ESC CardioVascular Care 2023
Lors de l'ESC Acute CardioVascular Care (ACVC) organisé le 26 mars dernier, une session a été consacrée au traitement de pointe actuel du choc cardiogénique, avec comme orateurs Frederik H. Verbrugge, Jakob Josiassen et Peter M. Clemmensen.
Les inotropes positifs en cas de choc cardiogénique
Frederik Verbrugge a commencé la session par un exposé sur les médicaments inotropes positifs en cas de choc cardiogénique, en soulignant tout d'abord que, dans de nombreux cas, il est possible d'éviter les inotropes. C'est surtout chez les patients ayant un faible débit cardiaque, des résistances vasculaires périphériques élevées et une fonction ventriculaire droite relativement préservée que les vasodilatateurs artériels puissants, comme le nitroprussiate, constituent une alternative intéressante. Il en va de même des patients ayant une pression artérielle systolique basse.1,2 En effet, les vasodilatateurs réduisent tant la postcharge que la précharge, soulageant ainsi le coeur, contrairement aux inotropes qui augmentent la demande en oxygène du myocarde.
Le traitement chronique par inotropes positifs n'améliore pas le pronostic des patients souffrant d'insuffisance cardiaque, alors que les risques sont clairement démontrés. Une analyse observationnelle de l'étude FIRST (Flolan International Randomized Survival Trial) a montré que l'utilisation de dobutamine était associée à une augmentation de la mortalité chez les patients souffrant d'insuffisance cardiaque avancée, même après une correction statistique approfondie pour les caractéristiques des patients.3 Dans l'étude OPTIME-CHF (Outcomes of a Prospective Trial of Intravenous Milrinone for Exacerbations of Chronic Heart Failure), l'utilisation de milrinone a augmenté l'hypotension, les arythmies auriculaires et la mortalité dans la population souffrant d'une cardiopathie ischémique.4 Bien que le lévosimendan ait un profil plus favorable lorsqu'il est utilisé de manière chronique dans l'insuffisance cardiaque, cette molécule présente également des inconvénients : 8 % d'arythmies ventriculaires en plus, quatre fois plus de fibrillation auriculaire et une hypotension fréquente due aux effets vasodilatateurs.5 En effet, tant la dobutamine et la milrinone que le lévosimendan sont des molécules calcitropes qui augmentent la concentration intracellulaire de calcium (dobutamine et milrinone) ou améliorent la sensibilité au calcium (lévosimendan). D'autres agents inotropes ayant des effets directs sur les sarcomères ou les mitochondries font actuellement l'objet d'études, et il se pourrait qu'ils aient un profil plus favorable avec moins d'effets indésirables à l'avenir.
Il importe d'avoir conscience que le but des inotropes est de préserver la perfusion des organes et non de traiter purement l'hypotension. Sur ce plan, une évaluation adéquate et régulière du débit cardiaque est nécessaire, et le type de monitoring spécifique utilisé semble plutôt secondaire. Le cathéter artériel pulmonaire (cathéter de Swan-Ganz) est un peu tombé en désuétude, mais une série récente a montré que, chez les patients en choc cardiogénique avancé ou complexe, son utilisation couplée à une évaluation complète des paramètres hémodynamiques était associée à une meilleure survie.6
Par ailleurs, le recours aux inotropes doit être considéré comme un 'pont' vers une intervention visant à modifier la maladie, comme un meilleur traitement chronique, une intervention chirurgicale ou une transplantation. La stratégie de sortie est donc très importante. Il semble dès lors quelque peu contradictoire d'utiliser des inotropes pour le sevrage d'une assistance mécanique qui soulage le coeur. Les pompes micro-axiales à débit continu pour le ventricule gauche et le ventricule droit ou l'oxygénation par membrane extracorporelle veino-veineuse (ECMO-VV) avec un cathéter ProtekDuo® en sont des exemples. En effet, ces modalités visent à réduire la consommation d'oxygène du myocarde pour favoriser la récupération. L'oxygénation par membrane extracorporelle veino-artérielle (ECMO-VA) est totalement différente, car elle augmente significativement la postcharge du ventricule gauche (VG) et la consommation d'oxygène du myocarde. Dans une telle situation, le sevrage par inotropes semble potentiellement utile.
Il existe quelques différences pharmacologiques importantes entre les différentes molécules inotropes positives (tableau 1). Si la vasopressine est surtout nécessaire, l'étude SOAP II (Sepsis Occurrence in Acutely Ill Patients) a montré que la noradrénaline constituait un meilleur choix que la dopamine en cas de choc mixte, distributif et cardiogénique.7 Suite à cette étude, la dopamine n'est dès lors plus utilisée. Il est également préférable d'éviter l'adrénaline, car elle induit une tachycardie et augmente donc considérablement la consommation d'oxygène dans les ventricules ischémiques, ce qui peut être associé à un risque accru de choc réfractaire. Les arguments en faveur du choix entre la dobutamine et la milrinone sont moins clairs et, dans une étude randomisée récente, les résultats cliniques étaient similaires avec les deux molécules.8 Dans une revue Cochrane, l'utilisation du lévosimendan a pu être associée à un gain précoce de survie, qui a toutefois disparu avec l'allongement du suivi.9 En cas de choc septique, les patients traités par lévosimendan se portaient nettement moins bien (peut-être à cause de l'effet vasodilatateur supplémentaire), tandis qu'une petite étude (avec seulement 15 événements) chez des patients souffrant d'un infarctus myocardique aigu a montré un bénéfice potentiel en termes de survie. Les études portant sur l'utilisation du lévosimendan pour la prévention d'un faible débit cardiaque après une chirurgie cardiaque se sont avérées décevantes et ne suggèrent aucune utilité dans ce contexte.
