NL | FR
L'insuffisance cardiaque : du traitement médical au traitement mécanique
  • Constantin Stefanidis , Bachar El Oumeiri , Frédéric Vanden Eynden , Constantin Stefanidis 

L'insuffisance cardiaque aiguë ou chronique est en croissance depuis quelques années. La prise en charge de la maladie ne cesse de s'améliorer, avec l'introduction des inhibiteurs des récepteurs de l'angiotensine et de la néprilysine ainsi que des inhibiteurs du SGLT2, qui ont permis de réduire le taux de mortalité et le nombre d'hospitalisations.

Pour certains malades au stade terminal, le traitement médical est insuffisant. Il arrive que des patients de moins de 65 ans bénéficient de la transplantation cardiaque, mais l'offre des greffons du coeur reste faible. La mise en place des assistances circulatoires gauches offre une alternative qui permet d'allonger le délai d'attente et de survie, mais également d'augmenter la qualité de vie des patients. Des progrès considérables ont été réalisés concernant cette technologie. Depuis 2001, l'étude REMATCH montre que, chez des patients en insuffisance cardiaque terminale, la survie à un an avec une pompe de première génération est meilleure qu'avec un traitement médical seul. La technologie a continué à s'améliorer, avec les pompes d'assistance ventriculaire gauche de deuxième et troisième générations, qui ont permis un taux de survie à deux ans passant de 68 % à 79 %.

Il est indispensable que, lors de réunions multidisciplinaires et suivant les dernières recommandations, nous puissions discuter et faire profiter de ces nouvelles technologies des patients sélectionnés qui attendent depuis trop longtemps sur la liste d'attente de transplantation cardiaque.

L'insuffisance cardiaque est une maladie fréquente, particulièrement avec le vieillissement de la population. La prévalence de patients en insuffisance cardiaque augmente et atteindra plus de huit millions dans le monde à l'échéance de 2030.1 En Belgique, chaque année, il est diagnostiqué quelque 40 cas par jour. Néanmoins, une tranche de cette population jeune (< 65 ans) développe une insuffisance cardiaque, qu'elle soit d'origine virale, ischémique, idiopathique ou autre. Cette insuffisance cardiaque aiguë ou chronique nécessite une prise en charge spécifique.

Le traitement principal est le traitement cardiologique optimal. Il passe d'abord par un régime alimentaire adapté (conseil diététique), des exercices physiques (revalidation cardio-pulmonaire), et la prise de médicaments agissant sur la stimulation neuro-humorale, mais aussi parfois par la thérapie de resynchronisation, en cas de bloc de branche gauche. Certains malades sont stabilisés sur le plan symptomatique à plus ou moins long terme. Malgré cela, il arrive que des patients en insuffisance cardiaque évoluent vers des décompensations itératives et des séjours hospitaliers fréquents. Le pronostic de ces patients à un an est médiocre, avec un taux de mortalité de l'ordre de 30 %, selon un registre américain.2 La transition de l'insuffisance cardiaque stable vers la forme avancée n'est pas bien définie et est surtout multifactorielle (infections, passage en fibrillation auriculaire, etc.). Cette situation avancée de l'insuffisance cardiaque terminale ne doit pas être dépassée et atteindre d'autres fonctions d'organes tels que le foie et le rein.

Pour ces patients, une seule option demeure : la transplantation cardiaque. Elle est réservée aux malades souffrant d'une pathologie cardiaque terminale sans autres comorbidités majeures. Malgré tous les efforts, le don d'organes reste insuffisant, et il arrive encore que certains patients décèdent alors qu'ils sont sur la liste d'attente pour un coeur. Une alternative pour pallier cette problématique est donc l'implantation d'une pompe d'assistance circulatoire ventriculaire gauche (ACVG). Les patients en insuffisance cardiaque éligibles à cette technique sont ceux dont la maladie est réfractaire aux traitements et dont les symptômes deviennent sévères, ce qui s'évalue selon une série de critères (tableau 1).

Le suivi de nos patients au stade terminal ainsi que leur traitement sont réalisés en consultation, afin de dépister une dégradation clinique ou hémodynamique, ou encore des hospitalisations itératives, ce qui peut parfois nous amener à proposer une solution thérapeutique mécanique. Une équipe multidisciplinaire (« Heart Team »), qui est présente dans les centres de référence disposant de la transplantation cardiaque et qui rassemble cardiologues qualifiés en insuffisance cardiaque, chirurgiens cardiaques, psychologues, assistants sociaux, diététiciens et kinésithérapeutes, évalue le dossier afin d'optimiser la prise en charge et d'aboutir au meilleur traitement. Si une greffe cardiaque est envisagée, la durée moyenne sur la liste d'attente pour obtenir un bon greffon cardiaque est de plus de 800 jours.

