Compte rendu du congrès de l'ESC
Lors de cette intéressante session, on a passé en revue les nouvelles recommandations au sujet de l'endocardite infectieuse (EI)1 et plus particulièrement la prévention, le diagnostic et l'indication de traitement par antibiotiques ou par chirurgie, en soulignant les nouveautés par rapport à l'édition précédente.
Prévention de l'endocardite infectieuse
Stefano Caselli - Zurich, Suisse
Bien que l'EI soit une affection relativement rare (incidence de 13,8/100 000 patients/an), elle reste associée à une morbi-mortalité élevée (0,9/100 000 patients/an), ce qui explique que la prévention est très importante.
Le développement d'une endocardite sur les structures cardiaques dépend de trois facteurs : les affections prédisposantes, la présence de pathogènes dans le sang et la réponse immunitaire du patient. Les agents pathogènes peuvent pénétrer dans la circulation sanguine par les voies d'entrée classiques, à savoir la cavité buccale ou la peau, via inoculation directe (p. ex. utilisation de drogues) ou lors de soins de santé (p. ex. des procédures invasives).
Dans les recommandations, les patients souffrant de maladies cardiovasculaires sont répartis en différents groupes en fonction de leur risque de développer une EI (tableau 1). Le groupe de patients présentant le risque le plus élevé de développer une EI est celui des patients qui ont déjà présenté une EI², qui courent également le risque le plus élevé de décéder d'une EI. On y trouve également les patients souffrant de cardiopathies congénitales cyanogènes et de cardiopathies congénitales traitées par shunts, conduits ou autres prothèses.2
L'antibioprophylaxie n'est recommandée que dans la catégorie à haut risque. En outre, des mesures plus générales de prévention des bactériémies sont également recommandées chez les patients à risque intermédiaire et élevé, mais ces mesures devraient idéalement également être appliquées en cas de faible risque (tableaux 1 et 2). Dans la version précédente, l'antibioprophylaxie n'était recommandée qu'en cas d'interventions dentaires impliquant les streptocoques oraux mais, dans les nouvelles recommandations, ceci a été étendu à quelques procédures non dentaires (tableau 3). En outre, le risque de développer une EI est également élevé lors de nombreuses procédures cardiaques, notamment en raison de l'utilisation de cathéters et de matériel prothétique ainsi que d'un accès chirurgical ou percutané, d'où l'importance de prendre également des mesures préventives dans ce cas (tableau 4). Le choix des antibiotiques à prescrire dépend d'une éventuelle allergie à la pénicilline ou à l'ampicilline. Dans les recommandations précédentes, la clindamycine était encore recommandée en cas d'allergie, mais ceci a été modifié en raison des effets indésirables possibles.
Enfin, il est évidemment très important que les patients reçoivent suffisamment d'explications sur l'importance de l'EI, l'hygiène et les mesures préventives. Il est préférable d'utiliser un langage simple et des supports visuels. Il est également recommandé de donner aux patients une carte d'avertissement reprenant les affections dont il souffre et quelques mesures importantes (p. ex. être attentif aux infections, à l'hygiène buccale et cutanée…), afin que les autres médecins puissent en prendre connaissance lors d'une intervention.
Critères diagnostiques de l'endocardite infectieuse
Ajmone Marsan - Leiden, Pays-Bas
Le diagnostic de l'EI reste basé sur trois piliers : la suspicion clinique, étayée par des données microbiologiques et une lésion liée à l'EI à l'imagerie. Dans les nouvelles recommandations, quelques critères ont été modifiés et on a ajouté une classification de l'EI. En outre, des algorithmes diagnostiques ont été créés pour guider le médecin dans le diagnostic d'une EI sur valve native (EVN) ou prothétique (EVP) ou sur un dispositif électronique cardiaque implantable (DECI). Chacun de ces algorithmes commence de la même manière en utilisant les trois piliers : la présentation clinique, les hémocultures et l'échocardiographie, tant transthoracique (ETT) que transoesophagienne (ETO). La suspicion clinique implique l'analyse des symptômes, un examen clinique minutieux et l'identification des facteurs de risque cardiaques et non cardiaques. Ensuite, il est très important de réaliser au moins trois hémocultures. Un nouvel algorithme diagnostique microbiologique a été proposé sur la base de deux scénarios.
En cas d'hémocultures positives, l'algorithme est similaire à celui des recommandations précédentes, mais on souligne à nouveau que les bactéries peuvent être identifiées rapidement à l'aide de la méthode MALDI-TOF MS (matrix-assisted laser desorption ionisation time-of-flight mass spectrometry). Si les hémocultures restent négatives, il convient de consulter rapidement un microbiologiste afin d'entreprendre tous les tests nécessaires pour exclure une EI d'origine fongique ou due à des bactéries intracellulaires : tests sérologiques, suivis de tests spécifiques d'amplification en chaîne par polymérase (PCR). Lorsque tous les tests microbiologiques sont négatifs, il faut envisager un diagnostic d'endocardite non bactérienne et rechercher les anticorps antinucléaires et un éventuel syndrome des antiphospholipides.
