparaissent des symptômes. Cette approche n'est pas encore reprise dans les recommandations, mais nous constatons que cet examen est plus sensible que la traditionnelle fraction d'éjection (FEVG) échographique. De plus, les patientes (traitées pour un cancer du sein) sont en principe toutes incluses dans un programme de « revalidation cardiaque », et sauf fatigue importante, les valeurs doivent donc s'améliorer, et non diminuer.

Nous présentons ci-après deux cas cliniques qui en illustrent l'intérêt.

Cas n° 1 : Madame TH, 45 ans

La patiente a eu une chimiothérapie néoadjuvante pour un cancer du sein droit, triple négatif en 2017 (cyclophosphamide/ cisplatine, suivi de paclitaxel/ carboplatine hebdomadaire), suivie d'une mastectomie droite avec curage axillaire et d'une radiothérapie externe.

En février 2022 sont détectées une métastase cérébrale et une métastase pulmonaire (un nodule du lobe supérieur droit) justifiant un traitement par Gamma Knife cérébral et une radiothérapie stéréotaxique pulmonaire. En août 2022, le PETCT objective une progression métabolique ganglionnaire bilatérale, ainsi qu'un infiltrat pulmonaire nettement hypermétabolique du lobe pulmonaire supérieur droit, soit post-radiothérapie, soit sur progression néoplasique. La patiente est alors traitée par caelyx (doxorubicine pégylée liposomiale).

En raison de fatigue et de dyspnée importante, la patiente est référée au service de Cardiologie pour évaluation. L'échocardiographie met en évidence une FEVG à 55 %. L'électrocardiogramme (ECG) est sans particularité ; le dosage de la troponine est normal. Une ergospirométrie est réalisée pour éclaircir l'origine des plaintes et pour mettre au point un programme de réadaptation cardiaque.

La charge atteinte est de 99 Watts (correspondant à 88 % des valeurs attendues). Pour un effort sous-maximal (quotient respiratoire : 0,95), la pente delta VO2/ delta Watts est à 10 (normal) (figure 1), OUES 1,7 (102 % de la normale). Le VO2 pic est de 21 ml/kg, soit 86 % de la normale, pour un effort sous-maximal, et l'on constate un seuil précoce (figure 2).

Du point de vue respiratoire, le VEMS est 2,16 l (96 % de la norme). On note une hyperventilation importante à l'effort (figure 3), avec une pente VE/VCO2 = 56, et une disparition complète de la réserve respiratoire ( %, normale > 30 %) (figure 4).

Cet examen plaide donc clairement en faveur d'une limitation à l'effort essentiellement respiratoire, en l'absence de toute anomalie cardiaque.

La boucle ventilatoire débit-volume (figure 5) montre un aspect restrictif, compatible avec le traitement de radiothérapie subie par la patiente pour la métastase pulmonaire.

La chimiothérapie a donc pu être poursuivie ; un programme de réadaptation a été entamé.

Cas n° 2 : Madame BB, 59 ans

Une néoplasie mammaire bilatérale est diagnostiquée en novembre 2021, conduisant à une mastectomie bilatérale. La patiente reçoit ensuite un traitement adjuvant par taxol hebdomadaire (80 mg/m2 × 12) et trastuzumab, 600 mg, tous les 21 jours, un entretien par trastuzumab étant prévu jusqu'en janvier 2023.

La patiente est référée en service de Cardiologie pour évaluation. En janvier 2022, l'échocardiographie met en évidence une FEVG à 61 %, et la déformation globale longitudinale (GLS) est normale (-19,7 %).

En février, après quatre cures de trastuzumab, l'échocardiographie montre une diminution significative de la GLS (-15 %) et une légère augmentation de la troponine (19,2 ng/l ; normale < 14). Le taux de NT-proBNP est normal. Face à l'altération de la fonction longitudinale du VG, un traitement cardioprotecteur par candésartan est initié, et le traitement oncologique est poursuivi. En mars, la GLS est normalisée, et la troponine est à 17,6 ng/l. Une ergospirométrie est réalisée fin mars.

L'effort est largement sous-maximal, la charge maximale atteinte au pic de l'effort étant de 35 Watts (quotient respiratoire : 0,94). La FC maximale est à 180/min (112 %). Le VO2 pic est à 15 ml/min/kg (mais le test est sous-maximal), avec un seuil précoce. Les paramètres cardiaques sont nettement perturbés, puisque la pente delta VO2/delta Watts est à 6 (figure 6), OUES à 0,95 (57 % de la normale).

