Introduction
La présentation clinique et l'électrocardiogramme 12-dérivations (ECG) d'une cardiomyopathie de Takotsubo peuvent fréquemment donner le change pour un infarctus de type STEMI (ST Elevation Myocardial Infarction) de localisation antérieure.
Il est malgré tout essentiel de pouvoir distinguer ces deux entités, en particulier lors de la phase aiguë de l'affection, afin de mettre en oeuvre une prise en charge adéquate dès son admission et, éventuellement, prévoir une coronarographie urgente avec PCI (Percutaneous Coronary Intervention) primaire.
Dans les critères diagnostiques du syndrome de Takotsubo, on note des anomalies ECG nouvelles et réversibles (élévation du segment ST, dépression du segment ST, bloc de branche gauche, inversion de l'onde T, et/ou allongement de l'intervalle QT) pendant la phase aiguë de l'affection (3 mois).1-2
Le cas que nous rapportons illustre le défi diagnostique que peut représenter cette pathologie, avec un ECG remarquable ; il nous donne l'occasion de rappeler certains critères ECG qui peuvent distinguer un syndrome de Takotsubo d'un infarctus STEMI antérieur.
Cas clinique
Madame V, patiente âgée de 51 ans, de faible corpulence (52 kg pour 163 cm) est admise aux soins intensifs pour hypo tension artérielle à 80/60 mmHg, tachycardie à 132 bpm et altération de l'état de conscience. Elle est hospitalisée, depuis la veille, dans le service d'Urologie pour un sepsis urinaire obstructif sur calcul coralliforme, compliqué d'une acutisation d'insuffisance rénale chronique.
Elle bénéficie depuis son admission d'une désobstruction urétérale par sonde double J, ainsi que d'une antibiothérapie empirique par ceftriaxone par voie IV.
Elle compte pour antécédents probants une maladie de Crohn diagnostiquée en 1987 ayant nécessité plusieurs résections grêles et une iléostomie, ainsi qu'une néphrectomie droite datant de 1998 pour une volumineuse lithiase.
À son admission en soins intensifs, la patiente est stuporeuse, présente un Glasgow à 13/15, sans latéralisation, est polypnéique et montre des signes périphériques de bas débit ; elle est en choc cardiogénique, avec tachycardie sinusale et hypotension artérielle.
Son ECG met en évidence un rythme sinusal à 132 bpm et un sus-décalage de segment ST intéressant l'ensemble des dérivations, à l'exception de V1 et aVR (figure 1).
La biologie est marquée par divers troubles ioniques (hyponatrémie et hypocalcémie) ; la kaliémie est normale et l'acidose métabolique est compensée. La créatinine sérique va monter de 8,4 à 11 mg/dl (N < 0,9 mg/dl), puis se stabiliser à 3,5 mg/dl après une semaine. La troponine sérique augmentera à un maximum de 2 500 pg/ml (N < 14 pg/ml).
L'angiographie coronaire réalisée d'urgence n'objective aucune lésion coronaire significative. Une ventriculographie n'est pas réalisée vu l'insuffisance rénale.
L'échographie cardiaque, réalisée le jour même, confirme le diagnostic, avec évidence d'une hypokinésie majeure en zone apicale et FEVG mesurée à 20 %. Le diagnostic de cardiomyopathie de Takotsubo est retenu.
L'évolution clinique a été favorable sous un traitement supplétif et par du levosimendan ; aucune amine n'a été nécessaire, ni recommandée vu l'affection. La fonction rénale s'est améliorée, et la diurèse a repris normalement. Au jour +4, l'ECG s'est normalisé. Au jour +6, la fonction cardiaque était tout à fait normalisée à l'échographie ; la patiente a pu rentrer à son domicile avec un suivi rapproché des néphrologues.