Sur le plan des modalités d'imagerie, l'échographie reste la première méthode en cas de suspicion d'EI. Cependant, une nouveauté dans les recommandations de 2023 est que l'ETO est désormais également recommandée en routine en cas de suspicion d'EI, même en cas d'ETT positive, sauf en cas d'EVN droite isolée. En effet, l'ETO peut toujours fournir plus d'informations sur les caractéristiques de la végétation ainsi que sur les lésions valvulaires et périvalvulaires. En outre, une série de recommandations entièrement nouvelles a été ajoutée concernant les autres modalités d'imagerie (CT, imagerie nucléaire et IRM) (tableau 6). Ces techniques peuvent donner de précieuses informations sur les complications, tant locales qu'extracardiaques, de même que sur la source de la bactériémie. Ainsi, le CT scan cardiaque a désormais une indication de classe I, non seulement pour évaluer les complications paravalvulaires ou périprothétiques, mais aussi - en raison de la grande précision de cette technique - pour évaluer les lésions valvulaires, tant en cas d'EVN que d'EVP, si l'échographie n'est pas formelle. Actuellement, l'imagerie du cerveau et l'imagerie du corps entier sont également fortement suggérées pour détecter les lésions périphériques si le patient atteint d'EI est symptomatique (classe I), mais elles peuvent également être envisagées pour les patients asymptomatiques (classe IIb).
Sur la base des résultats des trois piliers, on examine quels critères majeurs ou mineurs sont remplis pour classer ensuite l'EI en EI certaine, possible ou rejetée (tableau 7). Cette nouvelle classification doit être effectuée immédiatement dès l'admission, mais elle doit être répétée au cours du suivi dès qu'on dispose de résultats de tests supplémentaires.
Une fois l'EI classée, les algorithmes spécifiques (figure 1) ont pour but de nous guider, plus particulièrement sur l'attitude à adopter en cas d'EI 'possible' et sur les examens complémentaires à réaliser en cas d'EVN/EVP 'certaine' s'il y a une suspicion de complications paravalvulaires/ périprothétiques et pour exclure des complications extracardiaques.
Nouvelles indications pour l'antibiothérapie en cas d'EI
Emil Fosbol - Copenhague, Danemark
L'EI reste une affection difficile à traiter. L'équipe spécialiste de l'endocardite, constituée d'un cardiologue, d'un chirurgien, d'un microbiologiste, d'un infectiologue..., doit jouer un rôle central dans la prise en charge de l'EI. Les schémas d'antibiotiques, tant empiriques que ciblés, sont inchangés par rapport aux recommandations précédentes. La nouveauté réside dans le paradigme du traitement oral et parentéral ambulatoire (OPAT) (tableau 8), qui a vu le jour suite aux résultats de l'étude POET (Partial Oral versus Intravenous Antibiotic Treatment of Endocarditis).2 Cette étude nous apprend qu'il est possible de poursuivre le traitement des patients par voie orale si l'EI est due à un groupe sélectionné de bactéries (responsables de l'EI dans 80 % des cas) et si l'état des patients est stable. Ce nouveau paradigme est associé à une durée d'hospitalisation plus courte et à de meilleurs résultats cliniques à long terme.2 Lorsque les résultats primaires (mortalité, embolies, chirurgie non planifiée, récidive de l'EI) ont été examinés après 6 mois de traitement, le traitement oral ne s'est pas avéré inférieur au traitement IV, mais les patients sous traitement oral sont sortis de l'hôpital 17 jours plus tôt en moyenne. Après une période de suivi de 5 ans, le traitement oral s'est même avéré supérieur.
Les recommandations actuelles préconisent de distinguer deux phases de l'EI (figure 2) : une première phase critique où il est important de choisir les antibiotiques appropriés le plus rapidement possible et où on pense encore à la chirurgie, et une deuxième phase de stabilité. Lorsque cette deuxième phase est atteinte, c.-à-d. lorsque les patients ont reçu des antibiotiques adéquats par voie IV pendant au moins 10 jours (ou ≥ 7 jours après une chirurgie cardiaque), qu'ils n'ont plus de fièvre depuis deux jours et que la protéine C-réactive (CRP) et la leucocytose ont atteint un niveau acceptable, il convient de réaliser une ETO. Cette technique permet de vérifier si le traitement administré jusqu'à présent semble efficace et s'il n'y a ni formation d'abcès ni détérioration de la fonction valvulaire, de sorte que le passage à une double antibiothérapie par voie orale ou à l'OPAT puisse être mis en oeuvre en toute sécurité. Il est important de ne pas laisser sortir de patients non compliants au traitement et de prévoir un suivi régulier en ambulatoire. La durée totale du traitement reste également de 4 à 6 semaines dans le nouveau paradigme.
