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Prévention de la thromboembolie veineuse chez les patients 'médicaux'
  • Andreas Verstraete , Thomas Vanassche

Le congrès annuel de la Société belge de Thrombose et Hémostase (BSTH) a été organisé à Malines du 30 novembre au 1er décembre 2023. Lors d'un symposium satellite consacré à la prévention de la thromboembolie veineuse (TEV), Thomas Vanassche (Louvain, Belgique) a discuté de l'importance et des (contre-)indications de la prophylaxie antithrombotique lors d'une hospitalisation pour raison médicale. Ensuite, Alexander Cohen (Londres, Royaume-Uni) a discuté des preuves existantes concernant le fondaparinux. Cet article synthétise les preuves relatives à la prévention de la TEV lors d'une hospitalisation pour raison médicale, en intégrant les données du symposium satellite.

L'importance de la prophylaxie antithrombotique

Avec une incidence annuelle de 1 à 2 pour 1 000 patients, la TEV est une affection fréquente et elle constitue une importante cause de mortalité dans le monde entier.1, 2 En Europe, plus de 500 000 patients décèdent chaque année des suites d'une TEV.3, 4 Plus de 60 % de tous les cas de TEV surviennent pendant ou après une hospitalisation.3 La TEV est donc la première cause de mortalité évitable dans les hôpitaux. Le risque est déterminé par des facteurs de risque liés à l'hospitalisation et au patient. Dès lors, une évaluation systématique de la nécessité d'une prophylaxie antithrombotique peut améliorer significativement l'issue des patients hospitalisés.

Stratification du risque

Le motif d'hospitalisation comme facteur de risque de TEV

En 1856, Rudolf Virchow a décrit trois facteurs de risque majeurs de TEV lors de ses recherches sur la physiopathologie de la TEV : les lésions tissulaires, la stase veineuse et l'hypercoagulabilité.5 Ces trois composantes sont très fréquemment présentes après une chirurgie majeure, et l'efficacité de la prophylaxie antithrombotique a donc été démontrée pour la première fois chez les patients chirurgicaux.6 Cependant, la triade de Virchow est aussi fréquemment présente chez les patients 'médicaux', ce qui explique pourquoi ce groupe de patients court également un risque substantiel de TEV. Des données épidémiologiques plus anciennes montrent une grande variabilité dans la survenue d'une TEV (infraclinique) lors d'une affection médicale en l'absence de prophylaxie antithrombotique, mais on considère généralement qu'une hospitalisation pour raison médicale augmente le risque de TEV d'un facteur 130.7 Les situations spécifiques suivantes méritent d'être mentionnées, en raison du risque élevé de TEV : patients hospitalisés présentant une tumeur maligne sousjacente, séjour aux Soins intensifs et hospitalisation en raison d'un accident vasculaire cérébral (AVC). Des études montrent que le cancer est responsable de 20 % des cas de TEV.8 Chez les patients en état critique, l'instauration tardive d'une prophylaxie antithrombotique augmente le risque de TEV de 30 %.9 De même, l'absence d'instauration d'une prophylaxie antithrombotique chez les patients immobiles après un AVC entraîne une incidence de près de 15 % de thrombose veineuse profonde (asymptomatique).10

Facteurs de risque de TEV liés au patient

Les facteurs liés au patient, tels que l'âge avancé, l'obésité, un antécédent de TEV, une thrombophilie connue, une immobilisation prolongée (> 3 jours) et une comorbidité cardiaque ou respiratoire sévère contribuent également à déterminer le risque de TEV.

Qui a (ou non) besoin d'une prophylaxie antithrombotique ?

Au fil des ans, plusieurs systèmes de score ont été développés pour aider les cliniciens à estimer le risque de thrombose d'un patient 'médical' en se basant sur les facteurs liés à l'hospitalisation et au patient mentionnés ci-dessus. L'implémentation de ces scores de risque dans le dossier médical électronique offre également l'avantage d'évaluer la nécessité d'une prophylaxie antithrombotique pour chaque patient hospitalisé. Comme exemples de ces scores de risque, citons l'IMPROVE Risk Score, le Padua Prediction Score et le GENEVA Risk Score.11-13 Cependant, ces différents scores de risque sont souvent difficiles à utiliser au quotidien et leur sensibilité et leur spécificité sont peu étudiées. En outre, le risque exact d'une thrombose est moins important que le choix binaire final : prophylaxie anti-thrombotique ou non.

Thomas Vanassche propose donc une approche plus simple et pragmatique où, sauf contre-indication formelle, la prophylaxie antithrombotique est indiquée chez tous les patients admis aux Soins intensifs ou dans le cadre d'un AVC (tableau 1). En outre, en dehors d'une contre-indication formelle, la prophylaxie antithrombotique est toujours indiquée chez tous les patients 'médicaux' hospitalisés présentant un facteur de risque supplémentaire: âge supérieur à 60 ans, obésité (IMC > 30 kg/m2), immobilisation prolongée (> 3 jours), antécédent personnel ou familial de TEV, thrombophilie connue, affection maligne sous-jacente ou maladie inflammatoire chronique et insuffisance cardiaque ou respiratoire sous-jacente (p. ex. exacerbation aiguë de BPCO). En d'autres termes, la majorité des patients 'médicaux' ont une indication de prophylaxie antithrombotique. Une question plus pertinente est donc: qui court un risque hémorragique (trop) élevé, justifiant de différer la prophylaxie antithrombotique ? Les contre-indications absolues sont les suivantes : saignement actif ou récent (à l'exclusion des épistaxis et des menstruations), antécédent récent d'hémorragie intracrânienne, antécédent d'hémorragie majeure, intervention chirurgicale prévue dans les 6 à 12 heures, coagulopathie sévère (p. ex. hémophilie), thrombocytopénie sévère (plaquettes < 50 000/μl) et, bien entendu, anticoagulation thérapeutique préexistante (tableau 1). En outre, des facteurs individuels, tels que la présence d'une fragilité ou d'un risque élevé de chute, peuvent constituer une raison de s'écarter des (contre-)indications standard chez un patient donné.

