Le traitement antiplaquettaire est une des pierres angulaires de la prévention secondaire chez les patients atteints d'une maladie cardiovasculaire (MCV). Ce traitement consiste généralement en de l'aspirine chez les patients stables et en de l'aspirine plus un inhibiteur du P2Y12 après une intervention coronarienne (PCI) ou un syndrome coronarien aigu (SCA). Les arguments en faveur de l'aspirine datent du siècle dernier, une ère où les mesures de prévention secondaire en étaient encore à leurs balbutiements.1 Les auteurs d'une importante méta-analyse de 2002 ont conclu que l'aspirine exerce une action protectrice dans la prévention de nouveaux problèmes athérothrombotiques après un événement cardiovasculaire, avec un risque d'hémorragie acceptablement faible. Il est désormais clair que le risque hémorragique sous faible dose d'aspirine n'est pas anodin et que le risque athérothrombotique chez les patients stables reste important.
Introduction
N'existe-t-il donc pas de meilleures alternatives à l'aspirine, qui fête son 125e anniversaire cette année ? Au fil des ans, de nombreux autres antiagrégants ont vu le jour, mais seuls trois inhibiteurs du P2Y12 (clopidogrel, prasugrel et ticagrelor) sont encore pertinents. Dans la plupart des cas, les inhibiteurs du P2Y12 ne sont administrés qu'en association avec l'aspirine, une stratégie appelée double anti-agrégation plaquettaire (DAPT). La durée de la DAPT dépend de l'indication et du profil de risque du patient. L'inhibiteur du P2Y12 est généralement arrêté à la fin de la DAPT et l'aspirine est administrée en monothérapie. La monothérapie par inhibiteur du P2Y12 a récemment fait l'objet d'un regain d'attention. Cet article examine les preuves de plus près.
Monothérapie par inhibiteur du P2Y12 dans la prévention secondaire: méta-analyse
Une méta-analyse récente a comparé des inhibiteurs du P2Y12 avec l'aspirine, tous deux en monothérapie, chez 61 623 patients en prévention secondaire, dans 9 études.2 Cinq études ont comparé le clopidogrel et quatre le ticagrelor avec l'aspirine. Une étude a inclus à la fois des patients après un infarctus du myocarde ou un accident cardiovasculaire (ACV) ou atteints d'une maladie vasculaire périphérique, deux études ont été menées exclusivement chez des patients après un ACV, deux petites études après un pontage et le reste chez des patients coronariens. Les auteurs ont constaté que le risque d'événement cardiovasculaire était de 11 % inférieur avec un inhibiteur du P2Y12 (RR 0,89; IC à 95 % 0,84-0,95). Cet avantage était principalement supporté par une diminution de 19 % du risque d'infarctus du myocarde (RR 0,81; IC à 95 % 0,75-0,92), aucun effet significatif sur le risque d'ACV ni sur la mortalité n'a été observé. Le risque d'hémorragie majeure était comparable. Ces observations étaient indépendantes du type d'inhibiteur du P2Y12. Les auteurs concluent que ces résultats justifient de nouvelles études spécifiques évaluant la monothérapie par inhibiteur du P2Y12 contre aspirine.
Les preuves qui sous-tendent cette méta-analyse
Ces résultats sont-ils suffisants pour modifier notre pratique, avec l'aspirine comme méthode de prévention secondaire standard ? Non. Une simple méta-analyse n'est pas un motif suffisant pour modifier les directives. Par ailleurs, l'avantage des inhibiteurs du P2Y12 était limité et même inexistant en ce qui concerne la mortalité. Des réserves sont également à formuler au sujet des études et des inhibiteurs du P2Y12 individuels sélectionnés, ainsi que de l'interprétation par les auteurs. Les études étaient sur de nombreux plans particulièrement hétérogènes en termes de durée et de taille ; moins d'un patient sur trois a été inclus en raison d'une maladie coronarienne (MC). Le nombre de critères d'évaluation apporté par chaque étude à cette méta-analyse est encore plus important que le nombre de patients: les plus grandes contributions sont de loin celles des études CAPRIE (52 %) et SOCRATES (24 %).3, 4
L'étude SOCRATES a mis en évidence un résultat neutre avec le ticagrelor après un ACV et contribue peu à la prise en charge des MCV. L'étude CAPRIE a été menée au début des années 90, lorsque la prévention secondaire en était encore à ses débuts et que la dose d'aspirine était nettement plus élevée. L'étude a montré un petit avantage pour le clopidogrel, principalement en raison d'un avantage chez les patients atteints d'une maladie vasculaire périphérique. Un désavantage numérique était même associé au clopidogrel après un infarctus du myocarde.
La troisième principale étude dans cette méta-analyse est l'étude GLOBAL LEADERS, essentiellement une étude négative.5 Dans cette analyse, seuls les résultats non randomisés entre 12 et 24 mois ont été utilisés, soit la période où seule la monothérapie par ticagrelor a été comparée avec l'aspirine.6 Les complications ischémiques après une PCI au cours de la deuxième année étaient de 26 % inférieures avec le ticagrelor, principalement en raison d'une réduction du risque d'infarctus du myocarde. Les complications hémorragiques majeures étaient toutefois près de deux fois plus fréquentes avec le ticagrelor (RR 1,89) au cours de cette période.
