La valve tricuspide est une structure complexe. L'anatomie de cette valve est variable, et sa fonction est très étroitement liée à celle de l'oreillette droite et du ventricule droit et à la pression artérielle pulmonaire. L'insuffisance tricuspide (IT) primaire est la conséquence d'un problème intrinsèque de l'appareil valvulaire, comme une malformation congénitale, une destruction due à une endocardite, une atteinte rhumatismale ou un syndrome carcinoïde. En cas d'IT secondaire, l'appareil valvulaire est intact, mais sa fonction est altérée suite à la dilatation ou à une dysfonction du ventricule droit (souvent à la suite d'une hypertension pulmonaire ou d'un infarctus) ou à la dilatation de l'oreillette droite (presque toujours associée à une fibrillation auriculaire). Une troisième variante est l'IT associée à des dispositifs implantés. Il est important de faire la distinction entre ces formes, car cela a des implications pour la prise en charge thérapeutique et l'estimation du pronostic.1
L'insuffisance valvulaire est fréquente. La prévalence de la régurgitation modérée à sévère est estimée à 4 % chez les patients âgés de ≥ 75 ans. Dans 90 % des cas, il s'agit d'une forme secondaire. Le traitement des patients souffrant d'IT est difficile car il concerne une population âgée, présentant des comorbidités souvent significatives. Les symptômes et les signes cliniques sont parfois subtils et aspécifiques, de sorte que le diagnostic est généralement posé très tard dans l'évolution de la maladie. En outre, on a longtemps supposé à tort qu'une IT était bénigne et que le pronostic des patients était déterminé par les maladies du coeur gauche ou par l'état pulmonaire. Cependant, des études récentes ont montré que l'IT est un facteur de risque indépendant de morbi-mortalité cardiaque.2,3
Il n'existe pas de bon traitement médicamenteux pour les patients souffrant d'IT sévère et symptomatique. L'accent est mis sur le traitement de la congestion au moyen de diurétiques et sur la prise en charge des causes sous-jacentes (en cas d'IT secondaire). Chez ces patients, la mortalité à 1 an atteint 40 %. Par conséquent, une approche chirurgicale ou interventionnelle est nécessaire pour améliorer le pronostic. Bien qu'elles soient principalement basées sur des données observationnelles, les recommandations européennes les plus récentes donnent une indication de classe I pour le traitement chirurgical de l'IT sévère (primaire ou secondaire) en cas de chirurgie concomitante d'une valvulopathie gauche. Il y a moins de consensus sur la prise en charge des patients souffrant d'IT modérée ou légère. Les recommandations donnent une indication de classe IIa pour le traitement de l'IT modérée (primaire ou secondaire) ou de l'IT secondaire légère avec dilatation de l'anneau, au moment d'une chirurgie valvulaire gauche.4 Cependant, une étude publiée l'an dernier dans le New England Journal of Medicine a conduit à formuler d'importantes réserves quant à cette stratégie. Dans cette étude, 401 patients souffrant d'insuffisance mitrale (IM) dégénérative sévère et d'IT modérée ou légère avec dilatation de l'anneau ont été randomisés vers un groupe subissant uniquement une chirurgie valvulaire mitrale et un groupe subissant une réparation concomitante de la valve tricuspide. Au bout de 2 ans de suivi, on a rapporté beaucoup moins de cas d'évolution vers une IT sévère dans ce dernier groupe (25,1 % vs 3,4 %), mais on n'a pas noté de différences en termes d'épisodes d'insuffisance cardiaque, de dose des diurétiques, de nécessité d'hospitalisation, de qualité de vie et de mortalité. Il est frappant de constater que peu de patients présentant une IT légère et une dilatation annulaire, qui n'ont pas subi de valvuloplastie, ont développé une IT significative. De plus, l'incidence d'implantations de pacemakers était beaucoup plus élevée si la valve tricuspide avait été réparée (14,1 % vs 2,5 %).5 Un suivi plus long des patients de cette étude permettra de savoir si l'évolution vers une IT sévère entraîne une différence sur le plan du résultat clinique, si cet (éventuel) effet bénéfique n'est pas annihilé par un recours plus important aux pacemakers et si la dimension de l'anneau valvulaire tricuspide en cas d'IT légère constitue un paramètre utile pour décider d'effectuer ou non une annuloplastie.
L'indication de traitement chirurgical d'une IT sévère isolée est encore plus difficile. Les recommandations sont complexes et reposent principalement sur des données observationnelles et des avis d'experts. Il existe une indication de classe I pour la chirurgie en cas d'IT primaire symptomatique sévère sans défaillance ventriculaire droite. Pour les patients asymptomatiques souffrant d'IT primaire sévère et d'une dilatation ventriculaire droite (sans défaillance) et les patients symptomatiques souffrant d'IT secondaire sans dysfonction ventriculaire gauche ou droite sévère ni hypertension pulmonaire, il existe une indication de classe IIa pour une intervention chirurgicale.4 Néanmoins, la chirurgie est rarement pratiquée. Ceci est principalement inhérent à la population de patients, généralement très atteints, chez qui on envisage souvent la chirurgie lorsque leur maladie est à un stade très avancé, avec une dysfonction organique sévère. Ceci se traduit par une mortalité postopératoire très élevée (> 10 % de mortalité intrahospitalière).2,6
Ces dernières années, de nombreuses méthodes percutanées ont été développées pour offrir un traitement peu invasif à ces patients à haut risque. La réparation tricuspide transcathéter bord à bord (T-TEER) est actuellement la technique la plus utilisée.
