L'indication des anticoagulants dans la fibrillation auriculaire (FA) est bien connue et bien étudiée. Elle est toutefois nettement moins claire lorsque la FA n'est pas constatée cliniquement (au moyen d'un ecg) mais à l'aide d'une surveillance du rythme en ambulatoire de longue durée. Cette étude nous donne un premier aperçu de la prise en charge de cette affection fréquente.
Les résultats de l'étude NOAH-AFNET 61, qu'on attendait depuis longtemps et qui vont certainement modifier la pratique de nombreux cardiologues, ont été présentés lors du congrès de l'ESC, fin août dernier.
Contexte
L'AVC et la FA restent un sujet intrigant. Un vaste débat est mené depuis des dizaines d'années sur le rôle de la FA dans l'accident vasculaire cérébrale (AVC) - la FA étant vraisemblablement un marqueur de risque plutôt qu'un facteur de risque d'AVC.2 Cardio(myo)pathie auriculaire est le terme relativement nouveau utilisé pour expliquer la physiopathologie, notamment, d'un AVC embolique d'origine inconnue (embolic stroke of undetermined source - ESUS). La cardio(myo) pathie auriculaire est une affection qui provoque une dilatation auriculaire, une fibrose et une dysfonction endothéliale et qui est, en soi, également liée à l'apparition d'une FA.3
Les anticoagulants oraux forment la pierre angulaire du traitement en cas de FA (avec un ou plusieurs facteurs de risque) et ne sont très souvent instaurés qu'après un AVC. Les programmes ambulatoires permettant de dépister la FA de manière précoce bénéficient donc d'une grande attention. Des épisodes infracliniques de courte durée de FA sont souvent observés. Une question importante demeure de savoir à partir de quelle charge d'arythmie (burden) il convient d'instaurer des anticoagulants oraux.4-6 En outre, les patients porteurs d'un stimulateur cardiaque ou d'un défibrillateur font régulièrement l'objet d'une surveillance continue du rythme auriculaire. Lorsque des épisodes de haute fréquence auriculaire (atrial high rate episodes - AHRE) sont observés dans ce cadre, l'instauration d'anticoagulants est fréquemment envisagée, surtout chez les patients courant un risque accru d'AVC et en présence d'AHRE durant plus de 24 heures.7 Toutefois, ces patients généralement asymptomatiques ne sont pas exposés au même risque d'AVC que les patients chez qui une FA est observée sur une base clinique (à l'aide d'un ecg ou d'un monitoring par Holter classique).
Il existait donc, jusqu'à présent, un manque important de preuves scientifiques dans ce domaine. Cette étude y remédie.
Méthodes
L'étude NOAH-AFNET 6 est une étude randomisée en double aveugle, qui a inclus des patients présentant un ou plusieurs AHRE lors de la surveillance de leur rythme (stimulateur cardiaque, défibrillateur, appareil de resynchronisation ou enregistreur de boucle implantable). Cet AHRE doit se produire au moins deux mois après l'implantation de l'appareil, durer au moins six minutes et avoir une fréquence auriculaire d'au moins 170 battements par minute. Les patients inclus sont âgés de 65 ans ou plus, n'ont jamais reçu de diagnostic clinique de FA et présentent au moins un facteur de risque d'AVC (selon les critères du score CHA2DS2-VASc).
Les patients remplissant les critères ont ensuite été randomisés selon un rapport de 1:1 pour recevoir de l'edoxaban (inhibiteur direct du facteur Xa) ou un placebo. L'edoxaban a été prescrit conformément aux recommandations actuelles relatives au traitement des patients atteints de FA, à savoir 60 mg une fois par jour ou 30 mg une fois par jour (en fonction du poids, de la fonction rénale et des médicaments ayant des interactions). Dans le groupe placebo, un comprimé double placebo, soit sans substance active, soit contenant de l'acide acétylsalicylique à une dose de 100 mg par jour, a été prescrit. Cette dernière a été déterminée sur la base des indications connues de l'acide acétylsalicylique, à savoir coronaropathie, pathologie périphérique ou antécédents d'infarctus du myocarde ou d'AVC.