Enfin, l'étude HOST-EXAM mérite d'être mentionnée.7 Lors de cette étude, 5 438 patients ont été randomisés au clopidogrel ou à l'aspirine 6 à 18 mois après une PCI. Le clopidogrel a réduit non seulement le risque de problèmes athérothrombotiques (HR 0,73; IC à 95 % 0,59- 0,90) sur deux ans, mais aussi le risque de complications hémorragiques (HR 0,63; IC à 95 % 0,41-0,97). Si cela semble être bénéfique pour tous, il est important de signaler qu'il ne s'agissait pas d'une étude en aveugle, mais en ouvert. Dans cette optique, le risque numériquement plus élevé de mortalité avec le clopidogrel dans cette étude est une source d'inquiétude : la prévention d'hémorragies majeures avec le clopidogrel a été pratiquement totalement réduite à néant par l'augmentation du nombre de décès avec cet inhibiteur du P2Y12.
Un inhibiteur du P2Y12 seul : chez qui et quand ?
En prévention secondaire, plus d'un an après une PCI
Malgré la pertinence plutôt limitée de cette méta-analyse très hétérogène, il existe une place pour le clopidogrel dans la prévention secondaire, ainsi que l'a montré la méta-analyse PANTHER qui vient d'être présentée à l'ESC mais n'a pas encore été publiée. En résumé, PANTHER met en évidence un avantage en faveur des inhibiteurs du P2Y12 en ce qui concerne les hémorragies, sans désavantage ischémique. Cette analyse possède toutefois aussi ses manquements. En tout cas, le clopidogrel semble une alternative acceptable à l'aspirine chez les patients stables, bien que des questions continuent de se poser au sujet de la sécurité de cette stratégie. Le clopidogrel est par ailleurs déjà bien connu des patients intolérants à l'aspirine, par exemple en raison d'une allergie ou d'antécédents d'ulcères gastriques à répétition. En ce qui concerne la monothérapie de longue durée par clopidogrel et la stratégie de routine chez tous les patients atteints d'une MCV, les preuves prospectives sont encore trop rares. Le ticagrelor en monothérapie comme substitut de l'aspirine après la première année après un SCA pose des difficultés. Des sous-analyses d'une étude négative semblent certes indiquer un avantage,6 mais aucun remboursement n'est octroyé dans cette indication. Enfin, il n'existe aucune preuve concernant le prasugrel en monothérapie. En conclusion : de nouvelles études doivent être menées.
Pendant la première année après une PCI
Le clopidogrel comme antiplaquettaire unique en dehors de l'indication de prévention secondaire est depuis un certain temps déjà le traitement standard chez les patients ayant subi récemment une PCI et prenant un anticoagulant oral, dans une stratégie dite de 'double thérapie'.8 Le ticagrelor en tant qu'inhibiteur du P2Y2 en double thérapie, en plus d'un AOD, est possible, mais il augmente le risque hémorragique.9 En outre, la monothérapie par inhibiteur du P2Y12 comme alternative à la DAPT au cours de la première année après une PCI ou un SCA a été évaluée dans plusieurs études, dans le cadre des stratégies de désescalade.10 Lors des études de désescalade, la DAPT est systématiquement comparée à une stratégie de sevrage progressif. Une des stratégies de sevrage progressif plus intéressante consiste à arrêter l'aspirine peu de temps après la PCI. L'hypothèse derrière cette stratégie est que supprimer l'aspirine réduit le risque de complications hémorragiques, tout en offrant une protection suffisante contre les problèmes ischémiques. Une méta-analyse relativement homogène de cinq études le confirme.11 Les preuves les plus solides concernent le ticagrelor en monothérapie dans l'étude TWILIGHT, dans laquelle l'aspirine a été arrêtée trois mois après une PCI chez des patients présentant un risque élevé de complications ischémiques ou hémorragiques.12 La monothérapie par ticagrelor entre 1 à 3 mois et 1 an après une PCI ou un SCA est une excellente option en cas de risque hémorragique accru.
Perspectives
Il existe de bonnes preuves en faveur de la monothérapie par ticagrelor en tant qu'option de désescalade durant la première année après une PCI ou un SCA, surtout en cas de risque hémorragique élevé (figure 1). Suivie d'un passage à l'aspirine ou, en cas d'intolérance à l'aspirine, au clopidogrel. Les preuves sont encore insuffisantes pour remplacer l'aspirine par le clopidogrel en tant que prévention secondaire standard. Nous attendons de nouvelles études pour cela. Bien que cette approche 'less is more' ait le vent en poupe, il reste bien entendu l'option consistant à associer des antithrombotiques chez les patients présentant un risque ischémique élevé et un risque hémorragique faible. Malheureusement, le ticagrelor 60 mg plus d'un an après un infarctus du myocarde n'est pas remboursé, mais une dose faible de rivaroxaban reste disponible pour un vaste groupe de patients atteints d'une MCV.
Références
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