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L'aspirine à titre préventif va-t-elle connaître le même sort que la calculatrice électronique ?
  • Christiaan Vrints

Depuis 50 ans, un traitement par aspirine à faible dose pour la prévention des complications thrombotiques de l'athérosclérose est une pierre angulaire majeure de la prévention primaire et secondaire des maladies cardiovasculaires. En 2018, plus d'un milliard de personnes prenaient une faible dose d'aspirine à titre préventif.

De nombreuses choses que nous utilisons deviennent obsolètes au bout d'un certain temps, lorsque de meilleures solutions ou de meilleurs traitements arrivent sur le marché. étudiant, je me servais d'une règle coulissante pour faire mes calculs au laboratoire de physique… Assistant en pneumologie, j'utilisais une coûteuse calculatrice électronique pour calculer les fonctions pulmonaires… et aujourd'hui, il y a une calculatrice sur tous les smartphones. L'aspirine à titre préventif va-t-elle connaître le même sort que la règle coulissante et la calculatrice électronique ?

En prévention primaire des maladies coronariennes, il est de moins en moins certain que le petit bénéfice d'un traitement par aspirine à faible dose l'emporte bien sur le risque d'hémorragies gastro-intestinales.1 Les recommandations de l'ESC sur la prévention cardiovasculaire ne soutiennent plus l'utilisation d'une faible dose d'aspirine en prévention primaire, excepté chez les diabétiques ne présentant aucune contre-indication.2 Il semble que la place de l'aspirine à faible dose en prévention secondaire, surtout à plus long terme, doive également être réexaminée. Cependant, en prévention secondaire, le rôle de l'aspirine repose sur des bases plus solides qu'en prévention primaire. Depuis l'avènement des stents, une double thérapie antiagrégante plaquettaire (DAPT) au moyen d'aspirine et d'un inhibiteur de P2Y12 constitue le traitement standard. Les recommandations actuelles préconisent 6 mois de DAPT pour les patients qui subissent une intervention coronaire percutanée (PCI) pour une maladie coronarienne chronique3 et 12 mois pour un syndrome coronarien aigu (SCA) avec ou sans PCI.4 La prolongation de la DAPT au-delà de cette période semble réduire les événements ischémiques, mais au prix d'une augmentation des saignements. Des études ultérieures ont montré que les actuels stents médicamenteux permettent de raccourcir considérablement la durée de la DAPT (1 à 3 mois, suivis d'une monothérapie par aspirine ou inhibiteur de P2Y12) avec un risque ischémique ou thrombotique similaire, mais un risque hémorragique moindre par rapport à la durée standard de la DAPT (le plus souvent 12 mois). Cependant, on ignore quel est le meilleur traitement préventif à long terme pour les patients souffrant d'une maladie coronarienne chronique depuis plus de 12 mois : l'aspirine à faible dose ou les inhibiteurs de P2Y12 qui sont ou seront bientôt disponibles sous forme générique.