La prise en charge de ces patients en phase terminale peut alors passer du traitement cardiologique optimal vers le traitement chirurgical, par l'implantation d'une pompe d'ACVG.

Un progrès thérapeutique sur le plan médical est à souligner, mais à l'heure actuelle, le don d'organes ne permet toujours pas de combler la demande. Le traitement mécanique peut ainsi venir en support.

Initialement, les pompes d'assistance de longue durée étaient paracorporelles, c'est-à-dire situées à l'extérieur de l'organisme. Elles avaient cependant pour inconvénients d'être encombrantes et de présenter une défaillance de la valve anti-reflux. De la pompe pulsatile (première génération), on a ensuite évolué vers la pompe axiale avec un flux sanguin continu (deuxième génération), pour en arriver à l'heure actuelle à la pompe centrifuge (troisième génération) (figure 1).

La société internationale de transplantation cardiaque et pulmonaire (ISHLT) a édité un registre dans lequel une classification INTERMACS (Interagency Registry for Mechanically Assisted Circulatory Support) a été implémentée. Celle-ci reflète la situation de chaque patient en insuffisance cardiaque (tableau 2).

D'un point de vue chirurgical, la technique de pose de la pompe est relativement simple. Le chirurgien suture à la pointe du ventricule gauche la canule qui rentre dans la cavité du ventricule gauche, et le sang est ensuite aspiré par la pompe, qui le rejette dans l'aorte ascendante grâce à un tube en dacron suturé par un surjet. Un câble d'alimentation sort au niveau de l'abdomen et est connecté à des batteries et un contrôleur.

L'étude REMATCH, publiée en novembre 2001 par Eric Rose dans le New England Journal of Medicine (NEJM), a démontré que la survie d'un patient avec cardiomyopathie terminale, auquel on pose une pompe gauche de type paracorporel pulsatile, était meilleure que celle d'un patient ayant bénéficié du traitement médical seul.3 Le taux de mortalité à un an était de 45 %. Ainsi, les patients « jeunes » (< 65 ans) avaient, à relativement court terme, un taux de survie meilleur que ceux qui prenaient un traitement médical seul.

Cette pompe paracorporelle est un outil qui reste d'actualité dans le domaine des assistances ventriculaires pédiatriques. Cependant, depuis plus de dix ans, grâce aux nouvelles technologies mécaniques, les ACVG ont évolué, avec l'aboutissement dans un premier temps d'une pompe de deuxième génération, le Heartmate 2 (HM2). Elle est plus petite, avec un flux continu, et est moins encombrante et invasive, puisque placée dans une poche prépéritonéale. Entre les première et deuxième générations, on a ainsi amélioré la survie des patients à deux ans (24 % vs 58 %),4 mais également leur confort physique et émotionnel.5

Par la suite, la technologie des assistances circulatoires gauches n'a eu de cesse d'évoluer. Les ACVG de deuxième génération ont permis une survie et une qualité de vie meilleures que celles de première génération.3 C'est ainsi que, en 2007, Leslie W. Miller et al. ont fait état, dans la revue NEJM, d'une survie de l'ordre de 80 % à six mois chez les patients avec ACVG de deuxième génération.6 Deux ans plus tard, en 2009, Mark S. Slaughter a démontré dans le même journal une survie nettement meilleure des patients porteurs d'une ACVG de deuxième génération, par rapport à la première génération.4

Aujourd'hui, nous en sommes à la troisième génération de ces pompes cardiaques, avec le Heartmate 3 (HM3), qui produit un flux continu grâce à une force centrifuge. Cette pompe a en outre pour propriété d'avoir une meilleure hémocompatibilité sanguine avec moins de risques de thrombose, grâce à un espace interne plus grand évitant le « stress » des éléments sanguins. Elle est également miniaturisée à l'extrême, permettant ainsi une implantation intrapéricardique (figure 1).

La première étude MOMENTUM 3 Trial a montré une supériorité du taux de survie à six mois (69 % vs 55 %) de la pompe Heartmate 3, de dernière génération, sur la pompe Heartmate 2.7 Ceci est d'autant plus vrai que, dans la dernière publication MOMENTUM 3 de Mehra et al., en 2019, dans le NEJM, la survie à deux ans est proche de 79 % avec la pompe à lévitation magnétique de troisième génération.8 En d'autres termes, la survie globale de ces patients avec ACVG rejoint celle des patients ayant subi une transplantation cardiaque (figure 2).

