Compte rendu du congrès de l'ESC
Le 28 août, une session consacrée au changement de paradigme dans le traitement de la dyslipidémie a été organisée lors du congrès de l'ESC à Barcelone. Ce symposium était modéré par Michel Farnier (Dijon, France) et Alberto Zambon (Padoue, Italie).
Un taux élevé de cholestérol LDL (LDL-c) est un facteur de risque de maladies cardiovasculaires athéroscléreuses (MCVA). La baisse du LDL est donc cruciale pour prévenir un événement cardiovasculaire (ECV) athéroscléreux. Actuellement, on dispose de preuves pour les statines, l'ézétimibe et les inhibiteurs de la PCSK9 et on trouve 3 stratégies de réduction des lipides dans la littérature : 1) 'Step by step approach', une approche étape par étape (< recommandations européennes), 2) 'Planning therapy strategy', basée sur le taux de LDL-c initial (< articles de consensus), 3) 'Maximized therapy strategy', dans laquelle on instaure d'emblée le traitement maximal (< articles d'opinion). La session s'est articulée autour de deux exposés.
From statins to earlier combination use
François Schiele - Besançon, France
L'objectif du premier orateur était de convaincre l'auditoire de la valeur ajoutée d'un traitement combiné précoce chez les patients souffrant d'une dyslipidémie. Le paradigme actuel, cité dans les recommandations de l'ESC1,2, repose sur une stratégie par étapes dans laquelle on évalue tout d'abord le profil de risque cardiovasculaire du patient. Sur la base du profil de risque et de la 'valeur idéale de LDL-c' correspondante (ou 'objectif de LDL-c'), on peut décider d'instaurer un traitement hypolipémiant. À cet égard, il est recommandé de suivre une certaine séquence : 1) toujours des mesures de mode de vie, si elles sont perfectibles, complétées par 2) une statine (en intensité accumulée, l'intensité initiale dépendant du profil de risque et de l'objectif de LDL-c), 3) l'ézétimibe, et 4) les inhibiteurs de la PCSK9. Un intervalle de 4-6 semaines entre chaque étape est recommandé pour évaluer l'effet du changement de traitement. Chez les patients ayant récemment présenté un syndrome coronarien aigu, il faut toujours commencer par une statine de forte intensité. L'avantage de cette approche progressive de réduction des lipides est qu'elle permet d'éviter un traitement 'trop intensif' et des taux de LDL-c 'trop bas' et donc un surtraitement. Un des principaux inconvénients est le temps nécessaire pour atteindre l'objectif de LDL-c.
Entre-temps, un certain nombre d'études observationnelles ont montré que cette stratégie n'est pas efficace, en raison d'une mauvaise implémentation en pratique clinique. Ainsi, l'étude DA VINCI3 montre que seuls 37,5 % des patients de la catégorie à un risque très élevé reçoivent une statine très puissante. Seuls 9,3 % reçoivent une statine associée à de l'ézétimibe et à peine 1,1 % une association avec un inhibiteur de la PCSK9. En outre, il apparaît que seuls 18 % de ces patients à un risque très élevé atteignent l'objectif de LDL-c. Le renforcement du traitement au cours du suivi ultérieur fait également souvent défaut. L'étude EUROASPIRE V constate même plus souvent une réduction de l'intensité du traitement, à savoir chez un cinquième des patients, et une interruption du traitement chez 11,7 % d'entre eux.4
Dès lors, on a proposé un nouveau paradigme, dont la devise est 'plus bas, c'est mieux, plus tôt, c'est mieux et une plus grande réduction, c'est mieux', afin d'éviter la perte de temps induite par les étapes successives. En effet, l'étude SWEDEHEART a montré que l'obtention d'une réduction plus importante du taux de LDL-c 6 semaines après un infarctus myocardique aigu est associée à un risque plus faible de décès global et cardiovasculaire (réduction du LDL-c de 75 vs 15 mg/dl, HR 0,77 [IC à 95 % 0,70-0,84]).5 Ici, on se base sur le principe 'treat to target', où on examine la capacité de réduction du LDL de chaque option thérapeutique (figure 1). Un certain nombre d'organigrammes pratiques ont été publiés à cet effet.6, 7
Cependant, cette stratégie est considérée comme trop complexe pour être utilisée en pratique clinique. Une approche plus simple repose sur l'instauration d'un traitement combinant une statine et de l'ézétimibe.8-10 Ce traitement combiné en tant que stratégie de première ligne pour tous les patients, indépendamment de la valeur du LDL-c, produit la plus grande diminution du LDL-c après 6 semaines, ce qui permet à un plus grand nombre de patients d'atteindre leur valeur cible et évite les inutiles étapes fastidieuses en vue d'une optimisation supplémentaire. Ici, il convient de souligner qu'il n'existe pas de LDL-c 'trop bas'. Les études cliniques menées avec les statines, l'ézétimibe et les inhibiteurs de la PCSK9 ont montré une relation log-linéaire entre les taux de LDL-c et le nombre d'événements cliniques, sans plateau. En d'autres termes, 'plus c'est bas, mieux c'est'. En ce qui concerne la sécurité, on ne peut que citer une association possible avec un risque accru de diabète, bien que ce soit inhérent aux statines en soi et donc pas à un faible taux de LDL-c. En d'autres termes, un LDL-c < 30 mg/dl ne présente aucun danger pour le patient et réduit le risque cardiovasculaire de ce dernier. Enfin, deux autres études ont été rapportées, qui montrent qu'une single pill combination favorise la compliance thérapeutique et que, par conséquent, cette stratégie est associée à une diminution du nombre d'événements cliniques comparativement au traitement avec les médicaments pris individuellement.11, 12
Bien entendu, les options de traitement ne se limitent pas aux statines et à l'ézétimibe. En cas de mauvaise tolérance ou d'efficacité insuffisante, l'ajout d'acide bempédoïque, d'un inhibiteur de la PCSK9 ou d'inclisiran (siRNA) peut être une option. On ne dispose pas encore de beaucoup de données à ce sujet, mais on a déjà démontré que les inhibiteurs de la PCSK9 induisent une réduction du risque absolu plus importante lorsqu'ils sont administrés à un stade précoce après un infarctus myocardique.13
Specificities of dyslipidemia management in diabetic patients
Alberto Zambon - Padoue, Italie
Le deuxième exposé portait sur la prise en charge de la dyslipidémie, en particulier chez les diabétiques. La dyslipidémie diabétique, un facteur de risque majeur de maladie macrovasculaire chez ces patients, est un ensemble d'anomalies lipoprotéiques14 avec un taux de LDL-c élevé et un taux de HDL-c bas, en plus de taux plus élevés de triglycérides (TG) à jeun et postprandiaux. Malgré ce phénotype complexe, le LDL-c continue d'être cité comme la principale cible lipidique.