Des données rétrospectives et de petites études prospectives ont montré que cette procédure est sûre et efficace et qu'elle a un effet bénéfique sur la symptomatologie.7 Récemment, l'étude pivot TRILUMINATE a été publiée dans le New England Journal of Medicine. Cette étude prospective randomisée a inclus 350 patients souffrant d'IT sévère isolée et a comparé le traitement par T-TEER à un traitement purement médicamenteux. L'étude a confirmé la sécurité de l'intervention, ainsi que son efficacité (l'IT est devenue modérée ou légère chez 87 % des patients du groupe T-TEER) et, après 1 an de suivi, on a noté une différence significative sur le plan de la qualité de vie, en faveur du groupe T-TEER. Cependant, aucune différence n'a été documentée en ce qui concerne l'insuffisance cardiaque nécessitant une hospitalisation et la mortalité.8 Bien qu'un plus long suivi des groupes de l'étude soit nécessaire pour tirer des conclusions plus définitives, ce résultat quelque peu décevant soulève quelques questions importantes. 70 % des patients inclus dans l'étude pivot TRILUMINATE présentaient une IT massive (4+) ou torrentielle (5+) avec un impact déjà significatif sur la fonction ventriculaire droite (chez 50 % des patients, le TAPSE était < 17 mm). On peut supposer qu'il s'agit de patients dont le stade de la maladie est déjà trop avancé, chez qui le traitement percutané n'a plus d'impact sur le pronostic. Bien qu'il s'agisse jusqu'à présent d'une hypothèse pour le T-TEER, ceci a permis d'expliquer la différence de résultat enregistrée après le traitement percutané de l'IM secondaire dans les études COAPT et MITRA-FR.9 Par conséquent, la question clé est de savoir quels patients tireront ou non des bénéfices d'une intervention percutanée, et quel est le timing idéal pour réorienter ces patients.
Sur la base de données rétrospectives, Dreyfus et ses collègues ont mis au point un score permettant de mieux évaluer le risque en cas d'intervention chirurgicale pour une IT isolée : le TRI-SCORE. Sur la base de 4 paramètres cliniques (âge ≥ 70 ans, classe NYHA III-IV, signes d'insuffisance cardiaque droite et dose de furosémide ≥ 125 mg par jour), de 2 paramètres biochimiques (DFG < 30 ml/min, bilirubine totale élevée) et de 2 paramètres échocardiographiques (fraction d'éjection du ventricule gauche < 60 %, dysfonction ventriculaire droite modérée à sévère), ce score permet d'évaluer précisément le risque périopératoire de complications majeures, ainsi que la mortalité intrahospitalière et la mortalité à 1 an. En outre, les chercheurs ont confirmé le soupçon selon lequel la mortalité postopératoire historiquement élevée n'est pas due à l'intervention chirurgicale en soi, mais principalement à l'état général du patient, habituellement mauvais. La mortalité postopératoire variait de 1 % chez les patients ayant un score de risque de 0 à 65 % chez les patients ayant un score de risque ≥ 9, quel que soit le mécanisme de l'IT.10
Une étude publiée très récemment a montré, à l'aide d'une vaste base de données rétrospective (TRIGISTRY), que le TRI-SCORE peut également être utilisé pour la stratification du risque des patients réorientés pour un traitement percutané de l'IT. Une conclusion très intéressante de l'étude est que seuls les patients à faible risque (score ≤ 3) et à risque intermédiaire (score 4-5) tirent des bénéfices d'une approche invasive (percutanée ou chirurgicale), tandis qu'aucun bénéfice en termes de survie n'a été enregistré chez les patients à haut risque (score ≥ 6), comparativement au traitement médicamenteux. En outre, les résultats ont souligné qu'une correction efficace de l'IT (quelle que soit la technique) était cruciale pour faire la différence en termes de pronostic. En effet, aucun bénéfice sur le plan de la survie n'a été documenté dans le groupe à risque intermédiaire traité par voie percutanée, si on n'obtenait pas de réduction significative de l'IT.11
Depuis quelques années, la valve tricuspide, autrefois appelée la valve 'oubliée', est sous les feux de la rampe et le nombre de publications scientifiques a augmenté de façon exponentielle en un rien de temps. L'insuffisance valvulaire est par excellence une pathologie qui nécessite une approche pluridisciplinaire. Une concertation intense entre les spécialistes des valves et de l'insuffisance cardiaque, les spécialistes de l'imagerie, les cardiologues interventionnels, les chirurgiens cardiaques et parfois les rythmologues est nécessaire pour offrir le meilleur traitement à chaque patient, avec son anatomie valvulaire et son profil clinique uniques. Les cardiologues interventionnels et les chirurgiens ont de plus en plus de techniques à leur disposition pour traiter ces patients, souvent fort atteints. Un score a récemment été développé pour mieux évaluer le risque de la chirurgie. Cependant, les données prospectives sont rares et le suivi est court. Jusqu'à présent, ces études n'ont pas pu démontrer d'avantage significatif sur la base de critères cliniques concrets. Un suivi plus long et les études prospectives en cours permettront de tirer des enseignements, mais on entrevoit la lumière au bout du tunnel.
Références
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- Dreyfys, J., Audureau, E., Bohbot, Y., Coisne, A., LavieBadie, Y. et al. TRISCORE: a new risk score for inhospital mortality prediction after isolated tricuspid valve surgery. Eur Heart J, 2022, 43 (7), 654-662.
- Dreyfus, J., Galloo, X., Taramasso, M., Heitzinger, G., Benfari, G. et al. TRISCORE and benefit of intervention in patients with severe tricuspid regurgitation. Eur Heart J, 2023, doi: 10.1093/eurheartj/ehad585.
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