From bench to bedside : le développement d'inhibiteurs de la myosine pour la cardiomyopathie hypertrophique
La cardiomyopathie hypertrophique (CMH) se caractérise par la présence d'une augmentation de l'épaisseur pariétale du ventricule gauche (avec ou sans hypertrophie du ventricule droit) ou d'une masse qui ne s'explique pas uniquement par des conditions de charge anormales.1 La CMH peut toucher jusqu'à 1 personne sur 500 et est associée à une dysfonction des sarcomères dans les cardiomyocytes. Il en résulte une combinaison d'hypertrophie des cardiomyocytes, de fibrose myocardique et de désorganisation myocytaire. La dimension familiale de cette maladie s'est rapidement révélée après sa première description pathologique, en 1958. Le premier gène impliqué dans la CMH (MYH7) a été décrit en 1990, ouvrant les portes à la génétique clinique en cardiologie.2 Depuis lors, on a énormément progressé dans la compréhension de la CMH, recensant aujourd'hui plus de 15 gènes impliqués dans la CMH (suivant généralement un modèle mendélien de transmission autosomique dominante, dans le cadre duquel quatre gènes expliquent environ 60 % des cas). Par ailleurs, certains cas ne s'en tiennent pas strictement aux règles mendéliennes, la pénétrance étant incomplète et certains cas liés à une architecture plus complexe (avec soit une dimension oligogénique, soit une dimension polygénique/multifactorielle).1 Bien que la CMH puisse rester longtemps asymptomatique, elle peut se présenter sur le plan clinique par une insuffisance cardiaque, des arythmies (dont une fibrillation auriculaire et un AVC) ou une mort subite cardiaque, y compris chez des patients plus jeunes, et elle se caractérise par une expressivité variable et dépendante de l'âge.2 Avec une épaisseur pariétale accrue et les modifications anatomiques qui y sont associées, la CMH peut entraîner une obstruction de la voie d'éjection ventriculaire gauche, ou obstruction intracavitaire, présente dans la moitié des cas lorsqu'un dépistage correct est réalisé (manoeuvre de Valsalva et/ou échocardiographie d'effort). L'obstruction est un élément important dans cette affection, et elle est associée à une évolution clinique moins favorable, dont une insuffisance cardiaque plus grave, plus d'hospitalisations cardiaques, plus d'arythmies et, au final, un impact négatif sur la survie.3, 4 En dépit des grands progrès réalisés dans le diagnostic génétique, il n'y avait à ce jour aucun traitement spécifique disponible pour la CMH. Le traitement ciblait l'insuffisance cardiaque, les troubles du rythme ou l'obstruction en général, sans option thérapeutique pour bloquer la progression de la maladie.
On a atteint, en 2016, une étape importante dans la compréhension de la physiopathologie de la CMH. L'étude des variantes génétiques de la troponine C chez des souris a permis de démontrer que certains variants sont associés à une sensibilité accrue au calcium, entraînant une tension plus grande dans le sarcomère et une CMH.5, 6 à l'opposé, certains variants sont associés à une faible sensibilité au calcium, à une tension réduite et à une CMD. Ce modèle 'basé sur la tension' a souligné l'importance d'un équilibre dans le coeur entre l'état 'détendu' et 'tendu' de la myosine cardiaque, qui peut être perturbé par la présence de variantes génétiques et qui entraîne une sensibilité anormale au calcium, résultant en phénotypes de CMH et de CMD. Ces données ont induit un changement complet de paradigme dans la compréhension de la physiopathologie des maladies sarcomériques. Par la suite, des criblages de médicaments ont été réalisés pour identifier les molécules susceptibles de modifier cet équilibre. à cette occasion et après la génération d'un système rapporteur à base d'actine marquée de manière fluorescente, le mavacamten a été identifié comme le premier médicament capable de promouvoir le relâchement de la myosine en se liant de manière réversible à l'ATPase de la myosine et en induisant un relâchement du sarcomère.7
Le mavacamten est le premier médicament de la classe des inhibiteurs de la myosine cardiaque (IMC). Durant la phase préclinique, les modèles animaux ont démontré que le mavacamten peut bloquer la progression de la CMH, ce qui a permis d'éviter l'épaississement pariétal chez des souris atteintes de CMH et de restaurer la fonction sarcomérique physiologique normale.7 En diminuant l'hypercontractilité, le mavacamten est à même d'abaisser les pressions de remplissage du ventricule gauche, d'améliorer la fonction diastolique et de réduire les besoins énergétiques du coeur.7, 8 L'aventure clinique du mavacamten a démarré sur la base de ces données très prometteuses. Les études de phase 1 avec le mavacamten ont déterminé les propriétés pharmacocinétiques et ont souligné la sécurité et la tolérance du mavacamten chez l'être humain. Ces résultats ont aussi démontré que la demi-vie du mavacamten dépend fortement des cytochromes P450, CYP2C19 et CYP3A4, ce qui peut être important pour déterminer la posologie optimale du médicament chez les patients et pour jouer la prudence en cas d'usage concomitant de modulateurs des cytochromes.9
Inhibiteurs de la myosine : résultats d'études cliniques sur la CMH
Après cette phase préclinique, diverses études contrôlées ont été menées. Les plus grandes études à ce jour ont ciblé des patients symptomatiques atteints de cardiomyopathie hypertrophique obstructive (CMHO, figure 2). Le mavacamten, le premier IMC de sa classe, a été évalué dans l'étude PIONEER-HCM.10 Cette étude ouverte de phase 2 a réparti 21 patients sur deux cohortes CMHO : la cohorte A (10-20 mg de mavacamten par jour sans autre traitement de la CMHO) et la cohorte B (2-5 mg de mavacamten par jour avec administration concomitante de bêtabloquants). Le mavacamten s'est révélé très efficace pour diminuer le gradient de pression intraventriculaire gauche après l'effort et a amélioré la VO2max après 12 semaines ; le mavacamten a provoqué de petites diminutions de la fraction d'éjection ventriculaire gauche à des concentrations plasmatiques supérieures.