Enfin, on a souligné l'importance d'un protocole clair et standardisé concernant la prophylaxie antithrombotique pour chaque établissement (ou réseau) hospitalier afin que les patients soient évalués et traités de manière uniforme. L'utilité d'une implémentation dans les brochures et les questionnaires préopératoires a également été signalée.

Durée de la prophylaxie antithrombotique

Chez les patients 'médicaux', on conseille généralement de poursuivre la prophylaxie antithrombotique jusqu'à ce que le patient quitte l'hôpital. La valeur ajoutée d'une prophylaxie antithrombotique prolongée après une hospitalisation pour raison médicale a été examinée dans 5 grandes études cliniques randomisées et contrôlées : une avec une héparine de bas poids moléculaire (HBPM) et quatre avec des anticoagulants oraux directs (DOAC).14-18 Contrairement au bénéfice d'une prophylaxie antithrombotique prolongée chez les patients chirurgicaux à haut risque, il n'y a pas de preuves cohérentes indiquant qu'une prophylaxie antithrombotique prolongée systématique après une affection médicale aiguë entraîne une diminution de la TEV et de la mortalité liée à la TEV. Une telle stratégie peut même augmenter le risque hémorragique et n'est donc pas recommandée en routine. Cependant, des sous-analyses montrent un bénéfice clinique net d'une prophylaxie antithrombotique prolongée chez les patients courant un risque élevé de thrombose et un faible risque hémorragique. Ceci explique pourquoi la Food and Drug Administration américaine a approuvé le bétrixaban (non disponible en Europe) et le rivaroxaban pour cette indication. En Europe, la prophylaxie anti-thrombotique prolongée chez les patients 'médicaux' n'est pas remboursée.

Méthodes pour la prophylaxie antithrombotique

Il existe des méthodes pharmacologiques et mécaniques pour la prophylaxie antithrombotique. Les options pharmacologiques possibles sont une HBPM, l'héparine non fractionnée (HNF) et le fondaparinux, un pentasaccharide. Toutes sont supérieures au placebo ou aux méthodes mécaniques en ce qui concerne la prévention de la TEV lors d'une hospitalisation pour raison médicale.19 Les recommandations privilégient une HBPM ou le fondaparinux par rapport à l'HNF en raison de leur meilleure protection contre la TEV.19 Le tableau 2 résume la posologie recommandée pour les anticoagulants les plus couramment utilisés. Ici, il est important de noter que la dose optimale des différents anticoagulants chez les patients obèses (IMC > 30 kg/m2) et en sous-poids (IMC < 18 kg/m2) n'est pas connue. En outre, des adaptations posologiques sont recommandées pour l'utilisation d'une HBPM et du fondaparinux en cas d'insuffisance rénale modérée à sévère mais, là encore, les preuves sont rares. Les HBPM sont contre-indiquées en cas de DFGe < 15 ml/min, le fondaparinux en cas de DFGe < 20 ml/min. L'HNF peut être utilisée sans adaptation posologique en cas d'insuffisance rénale sévère. Enfin, pendant l'utilisation d'une HBPM et de l'HNF, une surveillance régulière de la numération plaquettaire est nécessaire étant donné le faible risque de thrombocytopénie induite par l'héparine (TIH).

Les méthodes mécaniques, telles que les bas de contention ou la compression pneumatique intermittente ne sont recommandées qu'en cas de contre-indication aux anticoagulants, bien qu'il n'y ait pas de données fiables à ce sujet.19 Il n'existe aucune preuve que la combinaison systématique d'une prophylaxie mécanique et pharmacologique assure une meilleure protection contre la TEV.20, 21

Fondaparinux

Alexander Cohen a plus particulièrement abordé les preuves et les avantages potentiels du fondaparinux. L'étude ARTEMIS conduite en 2006 (n = 849) a montré une nette supériorité du fondaparinux par rapport au placebo en ce qui concerne la prévention de la TEV (réduction du risque relatif de 46,7 %, p = 0,029) chez les patients 'médicaux' de plus de 60 ans, sans augmentation du risque d'hémorragies majeures.22 En raison de l'inhibition sélective du facteur X activé et donc de l'absence d'interaction avec les plaquettes, il n'y a pas de risque de TIH. Enfin, contrairement à une HBPM, le fondaparinux est entièrement fabriqué de manière synthétique, ce qui permet une production constante.

DOAC

On ne dispose pas d'études randomisées sur la prophylaxie antithrombotique primaire par DOAC chez les patients hospitalisés pour raison médicale. En Europe, les DOAC ne sont donc remboursés que pour la prophylaxie antithrombotique primaire chez les patients chirurgicaux.

Conclusion

La TEV est la première cause de mortalité évitable chez les patients hospitalisés en chirurgie ou en médecine. Le risque est déterminé par l'hospitalisation et des facteurs de risque liés au patient. Un protocole uniforme et intégré de prophylaxie antithrombotique est crucial pour une évaluation systématique de la nécessité d'une prophylaxie antithrombotique chez les patients hospitalisés. La prophylaxie antithrombotique pharmacologique par HBPM ou fondaparinux constitue la pierre angulaire de la prévention de la TEV chez les patients hospitalisés pour raison médicale.

Références

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