La majorité des diabétiques, même indemnes de MCVA, appartiennent au groupe au risque élevé ou très élevé.² Selon cette stratification du risque, presque tous nos patients diabétiques ont besoin d'une réduction d'au moins 50 % du cholestérol LDL. En outre, un patient au risque élevé doit également atteindre une valeur absolue de ≤ 70 mg/dl, tandis qu'un patient au risque très élevé doit même obtenir une valeur ≤ 55 mg/dl.
La littérature suggère que l'effet de la baisse du LDL sur le nombre d'événements coronariens majeurs chez les diabétiques est similaire à celui observé dans la population générale.15, 16 Cependant, il apparaît que les diabétiques, même traités par une statine, présentent toujours plus d'ECV que les non-diabétiques sans traitement. De plus, l'ajout d'ézétimibe à une statine entraîne une réduction du risque plus importante chez les diabétiques que dans la population générale.9, 17 Étant donné que les deux groupes (statine ± ézétimibe) ont obtenu une réduction similaire du LDL-c9, la réduction du LDL-c ne peut être le seul élément expliquant la plus grande efficacité de l'ézétimibe chez les diabétiques.
Ces dernières années, il existe suffisamment de preuves solides en faveur d'une relation de cause à effet entre, d'une part, les lipoprotéines riches en triglycérides (LRT) à jeun et postprandiales et leurs 'résidus' et, d'autre part, les ECV. Comme les LDL-c, elles provoquent la formation de cellules spumeuses et la progression des plaques.18 En outre, ces résidus sont pro-inflammatoires et modulent l'agrégation plaquettaire. Les diabétiques présentent une augmentation plus importante et plus prolongée des LRT et des résidus après un repas.19 L'homme étant en phase postprandiale (= non à jeun) la majeure partie de la journée, les diabétiques sont donc exposés plus longtemps à ces lipoprotéines athérogènes. L'administration d'ézétimibe entraîne une diminution de la lipémie postprandiale, en particulier des LRT, ce qui pourrait expliquer l'efficacité accrue.
Cependant, les triglycérides à jeun sont tout aussi athérogènes et, malheureusement, ni les statines ni l'ézétimibe n'ont d'effet significatif à cet égard (figure 2). Le traitement de l'hypertriglycéridémie à jeun fait appel à l'association d'une statine et d'un fibrate (recommandation de classe IIb de l'ESC) ou à l'icosapent éthyl (recommandation de classe IIb de l'ESC).2
Ensuite, l'organigramme de Ray et al.8 a été présenté (figure 3 - gauche). Il suggère que les patients à risque très élevé et extrêmement élevé devraient recevoir immédiatement un traitement combiné, assorti d'un inhibiteur de la PCSK9 si nécessaire. Alberto Zambon a personnellement complété cet organigramme avec le groupe des 'diabétiques au risque élevé et très élevé' (figure 3 - droite), chez qui on opte également d'emblée pour un traitement combiné avec ajout ultérieur d'un inhibiteur de la PCSK9 si l'objectif de LDL-c n'est pas atteint.
Cependant, les choses vont au-delà du seul LDL-c. Chez les diabétiques, un contrôle optimal du LDL-c et des LRT, à jeun et en postprandial, est important pour une prise en charge efficace des ECV. Une fois que le LDL-c est sous contrôle, il faut regarder les triglycérides. Si la triglycéridémie reste élevée de manière persistante, il existe deux autres options de traitement : en présence d'une MCVA, Alberto Zambon opte pour un acide gras oméga 3. Sinon, il préfère le fénofibrate. Il va de soi que ceci ne se limite pas aux diabétiques, mais s'applique aussi à la population générale. Les recommandations de l'ESC2 préconisent également un fibrate ou un acide gras oméga 3 en cas d'hypertriglycéridémie persistante chez les patients déjà sous statine : fénofibrate si TG > 200 mg/dl ou icosapent éthyl si TG > 135 mg/dl.
Conclusion
À la fin de l'exposé, les messages clés des deux sessions ont été joliment résumés par Alberto Zambon : les recommandations actuelles préconisent toujours un traitement par étapes. Cependant, les deux orateurs sont convaincus que ceci est insuffisant. Ils préconisent l'association précoce d'une statine et d'ézétimibe en première ligne chez les patients présentant un profil de risque très élevé, après un infarctus myocardique et chez les diabétiques. Ce traitement combiné est facile à implémenter, sûr et disponible sous forme d'association fixe, ce qui favorise la compliance thérapeutique.
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