Ces observations ont conduit à l'étude de phase 3 EXPLORER-HCM, une étude randomisée contrôlée contre placebo évaluant le mavacamten chez 251 patients atteints de CMHO et traités par bêtabloquants et/ ou inhibiteurs calciques.11 Un traitement par disopyramide n'était pas autorisé en raison d'une inquiétude concernant l'effet inotrope négatif ajouté en cas d'association avec le mavacamten. Le protocole précisait au préalable que le médicament serait temporairement interrompu si la fraction d'éjection ventriculaire gauche tombait sous les 50 %. L'étude a atteint le critère d'évaluation primaire : les investigateurs ont observé une amélioration de la VO2max de 3,0 ml/kg sans modification de la classe NYHA ou une amélioration de la VO2max de 1,5 ml/kg par minute et au moins une diminution d'un rang de la classe NYHA chez 37 % des patients du groupe mavacamten contre 17 % dans le groupe placebo (p < 0,0001). Le mavacamten s'est montré sûr et bien toléré, son profil général d'effets secondaires étant comparable à celui du placebo. Une mort subite est survenue dans le groupe placebo. Au total, 7 patients du groupe mavacamten ont développé une dysfonction systolique, qui s'est résolue moyennant une période d'élimination adéquate.
Dans une sous-étude d'EXPLORER-HCM avec résonance magnétique cardiaque, dans laquelle 17 patients sous traitement ont été comparés à 18 patients sous placebo, un remodelage positif significatif a été constaté pendant la période d'étude de 30 semaines. Ce dernier se caractérisait par une diminution de la masse ventriculaire gauche, de l'épaisseur pariétale et des dimensions du ventricule gauche.12
L'étude de phase 3 VALOR-HCM était une étude randomisée, en double aveugle, contrôlée contre placebo, ayant inclus 112 patients. L'objectif principal était d'évaluer si le mavacamten pouvait diminuer ou reporter le traitement par réduction septale (TRS).13 Après 16 semaines de traitement, 76,8 % des patients du groupe placebo et 17,9 % des patients du groupe mavacamten avaient atteint le critère d'évaluation primaire composite (le patient restait éligible au TRS ou il décidait de lui-même de subir un TRS) (p < 0,0001). Les constatations de cette étude étendent les résultats de l'étude EXPLORER-HCM à une population présentant des symptômes plus graves et démontrent que le mavacamten a le potentiel de réduire le recours au TRS, bien que des données à plus long terme s'imposent pour le confirmer.
En résumé, dans les études cliniques de phases 2 et 3, le mavacamten est bien toléré, il diminue les gradients de pression intraventriculaire gauche et il améliore la capacité d'effort et les symptômes. Le traitement par mavacamten a en outre été associé à des signes de remodelage cardiaque positif dans des études d'imagerie multimodale. Le mavacamten a considérablement réduit le nombre de patients atteints de CMHO éligibles à un traitement par réduction septale en vertu des recommandations (figure 3).
études en cours
L'étude combinée à long terme d'EXPLORER est toujours en cours. Une étude de phase 3, intitulée MEMENTO, est en cours aux états-Unis pour mieux définir l'effet du mavacamten sur le remodelage myocardique par IRM cardiaque dans la CMHO. En parallèle à la CMHO, d'autres études s'imposent également pour évaluer le rôle du mavacamten dans la CMH non obstructive. ODYSSEY, une étude de phase 3, est en cours chez ce type de patients.
L'aficamten, le deuxième IMC en phase d'étude clinique, est un inhibiteur sélectif de la myosine cardiaque à petites molécules, un médicament de synthèse de la génération suivante. Il a une courte demivie (3-4 jours) par rapport au mavacamten (7-9 jours), ce qui permet d'atteindre plus rapidement une concentration plasmatique à l'équilibre et une réversibilité plus rapide après une diminution posologique. L'aficamten a montré des effets positifs sur l'obstruction dans l'étude de phase 2 REDWOOD-HCM.14 L'étude de phase 3 avec l'aficamten, nommée SEQUOIA-HCM, est toujours en cours.
Avenir et usage clinique
Il est recommandé de surveiller régulièrement la présence de symptômes d'insuffisance cardiaque et de dysfonction systolique, y compris une échocardiographie, en raison d'une possible diminution de la fraction d'éjection ventriculaire gauche lors d'un traitement par mavacamten. Si la fraction d'éjection ventriculaire gauche tombe sous la barre des 50 % pendant le traitement, il est conseillé d'arrêter temporairement ou définitivement le traitement, mais cela n'a pas de graves conséquences cliniques en présence d'un bon suivi. Des recherches complémentaires s'imposent pour évaluer les résultats à long terme et la sécurité du mavacamten dans la CMH, mais aussi pour déterminer le rôle du mavacamten dans la progression de la CMH (y compris la survenue de troubles du rythme et l'apparition d'une fibrose cardiaque). Nous avons par ailleurs besoin de données dans la population pédiatrique, ainsi que de meilleures données d'identification des patients qui tolèrent moins bien le mavacamten. Pour le reste, les études portant sur diverses populations et les analyses du rapport coût/bénéfice contribueront à préciser le rôle des IMC dans la CMH parmi un groupe plus vaste de patients. Nous sommes à l'aube d'une nouvelle ère de thérapie ciblée pour la cardiomyopathie : l'IMC est le premier médicament approuvé et un merveilleux modèle de recherche translationnelle.
Références
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