Compte rendu du congrès de l'ESC
Wouter Jukema (Leiden, Pays-Bas) a dirigé un débat animé entre Stephen Nicholls (Melbourne, Australie) et Colin Baigent (Oxford, RU), qui ont défendu leurs arguments 'pour' et 'contre' un traitement hypocholestérolémiant basé sur l'imagerie plutôt que sur des paramètres biochimiques.
Lipid-lowering therapies should be guided by vascular imaging rather than by plasma biomarkers: pro
Stephen Nicholls - Melbourne, Australie
Stephen Nicholls souligne qu'un traitement hypocholestérolémiant montre une efficacité similaire dans la prévention des maladies cardiovasculaires, indépendamment du risque cardiovasculaire (CV) et de la valeur initiale du LDL-c. Ainsi, la réduction du risque relatif est la même (RR 0,78 par diminution de 38,67 mg/dl de LDL-c).1 Cependant, en toute logique, on peut obtenir une plus grande réduction du risque absolu chez les patients courant un risque CV élevé. Ce risque est fortement lié à la présence et à la progression des plaques. De précédentes études d'imagerie intravasculaire nous ont appris que le niveau de LDL-c atteint détermine s'il y aura plutôt une progression des plaques ou une régression. Une réduction plus importante du LDL-c entraîne un plus grand degré de régression de la plaque, le point de basculement se situant vraisemblablement autour d'un LDL-c de 80 mg/dl (figure 1).2 En outre, nous savons que la quantité totale de plaque (total plaque burden) est un facteur prédictif de maladies cardiovasculaires, tout comme le degré de progression des plaques au fil du temps.3
En prévention primaire, nous pouvons utiliser le score calcique coronaire (CAC), où un CAC plus élevé suggère une quantité de plaque importante, qui est à son tour corrélée avec un risque plus élevé d'événement coronaire.4 Cet outil peut être principalement utile pour reclasser les patients à risque intermédiaire vers une catégorie à risque élevé, sur la base d'un CAC élevé. En outre, le 'power of zero' signifie que les personnes ayant un CAC = 0 courent un faible risque de maladies cardiovasculaires dans les 5 à 10 prochaines années. Il n'est pas totalement illogique de constater que la réduction du risque absolu obtenue grâce à un traitement hypocholestérolémiant est plus importante si le degré d'athéromatose coronaire (CAC) est plus élevé.5
En ce qui concerne l'angio-CT coronaire (CTCA), il est prouvé, depuis l'étude SCOTHEART, que les patients ayant bénéficié d'un CTCA présentaient une nette réduction du risque comparativement au traitement standard après 5 ans de suivi (HR 0,59 pour la mortalité CV et l'infarctus myocardique).6
En prévention secondaire également, la quantité totale de plaque est fortement liée au risque CV, et l'utilité absolue d'un contrôle strict du LDL-c est d'autant plus grande. Ceci est apparu clairement dans l'étude FOURIER avec l'évolocumab, entre autres, où les patients présentant des événements multiples, une maladie récurrente, une atteinte pluritronculaire ou une maladie polyvasculaire ont tous obtenu une plus grande réduction du risque absolu.7, 8
Une dernière question importante est de savoir si un CAC élevé influence réellement la pratique clinique. Du point de vue du médecin, nous savons qu'un CAC élevé augmente la probabilité de commencer et de poursuivre un traitement, tant hypolipémiant qu'antihypertenseur, ainsi que la prise d'aspirine.9 En outre, la mise en évidence de la présence de plaques influence l'importance que le patient accorde aux modifications nécessaires de son mode de vie.10
Enfin, il cite le fait qu'un dépistage et un traitement des patients courant un risque CV accru, basés sur le CAC, se sont révélés plus rentables qu'une stratégie qui fonde l'indication de traitement sur les valeurs seuils déterminées par les recommandations américaines.11 Ici, il va de soi que de plus amples données sont nécessaires pour étayer le modèle.
Lipid-lowering therapies should be guided by vascular imaging rather than by plasma biomarkers: con
Colin Baigent - Oxford, RU
Colin Baigent précise que pour lui, il est question de l'utilité de l'ajout de l'imagerie vasculaire aux biomarqueurs plasmatiques pour orienter le traitement hypolipémiant, plutôt que d'une substitution de méthode. C'est principalement le CAC qui entre en ligne de compte ici. Les principaux arguments contre l'utilisation du CAC sont les suivants :
- sa contribution plutôt modérée à la prévention des maladies cardiovasculaires, étant donné que le CAC modifie la catégorie de risque d'un nombre limité de patients seulement, et qu'il n'influence pas vraiment le traitement au niveau du patient.12
- le fait que le CAC n'est pas rentable. Selon lui, au niveau de la population, il est plus rentable de donner une statine à tout le monde que de déterminer le CAC chez tout le monde. En effet, les statines réduisent le risque de maladies cardiovasculaires à tout niveau de risque CV, quelle que soit la valeur initiale du LDL-c.1 De plus, elles sont bon marché (22 € par an pour l'atorvastatine 20 mg) et sûres.