En parallèle, le traitement médical de l'insuffisance cardiaque s'est néanmoins amélioré depuis l'étude PARADIGM-HF en septembre 2014. L'administration d'un inhibiteur des récepteurs de l'angiotensine et de la néprilysine par rapport à l'énalapril a réduit de manière significative les risques de décès cardiovasculaire et d'hospitalisation, de respectivement 20 % et 21 %. Les inhibiteurs du SGLT2 (empagliflozine, dapagliflozine) sont venus par la suite et ont apporté un bénéfice complémentaire. C'est un progrès considérable du traitement médicamenteux pour le patient, lui permettant de passer le cap de son épisode d'insuffisance cardiaque.9

Aujourd'hui, plusieurs questions peuvent être posées de manière légitime : tout d'abord, faut-il craindre ces outils mécaniques mis à notre disposition et leurs complications ? La technologie des ACVG arrive à de bons résultats, avec une miniaturisation et une hémocompatibilité sanguine qui réduisent significativement l'une des complications les plus graves : la thrombose de pompe. Faut-il pour autant attendre que la situation s'aggrave pour référer ces patients, afin de les aider à obtenir une meilleure qualité de vie ? Chaque année, des campagnes d'information sont organisées tant au niveau national qu'international. Le don d'organes n'augmente toutefois pas de manière significative, malgré une modification des lois. Les patients plus âgés avec des pathologies associées (artériopathie des membres inférieurs, diabète, insuffisance rénale chronique, etc.) montrent malgré tout des résultats de survie moins bons à court et moyen terme.

Les greffons cardiaques sont relativement rares pour tous les patients sur la liste d'attente. En Belgique, nous sommes tributaires de la liste d'attente de Eurotransplant (distributeur dans huit pays européens), celle-ci étant régulée en fonction de l'offre (qui reste limitée) et de la demande. Une fois inscrit sur la liste, le patient devra souvent attendre plusieurs mois pour obtenir un coeur. Pour certains, cette attente est longue, car elle s'accompagne d'une qualité de vie compromise, voire extrêmement difficile, et d'une perte d'autonomie.

Lors de réunions multidisciplinaires (« Heart Team »), nous analysons chaque dossier afin de proposer le meilleur traitement médical, la mise en place directe de la pompe d'assistance, voire une transplantation cardiaque.

La loi belge nous permet de mettre à disposition 60 pompes par an, pour tous les centres disposant de la transplantation cardiaque. La loi est claire : tout patient de moins de 68 ans inscrit sur la liste de Eurotransplant peut bénéficier de l'implantation d'une assistance circulatoire gauche dans le cadre d'un « bridge to transplantation » (BTT), c'est-à-dire dans l'attente d'une greffe cardiaque, ou d'un « bridge to decision » (BTC), pour des patients qui nécessitent un certain temps afin de réaliser un bilan de transplantation.

à titre de comparaison, en Belgique (population : 11,31 millions), nous avons implanté en 2016 53 AVCG, tandis que l'Allemagne (population : 82,35 millions) en a implanté environ 1 000.10,11 Cette incidence moindre du nombre d'assistances circulatoires gauches implantées est liée à notre législation plus restrictive quant au remboursement, par rapport au système d'assurance sociale allemand, plus libéral.

Depuis avril 2022, nous pouvons, sous certaines conditions, mettre des patients âgés de plus de 68 ans, en bon état physique et neurologique et sans comorbidités, sous assistance circulatoire en « destination therapy » (DT). D'autres pays européens limitrophes, à l'image des états-Unis, n'hésitent pas à appliquer plus libéralement cette thérapie pour le bien du patient, quand son assurance rembourse la totalité de la prise en charge. à la clé : des résultats à moyen et long terme intéressants par rapport au traitement médical classique, dans des cas sélectionnés.

En 2016, la European Society of Cardiology a publié ses directives pour le diagnostic et le traitement de l'insuffisance cardiaque aiguë ou chronique. Les résultats diffusés démontrent que, en fonction de la classification INTERMACS, plus le patient est stable, meilleure est la survie, lorsque l'on implante de manière précoce une ACVG.12

Depuis la mise en place des réunions multidisciplinaires de la « Heart Team », les différents acteurs cliniques de l'insuffisance cardiaque peuvent évaluer le dossier d'un patient afin d'optimiser le traitement médical. Dans certaines situations (chez des patients au stade terminal de l'insuffisance cardiaque), la clinique et l'hémodynamique du malade peuvent pousser vers une prise en charge au moyen d'un traitement mécanique avec assistance cardiaque de dernière génération, mais à la condition que la Sécurité sociale belge puisse poursuivre ses efforts pour soutenir la prise en charge de ces technologies innovantes.