Le choix d'une molécule inotrope positive reste donc largement individuel et basé sur le profil pharmacologique spécifique de la molécule (tableau 1). De plus, un traitement chronique par bêtabloquants peut être un argument pour choisir une molécule inotrope qui n'agit pas via le récepteur bêta (p. ex. la milrinone/l'énoximone ou le lévosimendan). Cependant, bien plus que le 'pont' (inotropes), c'est l'objectif final (stratégie de sortie) et le moyen le plus simple pour y parvenir qui importent. Il convient donc d'y réfléchir suffisamment tôt dans l'évolution de la maladie.
Utilisation du ballon de contrepulsion intra aortique : la fin est-elle proche ?
Jakob Josiassen a ensuite présenté les données scientifiques actuelles au sujet du ballon de contrepulsion intra-aortique (BCPIA). Cette forme d'assistance mécanique percutanée du VG est utilisée depuis des décennies dans le traitement du choc cardiogénique. Toutefois, des études récentes ont remis en question l'efficacité de cette pratique.
Introduit dans les années 1950, le BCPIA est basé sur le principe de la contrepulsion (figure 1). Il améliore la perfusion coronaire, réduit la postcharge du VG et augmente le débit cardiaque de 0,5 litre maximum. Cependant, l'étude randomisée IABP-SHOCK II, conduite en 2012 auprès de 600 patients, n'a pas pu démontrer de bénéfices d'un traitement par BCPIA en cas de choc cardiogénique après un infarctus myocardique.10 De ce fait, l'utilisation du BCPIA en routine pour cette indication a été déconseillée, ce qui a conduit à une utilisation accrue d'autres modalités d'assistance circulatoire mécanique, souvent peu étayée scientifiquement.
Selon l'orateur, le BCPIA a toujours sa place à titre de 'temporisation' dans des cas précis, comme l'insuffisance mitrale sévère ou pour améliorer la perfusion coronaire en cas de lésions critiques, dans l'attente d'un pontage chirurgical. Par ailleurs, il est nécessaire d'approfondir les études sur le rôle du BCPIA en cas de choc cardiogénique d'origine non ischémique. Ces chocs représentent environ 50 % des cas et sont plus fréquents chez les patients plus jeunes dont le pronostic est meilleur. Deux études en cours fourniront de nouvelles informations importantes sur l'utilité potentielle du BCPIA. L'étude ALTSHOCK-2 est une étude multicentrique randomisée à grande échelle portant sur l'utilisation précoce du BCPIA en cas de décompensation aiguë d'une insuffisance cardiaque, compliquée d'un choc ou d'un faible débit cardiaque. L'étude ANCHOR évaluera l'utilité du BCPIA chez les patients bénéficiant d'une ECMO-VA.
Combinaison de diverses formes d'assistance circulatoire mécanique
Peter Clemmensen a clôturé la session par un exposé sur la combinaison de différentes formes d'assistance circulatoire mécanique. Les preuves scientifiques en faveur d'une telle approche en sont encore à leurs balbutiements et reposent sur de petites études souvent non randomisées. Néanmoins, cette approche se révèle prometteuse.
Schrage et al. ont montré que les patients en choc cardiogénique présentent une élévation de la pression capillaire bloquée lorsqu'on débute l'ECMO-VA (figure 2).11 En effet, l'ECMO-VA augmente la postcharge du VG, ce qui peut entraîner un oedème pulmonaire. En associant l'ECMO-VA à une pompe axiale à débit continu (Impella®) qui vidange le ventricule, on provoque une décharge rapide, de sorte que la pression capillaire bloquée diminue. Comme la pompe axiale à débit continu facilite également le sevrage de l'ECMO-VA, il pourrait s'agir d'une stratégie de décharge de choix, bien que de plus amples données (randomisées) soient nécessaires.
Dans une étude cas-témoins, Schrage et al. ont en outre montré qu'une stratégie de décharge plus agressive, combinant l'ECMO-VA et l'Impella® (appelée ECMELLA), permettait de réduire la mortalité (figure 3).12 Ici, une intervention précoce est importante pour obtenir un résultat optimal. Les critères de la Society for Cardiovascular Angiography and Interventions (SCAI) peuvent s'avérer utiles pour reconnaître le choc cardiogénique à un stade précoce.
Cependant, l'assistance circulatoire mécanique n'est pas dénuée de risques, notamment une diathèse hémorragique - impliquant à la fois une augmentation du risque thromboembolique et hémorragique - et un accident vasculaire cérébral, des infections, une hémolyse et des complications vasculaires. Une équipe pluridisciplinaire composée de chirurgiens cardiothoraciques, de cardiologues, d'anesthésistes et d'intensivistes est cruciale pour la prise en charge correcte de ces complications, et elle améliore potentiellement le pronostic.
Conclusion
Le traitement du choc cardiogénique reste complexe et une approche individualisée est nécessaire. Les médicaments inotropes positifs et les formes d'assistance circulatoire mécanique offrent des options pour assurer la perfusion des organes, mais la perspective à long terme et la stratégie de sortie sont tout aussi importantes. Pour une prise de décision aussi complexe, un travail d'équipe est crucial, idéalement sous la forme d'une 'équipe du choc' pluridisciplinaire.
Références
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