Indications chirurgicales en cas d'EI
Eduard Quintana - Barcelone, Espagne
En ce qui concerne les indications chirurgicales pour l'EI, on établit une distinction entre les EVN ou les EVP gauches et droites. Pour une EI gauche, la chirurgie est indiquée en cas d'insuffisance cardiaque, d'infection non contrôlée ou pour la prévention des embolies (tableau 9). Dans les recommandations actuelles, les ajouts ou améliorations ne concernent que les deux dernières catégories. La nouveauté dans la prise en charge chirurgicale de l'EI droite (tableau 10) est qu'un debulking des masses septiques intra-auriculaires par aspiration percutanée peut être envisagé chez certains patients présentant un risque chirurgical élevé. En outre, en cas d'intervention chirurgicale sur la valve tricuspide, il est préférable de procéder à une réparation plutôt qu'à un remplacement, si possible, et une sonde de stimulation épicardique doit être envisagée à titre prophylactique. En ce qui concerne le timing de l'intervention chirurgicale, seule la définition d'une intervention 'urgente' a été modifiée, à savoir dans les 3-5 jours, ce qui est plus rapide que dans les recommandations précédentes.
Ensuite, on a traité de la chirurgie après un AVC (tableau 11). Auparavant, après un AVC hémorragique, la recommandation standard était d'attendre au moins un mois avant de procéder à une chirurgie cardiaque. Toutefois, étant donné que de nombreux patients décèdent avant ce délai d'un mois, la chirurgie peut désormais être pratiquée plus tôt chez des patients stables avec une indication chirurgicales stricte, si les chances d'obtenir un bon résultat neurologique sont raisonnables.
Une autre nouvelle recommandation importante est qu'en cas d'EVP précoce (< six mois après la chirurgie valvulaire), on recommande la chirurgie avec un nouveau remplacement valvulaire et un débridement complet (classe I, niveau C) car les chances de guérison avec des antibiotiques seuls sont très faibles en raison du biofilm présent sur la valve.
Enfin, une nouvelle série de recommandations a été rédigée concernant l'évaluation préopératoire des artères coronaires chez les patients ayant une indication chirurgicale pour une EI (tableau 12).
Messages-clés
- L'antibioprophylaxie n'est recommandée que dans la catégorie à haut risque. Outre les interventions dentaires, une antibioprophylaxie peut désormais être envisagée lors de quelques interventions non dentaires et de certaines procédures cardiaques.
- En outre, des mesures plus générales de prévention de la bactériémie sont également recommandées chez les patients à risque intermédiaire et élevé, mais elles devraient idéalement être appliquées également en cas de risque faible.
- Le diagnostic de l'EI reste basé sur la suspicion clinique, les hémocultures et les signes d'EI à l'imagerie.
- L'échocardiographie est la première technique d'imagerie pour diagnostiquer l'EI. En outre, l'utilisation d'autres techniques d'imagerie est fortement recommandée car elles peuvent fournir des informations précieuses sur les complications locales et extracardiaques, ainsi que sur la source de la bactériémie.
- Les nouvelles recommandations proposent une classification de l'EI et des algorithmes diagnostiques spécifiques pour l'EVN, l'EVP et l'EI associée à un DECI.
- Dès que le patient répond aux nouveaux critères de stabilité, il convient d'envisager le passage d'une antibiothérapie IV à une double antibiothérapie par voie orale, ce qui raccourcit la durée de l'hospitalisation et donne de meilleurs résultats cliniques à long terme.
- Dès que le patient répond aux nouveaux critères de stabilité, il convient d'envisager le passage d'une antibiothérapie IV à une double antibiothérapie par voie orale, ce qui raccourcit la durée de l'hospitalisation et donne de meilleurs résultats cliniques à long terme.
- Pour les EI gauches, le recours à la chirurgie pour prévenir les embolies est plus rapide.
- On a également ajouté quelques recommandations pour l'EI droite : préférer la réparation de la valve tricuspide, envisager la mise en place d'une sonde de stimulation épicardique dans les opérations sur la valve tricuspide et la possibilité d'un debulking intra-auriculaire par aspiration percutanée.
- En cas d'EVP précoce (< six mois), la chirurgie est également recommandée.
- En cas d'AVC hémorragique, la chirurgie cardiaque pour une EI peut encore être réalisée dans un délai d'un mois, chez des patients instables avec indications chirurgicales strictes si les chances d'obtenir un bon résultat neurologique sont raisonnables.
Références
- Delgado, V., Ajmone Marsan, N., de Waha, S., Bonaros, N., Brida, M., Burri, H. et al. 2023 ESC Guidelines for the management of endocarditis. Eur Heart J, 2023.
- Iversen, K., Ihlemann, N., Gill, S.U., Madsen, T., Elming, H., Jensen, K.T. et al. Partial Oral versus Intravenous Antibiotic Treatment of Endocarditis. N Engl J Med, 2018, 380 (5), 415-424.
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