Les paramètres pulmonaires montrent une hyperventilation (figure 7) avec réserve respiratoire conservée (40 %) (figure 8). Ces paramètres signent une limitation à la fois cardiaque et périphérique, permettant d'orienter la patiente vers un programme de réadaptation.

Les évaluations échocardiographiques ultérieures mettent en évidence une FEVG oscillant entre 55 et 60 %, et un GLS entre -16 et -18 %. La troponine reste discrètement élevée, mais à partir de juillet, on remarque une augmentation de NT-proBNP atteignant 330 ng/l. Le traitement cardioprotecteur est majoré : candésartan 4 mg, 2 × et carvédilol, ce dernier étant malheureusement mal toléré. La chimiothérapie est poursuivie, avec répétition mensuelle de l'échocardiographie et du dosage des biomarqueurs.

La cardiotoxicité liée au trastuzumab paraît modérée selon l'échocardiographie et les biomarqueurs, mais plus importante selon les paramètres obtenus au CPET. La chimiothérapie est continuée, sous étroite surveillance toutefois.

En conclusion, nous présentons ici deux cas dans lesquels l'ergospirométrie a été une aide précieuse dans le cadre d'une prise de décision importante : arrêter la chimiothérapie, en changer si possible, ou continuer (sous surveillance). La limite de cette méthode est actuellement la suivante : la chimiothérapie potentiellement cardiotoxique (anthracycline, taxol, trastuzumab) risque d'être également myotoxique (muscles périphériques), et le jugement est clinique (douleurs musculaires, mesure de la force musculaire). Pour établir ce diagnostic différentiel à l'ergospirométrie, il faut mesurer en même temps le débit cardiaque à l'effort, ce qui est possible (Fick indirect), mais assez peu précis. En pratique, l'atteinte musculaire n'est pas un problème majeur ; le test d'effort ne doit pas être refait juste après une cure de chimiothérapie (fatigue intense). Nous insistons sur le fait que l'ergospirométrie fait partie des aides à la décision (avec l'échographie et les biomarqueurs), cette décision étant bien entendu prise en priorité par le chimiothérapeute.

Références

  1. Masters, G.A., Krilov, L., Bailey, H.H., Brose, M.S., Burstein, H., Diller, L.R. et al. Clinical cancer advances 2015: Annual report on progress against cancer from the American Society of Clinical Oncology. J Clin Oncol, 2015, 33 (7), 786-809.
  2. Zamorano, J.L., Lancellotti, P., Rodriguez Munoz, D., Aboyans, V., Asteggiano, R., Galderisi, M. et al. 2016 ESC Position Paper on cancer treatments and cardiovascular toxicity developed under the auspices of the ESC Committee for Practice Guidelines: The Task Force for cancer treatments and cardiovascular toxicity of the European Society of Cardiology (ESC). Eur Heart J, 2016, 37 (36), 2768-2801.
  3. Gronek, P., Wielinski, D., Cyganski, P., Rynkiewicz, A., Zajac, A., Maszczyk, A. et al. A Review of Exercise as Medicine in Cardiovascular Disease: Pathology and Mechanism. Aging Dis, 2020, 11 (2), 327-340.
  4. Powers, S.K., Deminice, R., Ozdemir, M., Yoshihara, T., Bomkamp, M.P., Hyatt, H. Exercise-induced oxidative stress: Friend or foe? J Sport Health Sci, 2020, 9 (5), 415-425.
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  6. Elad, B., Habib, M., Caspi, O. Cardio- Oncolgy Rehabilitation-Present and Future Perspectives. Life (Basel), 2022, 12 (7), 1006.
  7. Kirkham, A.A., Virani, S.A., Bland, K.A., McKenzie, D.C., Gelmon, K.A., Warburton, D.E.R. et al. Exercise training affects hemodynamics not cardiac function during anthracycline-based chemotherapy. Breast Cancer Res Treat, 2020, 184 (1), 75-85.
  8. Howden, E.J., Bigaran, A., Beaudry, R., Fraser, S., Selig, S., Foulkes, S. et al. Exercise as a diagnostic and therapeutic tool for the prevention of cardiovascular dysfunction in breast cancer patients. Eur J Prev Cardiol, 2019, 26 (3), 305-315.
  9. Kirkham, A.A., Shave, R.E., Bland, K.A., Bovard, J.M., Eves, N.D., Gelmon, K.A. et al. Protective effects of acute exercise prior to doxorubicin on cardiac function of breast cancer patients: A proof-of-concept RCT. Int J Cardiol, 2017, 245, 263-270.

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