Références

  1. Mozaffarian, D., Benjamin, E.J., Go, A.S., Arnett, D.K., Blaha, M.J., Cushman, M. et al. Heart Disease and Stroke Statistics-2016 update: A report from the American Heart Association. Circulation, 2016, 133 (4), e38-e60.
  2. Costanza, M.R., Mills, R.M., Wynne, J. Characteristics of "stage D" heart failure: insights from the Acute Decompensated Heart Failure National Registry Longitudinal Module (ADHERE LM). Am Heart J, 2008, 155 (2), 339-347.
  3. Rose, E.A., Gelijns, A.C., Moskowtz, A.J., Heitjan, D.F., Stevenson, L.W., Dembitsky, W. et al. Long-term use of a left ventricular assist device for end-stage heart failure (REMATCH Study Group). N Engl J Med, 2001, 345 (20), 1435-1443.
  4. Slaughter, M.S., Roggers, J.G., Milano, C.A., Russell, S.D., Conte, J.V., Feldman, D. et al. Advanced Heart Failure treated with continuous flow left ventricular assist device. N Engl J Med, 2009, 361 (23), 2241-51.
  5. Miller, K., Myers, T.J., Robertson, K., Shah, N., Delgado 3rd, R.M., Gregoric ID. Quality of life in bridge-to-transplant patients with chronic heart failure after implantation of an axial flow ventricular assist device. Congest Heart Fail, 2004, 10 (5), 226-229.
  6. Miller, L.W., Pagani, F.D., Russell, S.D., John, R., Boyle, A.J., Aaronson, K.D. et al. Use of a continuous-flow device in patients awaiting heart transplantation. N Engl J Med, 2007, 357 (9), 885-896.
  7. Uriel, N., Colombo, P.C., Cleveland, J.C., Long, J.W., Salerno, C., Goldstein, D.J. et al. Hemocompatibility related outcomes in the MOMENTUM 3 Trial at 6 months. Circulation, 2017, 135 (21), 2003-2012.
  8. Mehra, M.R., Uriel, N., Naka, Y., Cleveland, J.C. Jr, Yuzefpolkaya, M., Salerno, C.T. et al. A Fully Magnetically Levitated Left Ventricular Assist Device - Final Report. N Engl J Med, 2019, 380 (17), 1618-27.
  9. Mc Murray, J.J., Packer, M., Desai, A.S., Gong, J., Lefkowitz, M.P., Rizkala, A.R. et al. Angiotensin-Neprilysin Inhibition versus Enalapril in Heart Failure. N Engl J Med, 2014, 371 (11), 993-1004.
  10. GHS. German Heart Society. Deutscher Herzbericht 2017 Sektorenübergreifende Versorgungsanalyse zur Kardiologie, Herzchirurgie und Kinderherzmedizin in Deutschland. e.V. DH, Frankfurt am Main, Germany, 2017.
  11. Report on the use of mechanical assist devices in Belgium from 2017 till 2019 BACTS. Document VAD 2017-2019 - version 11/6/2020. On behalf of BACTS: Prof Dr.I. Rodrigus.
  12. Ponikowski, P., Voors, A.A., Anker, S.D., Bueno, H., Cleland, J.G.F., Coats, A.J.S. et al. 2016 ESC Guidelines for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure. Eur Heart J, 2016, 37, 2129-2200.
  13. Lund, L.H., Khush, K.K., Cherikh, W.S., Goldfarb, S., Kucheryavaya, A.Y., Levvey, B.J. et al. The Registry of the International Society for Heart and Lung Transplantation: Thirty-fourth Adult Heart Transplantation Report-2017: Focus theme: allograft ischemic time. J Heart Lung Transplant, 2017, 36 (10), 1037-1046.
  14. Rogers, J.G., Pagani, F.D., Tatooles, A.J., Bhat, G., Slaughter, M.S., Birks, E.J. et al. Intrapericardial Left Ventricular Assist Device for Advanced Heart Failure. N Engl J Med, 2017, 376 (5), 451-460.

Aucun élément du site web ne peut être reproduit, modifié, diffusé, vendu, publié ou utilisé à des fins commerciales sans autorisation écrite préalable de l’éditeur. Il est également interdit de sauvegarder cette information par voie électronique ou de l’utiliser à des fins illégales.