- le fait que le CAC n'est pas un bon outil de prévention primaire au niveau de la population et qu'il manque donc sa cible.
Étant donné que la majorité des maladies cardiovasculaires surviennent dans la population âgée, Colin Baigent suggère une révision radicale de la stratégie de prévention primaire, selon laquelle un traitement hypocholestérolémiant ne doit pas être considéré comme un moyen de réduire le risque de maladies CV dans 5 ou 10 ans, mais comme un investissement qui s'avérera le plus rentable s'il est maintenu tout au long de la vie. De la même manière que l'utilisation du fil dentaire dès le jeune âge contribue à préserver toutes les dents à un âge avancé, l'exposition à des taux de LDL-c plus faibles tout au long de la vie peut prévenir jusqu'à 90 % des maladies CV ultérieures (figure 2).13 En d'autres termes, la prévention primaire des maladies cardiovasculaires doit commencer dès la vingtaine, et non à un âge plus avancé.
C'est précisément dans ce groupe de patients jeunes, où la décision de traitement doit être prise, qu'un CAC n'est pas utile pour identifier un risque CV accru, principalement parce que le calcium ne s'accumule pas dans les plaques d'athérome nouvelles/jeunes. Autrement dit, un CAC = 0 chez un patient jeune ne signifie pas que son risque ultérieur sera faible, et ne signifie donc pas qu'il est inutile de commencer un traitement hypocholestérolémiant. Il a brillamment illustré ceci par un exemple tiré d'un registre, dans lequel plus de la moitié des patients présentant une maladie coronarienne obstructive prouvée, âgés de moins de 40 ans, avaient un CAC = 0.14 En d'autres termes, un CAC = 0 a une faible valeur diagnostique chez les patients jeunes.
Discussion finale
Dans la discussion, Stephen Nicholls a critiqué le plaidoyer de Colin Baigent, en ce sens que tout le monde ne peut pas bénéficier de tous les traitements hypolipémiants ET que nous ne pouvons pas mettre tout le monde sous statine. En outre, nous devons reconsidérer les données sur la sécurité des statines à la lumière de la pratique clinique, où 50 % des patients arrêteront leur statine dans les 18 mois, principalement pour des raisons d'intolérance. Ainsi, dans une stratégie où on donne une statine à tout le monde, la moitié des gens ne la prendra pas. L'imagerie supplémentaire pourrait être le moyen de motiver les médecins et les patients à poursuivre le traitement, ainsi que d'identifier les patients chez qui l'utilité des statines est la plus grande.
Colin Baigent affirme que les médecins ne soulignent pas assez l'importance des mesures préventives. Un dentiste ne dira jamais que l'utilisation du fil dentaire n'est pas importante. La responsabilité incombe donc en grande partie au médecin.
Stephen Nicholls confirme que la responsabilité de celui qui instaure une statine ne s'arrête pas à la prescription elle-même, mais que la compliance au traitement en fait partie intégrante. Ici, l'imagerie peut jouer un rôle de soutien. Mais Colin Baigent a alors demandé s'il est bien judicieux d'exposer le patient aux rayons dans le but d'augmenter la compliance au traitement …
Colin Baigent souligne en outre que les patients souffrant de diabète, de protéinurie ou ayant un taux de LDL-c très élevé (hypercholestérolémie familiale) sont des patients à haut risque, qui méritent de recevoir des statines puissantes à vie. Les médecins se doivent d'être plus attentifs à cette tranche de la population.
Il a également été souligné qu'il n'est pas utile de déterminer le CAC chez un patient à haut risque, puisqu'il doit par définition être traité et qu'un CAC = 0 ne justifie pas de s'abstenir de traitement hypocholestérolémiant.
Le CAC n'est pas non plus utile chez un patient sous statine, car le degré de calcification augmente sous ce type de traitement, ce qui n'est plus en corrélation avec un risque CV accru (le 'paradoxe du calcium').
Conclusion
Martha Gulati résume que les arguments 'contre' avancés sont très valables lorsqu'on considère la prévention primaire au niveau de la population. Mais les arguments 'pour' suggérés sont également très logiques si on considère la prévention primaire au niveau du patient, où la visualisation des plaques peut être utile pour aborder la question de la compliance au traitement et pour réfuter toutes les fausses informations disponibles sur Internet. En outre, il existe des preuves suffisantes de la corrélation entre le CAC et le risque CV, plus encore que les scores de risque CV classiques. Cependant, le plus grand défi reste d'identifier les patients jeunes courant le plus grand risque de maladies cardiovasculaires à un âge plus avancé et de traiter spécifiquement ce groupe dès le plus jeune âge.
Références
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