Les résultats d'une méta-analyse au niveau du patient, menée par les investigateurs de l'étude PANTHER, ont récemment été publiés.5 Cette analyse a comparé un traitement par aspirine à faible dose avec une monothérapie par inhibiteur de P2Y12 chez des patients souffrant d'une maladie coronarienne chronique depuis plus de 12 mois (figure 1). En tout, 24 235 patients souffrant d'une maladie coronarienne chronique, issus de 7 études randomisées contrôlées, ont été inclus. Environ 60 % d'entre eux avaient un SCA comme critère d'inclusion, 2 études ont examiné une population post-CABG. Parmi les patients traités par un inhibiteur de P2Y12, 62 % recevaient du clopidogrel et 38 % du ticagrelor. Comparativement à la monothérapie par aspirine, la monothérapie par inhibiteurs de P2Y12 était associée à une diminution de 12 % du critère d'évaluation primaire (décès cardiovasculaire, infarctus myocardique [IM] ou accident vasculaire cérébral sur une durée médiane de 1,35 an, 3,6 % vs 4,1 %; P = 0,012 ; le nombre de patients nécessaires pour obtenir cet effet après 2 ans de traitement [NNT] était de 121). La diminution du critère d'évaluation primaire s'expliquait principalement par une diminution du nombre d'infarctus myocardiques (1,5 % vs 1,9 % ; P < 0,001) et de thromboses de stent chez les patients ayant subi une PCI (0,13 % vs 0,28 % ; P = 0,03) avec un inhibiteur de P2Y12 en monothérapie. Globalement, le nombre d'hémorragies sévères était similaire, mais il y avait moins d'hémorragies gastro-intestinales (0,5 % vs 0,7 % ; P = 0,027 ; NNT = 500) et d'accidents vasculaires cérébraux hémorragiques (0,07 % vs 0,17 % ; P = 0,012 ; NNT = 1 000) avec l'inhibiteur de P2Y12 par rapport à l'aspirine. On n'a pas observé de différences significatives entre les sous-groupes, y compris entre le clopidogrel et le ticagrelor, ou entre l'aspirine à forte et à faible dose.

En résumé, la méta-analyse de PANTHER suggère qu'une monothérapie par un inhibiteur de P2Y12 est plus efficace et plus sûre que l'aspirine à faible dose en prévention secondaire des maladies coronariennes chroniques. Comme toujours, une telle méta-analyse ne peut être qu'indicative, et doit être confirmée par une étude prospective randomisée. En attendant, les appels se multiplient toutefois pour remplacer l'aspirine à faible dose par une monothérapie par un inhibiteur de P2Y12 pour la prévention secondaire chez les patients souffrant d'une maladie coronarienne chronique qui n'entrent pas en ligne de compte pour une DAPT prolongée en raison d'un risque cardiovasculaire accru.6,7

S'il est toujours difficile de prédire ce que l'avenir nous réserve, il est par contre certain que le traitement antithrombotique des maladies coronariennes chroniques sera de plus en plus individualisé en fonction du risque de complications ischémiques et hémorragiques. Chez une proportion importante de patients, une monothérapie par un inhibiteur de P2Y12 peut offrir des avantages à long terme par rapport à l'aspirine à faible dose, compte tenu de leur effet plus puissant sur la prévention des événements ischémiques et d'un risque hémorragique moindre.

Références

  1. Abdelaziz, H.K., Saad, M., Pothineni, N.V.K. et al. Aspirin for Primary Prevention of Cardiovascular Events. J Am Coll Cardiol, 2019, 73, 2915-2929.
  2. Visseren, F.L.J., Mach, F., Smulders, Y.M. et al. 2021 ESC Guidelines on cardiovascular disease prevention in clinical practice. Eur Heart J, 2021, 42, 3227-3337.
  3. Knuuti, J., Wijns, W., Saraste. A. et al. 2019 ESC Guidelines for the diagnosis and management of chronic coronary syndromes. Eur Heart J, 2020, 41, 407-477.
  4. Collet, J.P., Thiele, H., Barbato, E. et al. 2020 ESC Guidelines for the management of acute coronary syndromes in patients presenting without persistent ST-segment elevation. Eur Heart J, 2021, 42, 1289-1367.
  5. Gragnano, F., Cao, D., Pirondini, L. et al. P2Y(12) Inhibitor or Aspirin Monotherapy for Secondary Prevention of Coronary Events. J Am Coll Cardiol, 2023, 82, 89-105.
  6. Valgimigli, M., Aboyans, V., Angiolillo, D. et al. Antithrombotic treatment strategies in patients with established coronary atherosclerotic disease. Eur Heart J Cardiovasc Pharmacother, 2023, 9, 462-496.
  7. Landi, A., Valgimigli, M. Antithrombotic therapy in patients with established atherosclerotic coronary disease. Heart, 2023, 109, 1034-1043.

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