Le critère d'évaluation principal de l'efficacité était la première survenue d'un critère d'évaluation composite, à savoir le décès cardiovasculaire, l'AVC ou l'embolie systémique. Le critère d'évaluation principal de la sécurité était également un critère d'évaluation composite, à savoir le décès toutes causes confondues ou une hémorragie majeure. Les principaux critères d'évaluation secondaires étaient les éléments individuels des critères d'évaluation principaux, le critère d'évaluation composite de l'AVC ou de l'embolie systémique et divers critères d'évaluation plus subjectifs tels que la satisfaction du patient et les symptômes, la fonction cognitive et le statut fonctionnel.
Résultats
2 536 patients ont été randomisés dans 18 pays européens entre 2016 et 2022. Les caractéristiques cliniques et démographiques des patients sont présentées dans le tableau 1 et sont comparables dans les deux groupes. L'étude a été arrêtée prématurément, après un suivi médian de 21 mois, en raison d'une inquiétude quant à la sécurité et l'efficacité de l'edoxaban. La FA clinique est apparue chez 8,7 % par patient-année dans le groupe edoxaban et chez 8,8 % par patient-année dans le groupe placebo.
Les critères d'évaluation principaux de l'efficacité et de la sécurité sont présentés, respectivement, dans les tableaux 2 et 3. Aucune différence significative n'est observée entre le groupe edoxaban et le groupe placebo en ce qui concerne les critères d'évaluation tant principal que secondaires de l'efficacité. En ce qui concerne les critères d'évaluation de la sécurité, en revanche, le nombre d'hémorragies est significativement plus élevé dans le groupe edoxaban. Les autres critères d'évaluation secondaires sont comparables entre les deux groupes.
Commentaire
Dans le groupe de patients présentant des AHRE étudié, l'edoxaban ne possède donc aucun avantage en ce qui concerne le critère d'évaluation principal, mais suscite une inquiétude en raison du plus grand nombre d'hémorragies. L'incidence des critères d'évaluation prédéfinis dans cette étude était dans l'ensemble conforme aux attentes. Il est toutefois à noter que, malgré l'âge avancé et les facteurs de risque en présence, le nombre d'AVC dans cette étude était nettement inférieur à celui observé dans d'autres séries comportant un diagnostic clinique de FA.8-11 Cette différence est probablement imputable à une charge d'arythmie plus faible en cas d'AHRE.
Nous savons déjà qu'une charge d'arythmie plus faible s'accompagne d'un risque moindre d'AVC. Ainsi, les patients atteints de FA paroxystique courent un risque moins élevé que les patients atteints de FA persistante ou permanente.12 Les patients atteints de FA dont le rythme est contrôlé avec succès courent également un risque moins élevé d'AVC.13 En outre, lors d'une étude randomisée publiée précédemment, menée chez des patients présentant des facteurs de risque et chez qui une FA a été constatée à l'aide d'un enregistreur de boucle implantable (EBI), une incidence plus faible d'AVC a été observée (sans bénéfice des anticoagulants non plus)14 Tous ces résultats soutiennent les conclusions de cette étude, à savoir qu'il est préférable de ne pas prescrire d'anticoagulants oraux aux patients présentant des AHRE mais pas de preuve clinique de FA.
La principale limitation de cette étude est son interruption précoce, qui fait qu'elle n'avait pas la puissance suffisante pour détecter ou infirmer un avantage limité de l'edoxaban en matière de prévention de l'AVC.
De manière plutôt inattendue, ces résultats ne sont pas soutenus par l'étude ARTESIA.15 Cette étude a été publiée début novembre dans la même revue et possède un plan comparable, mais l'edoxaban est remplacé par l'apixaban. Nous devrons attendre de plus amples analyses et études pour pouvoir tirer des conclusions plus définitives.
Conclusion
Les patients présentant un AHRE, âgés de 65 ans ou plus, ayant au moins un facteur de risque d'AVC et sans FA clinique (détectée au moyen d'un ecg) ne tirent aucun bénéfice de l'instauration de l'edoxaban, mais sont en revanche exposés à un risque plus élevé d'hémorragie majeure.
Références
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