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Les statines en prévention primaire
  • Philippe Van de Borne, Martijn Scherrenberg , Paul Dendale

Plusieurs études ont montré que le risque de développement de maladies cardiovasculaires (CV) commence tôt dans la vie. L'importance de stratégies de prévention instaurées en temps utile pour réduire les maladies CV est donc largement reconnue.1 La prévention primaire et secondaire s'articule autour de plusieurs composantes, dont le contrôle du cholestérol LDL.2 Il est possible de réduire le cholestérol LDL en adoptant un mode de vie plus sain et en utilisant des médicaments hypocholestérolémiants comme les statines.2 La recommandation européenne de prévention de 2021 préconise d'adapter l'intensité du traitement hypocholestérolémiant en fonction du risque absolu du patient.2 L'étude de Mortensen et al.3 a examiné les performances cliniques de la nouvelle recommandation européenne de prévention de 2021 dans l'utilisation des statines en prévention primaire des maladies CV athéroscléreuses, comparativement à d'autres recommandations internationales.4, 5, 6

Actuellement, toutes les recommandations utilisent des seuils de traitement basés sur le risque de maladies CV athéroscléreuses à 10 ans pour déterminer si les patients ont besoin de statines.2, 4-6 Les différentes recommandations utilisent des seuils de traitement et modèles de risque différents pour une recommandation de classe Ia pour l'utilisation de statines. Ceci est illustré au tableau 1. Les différents modèles de risque sont validés pour être utilisés dans leur propres populations.

On observe déjà une différence frappante entre le modèle SCORE1 issu des recommandations de 2003 et le nouveau modèle SCORE2 des recommandations de 2021. Le modèle SCORE1 n'estime que le risque de maladies CV athéroscléreuses fatales et il sous-estime donc le véritable risque global de maladies CV athéroscléreuses. Par contre, le modèle SCORE2 fait une estimation des maladies CV athéroscléreuses, tant fatales que non fatales.2, 4-6

L'étude de Mortensen et al.3 a utilisé les données de la Copenhagen General Population Study (CGPS). Il s'agit d'une étude de cohorte prospective portant sur des Danois âgés de 40 à 69 ans, sélectionnés au hasard. En tout, 66 909 personnes ont été incluses dans cette étude, et le suivi moyen a duré 9,2 ans. La toute première conclusion de cette étude fut qu'il y avait un degré élevé de corrélation entre l'estimation du risque des différents scores de risque (r 0,88-0,99).3 Il était surprenant de constater que le SCORE2 donnait une estimation plus faible que les scores de risque américain et britannique.3 Par ailleurs, le modèle SCORE2 donnait une estimation plus faible que SCORE1. Ceci est étonnant, car SCORE1 n'incluait que les maladies CV athéroscléreuses fatales comme paramètre. Une raison possible à ceci est que le SCORE1 surestime le risque. Dans cette cohorte, le rapport entre les événements prédits et les événements effectifs pour le SCORE1 était de 5,8. Cela montre que le SCORE1 donne une nette surestimation comparativement à USE-PCE (1,3), UK-QRISK3 (1,3) et SCORE2 (0,8).3 Le SCORE2 sous-estime donc légèrement le risque. Ce phénomène est particulièrement frappant dans les groupes présentant le risque le plus élevé. Il est très clair que le SCORE2 donne une bien meilleure estimation du risque réel que le SCORE1. Cela s'explique notamment par le fait que le modèle SCORE1 a été développé sur la base de cohortes historiques entre 1967 et 1991. Depuis lors, la mortalité due aux MCVA a considérablement diminué, ce qui conduit à une surestimation du risque d'événements fatals. En outre, il est frappant de constater qu'il existe toujours une grande différence entre le SCORE2 et ses variantes britannique et américaine, malgré le fait que plusieurs études conduites dans ces 2 pays aient été utilisées lors du développement du modèle SCORE2.

Comme nous l'avons indiqué plus haut, la décision d'administrer ou non une statine à une personne est prise sur la base d'une évaluation du risque et d'un seuil de traitement. Cette étude a montré que seuls 4 % de tous les participants devraient recevoir une statine selon l'évaluation du risque SCORE2 et les nouvelles recommandations de prévention. Ce chiffre est bien inférieur à celui d'USE-PCE (34 %), UK-QRISK3 (26 %) et SCORE2 (20 %). Ce qui est encore plus surprenant, c'est que seul 1 % des femmes ont atteint le seuil de traitement.

L'étude a également montré que l'abaissement du seuil de traitement pour l'instauration d'une statine sur la base du modèle SCORE2 augmente la sensibilité à la détection de futures maladies CV athéroscléreuses sans diminuer considérablement la spécificité. Un seuil de traitement de 5 % ou 6 % respectivement conduirait à des performances cliniques similaires à celles de l'USE-PCE et de l'UK-QRISK3.

Il est clair que les nouvelles recommandations européennes en matière de prévention limitent considérablement la pertinence des statines en prévention primaire. Une autre constatation importante est que les performances cliniques des recommandations de prévention de 2021 pourraient être améliorées en abaissant le seuil de traitement.

En conclusion, le modèle de risque européen SCORE2 récemment introduit est meilleur que le précédent modèle de risque européen SCORE1, car il tient compte des maladies CV athéroscléreuses non fatales. En outre, il est mieux calibré et possède un meilleur pouvoir discriminant pour les maladies CV athéroscléreuses. Les nouveaux seuils de risque spécifiques de l'âge, choisis pour le traitement par statine dans les recommandations de prévention de 2021 réduisent considérablement le nombre de personnes entrant en ligne de compte pour un traitement par statine en prévention primaire à 4 % seulement. Ceci est encore plus étonnant chez les femmes. Il pourrait donc être nécessaire d'abaisser les seuils européens actuels.

Références

  1. Dendale, P., Scherrenberg, M., Sivakova, O., Frederix, I. Prevention: From the cradle to the grave and beyond. Eur J Prev Cardiol, 2019, 26 (5), 507-511.
  2. Visseren, F.L.J., Mach, F., Smulders, Y.M., Carballo, D., Koskinas, K.C., Bäck, M. et al. ESC National Cardiac Societies; ESC Scientific Document Group. 2021 ESC Guidelines on cardiovascular disease prevention in clinical practice. Eur Heart J, 2021, 42 (34), 3227-3337.
  3. Mortensen, M.B., Tybjærg-Hansen, A., Nordestgaard, B.G. Statin Eligibility for Primary Prevention of Cardiovascular Disease According to 2021 European Prevention Guidelines Compared With Other International Guidelines. JAMA Cardiol, 2022, 7 (8), 836-843.
  4. National Institute for Health and Care Excellence (NICE) National Clinical Guideline Centre. Clinical Guideline CG181: lipid modification: cardiovascular risk assessment and the modification of blood lipids for the primary and secondary prevention of cardiovascular disease. Updated November 21, 2016.
  5. Goff, D.C. Jr., Lloyd-Jones, D.M., Bennett, G. et al. American College of Cardiology/American Heart Association Task Force on Practice Guidelines. 2013 ACC/AHA guideline on the assessment of cardiovascular risk: a report of the American College of Cardiology/American Heart Association Task Force on Practice Guidelines. J Am Coll Cardiol, 2014, 63 (25 pt B), 2935-2959.
  6. De Backer, G., Ambrosioni, E., Borch-Johnsen, K. et al Third Joint Task Force of European and Other Societies on Cardiovascular Disease Prevention in Clinical Practice. European guidelines on cardiovascular disease prevention in clinical practice. Eur Heart J, 2003, 24 (17), 1601-1610.

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