Discussion
La cardiomyopathie de Takotsubo, initialement décrite au Japon, concerne majoritairement les femmes, d'une moyenne d'âge de 60 à 70 ans, et touche environ 1/36 000 personnes dans la population générale.2 La clinique associe classiquement une douleur thoracique typique et, parfois, des signes d'une décompensation cardiaque gauche, avec éventuel tableau de choc hémodynamique dans les cas les plus sévères, survenant typiquement des suites d'un choc émotionnel ou physique intense ; nous avons décrit le cas suite à une crise d'épilepsie dans ce journal.3 Nous pouvons également rencontrer ce syndrome sous forme de syncope ou même de mort subite.4-5
La biologie comporte une élévation des enzymes cardiaques, constante mais souvent légère à modérée en comparaison aux infarctus de type STEMI.3-4
L'échocardiographie, et plus encore la ventriculographie, laissent apparaître une ballonisation du ventricule gauche, apicale dans les formes classiques mais pouvant entreprendre les segments médians et basaux. L'altération initiale de la FEVG est souvent plus sévère que dans l'infarctus, mais évolue le plus souvent vers la normalisation.6
Quant à l'ECG, les caractéristiques principales, en comparaison au STEMI antérieur, peuvent être résumées par une élévation moins ample mais diffuse du segment ST, l'absence de miroir inférieur, l'absence fréquente d'onde Q et un allongement de l'intervalle QT. Ces anomalies électrocardiographiques varient dans le temps et évoluent typiquement vers la normalisation en l'espace de quelques jours à semaines.7-9 Les modifications ECG sont influencées par différentes variables, dont le type de ballonisation du VG, la présence d'une atteinte du VD, le délai entre symptômes et l'enregistrement de l'ECG, la présence d'oedème myocardique et le pourcentage de récupération de la fonction myocardique.
Précisons le pattern ECG du syndrome de Takotsubo, en commençant par signaler l'association plus fréquente à un sus-décalage du segment ST dans les dérivations inférieures (II, III, aVF) et les dérivations I et -aVR, et moins fréquente dans les dérivations aVL et V1, en comparaison avec le STEMI antérieur.7-9
En particulier, la combinaison d'un sus-décalage du segment ST en -aVR (soit un sous-décalage du segment ST en aVR) et l'absence de sus-décalage du segment ST en V1 a permis, dans l'étude de Toshiaki en 2010, de différencier le Takotsubo de l'infarctus STEMI antérieur avec une sensibilité de 91 %, une spécificité de 96 % et une VPP de 95 %. La spécificité de cette dérivation -aVR réside dans son rapport avec les régions apicales et inféro-latérales, rarement concernées par une lésion de l'IVA.7
Antonio Frangieh et ses collaborateurs InterTAK ont analysé, en 2016, les ECG de 200 patients avec cardiomyopathie de Takotsubo et 200 patients avec infarctus du myocarde (STEMI et NSTEMI). Comme pour l'étude précédente, un sus-décalage de dérivations -aVR était caractéristique d'un syndrome de Takotsubo, avec des sensibilités, spécificités et VPP de 43 %, 95 % et 91 % respectivement. De plus, la spécificité et le VPP d'un sus-décalage en -aVR avec un sus-décalage dans le territoire inférieur était de 98 % et 89 % respectivement, et en association avec un sus-décalage dans les dérivations antéro- septales de 100 % et 100 %.9 La comparaison avec les NSTEMI montrait des aussi des spécificités et VPP intéressantes (97 % et 83 %), en présence d'une onde T inversée dans les dérivations I-aVL-V5-V6. La présence d'un sus-décalage en -aVL associée avec une onde T négative dans n'importe quelle dérivation était aussi spécifique à 100 % pour une cardiomyopathie de Takotsubo, avec des VPP de 100 %.9 Le tableau 1 montre les critères diagnostiques de cardiopathie de Takotsubo et d'infarctus STEMI ou NSTEMI avec plus ou moins 95 % de spécificité.
Enfin, insistons sur le fait que le pouvoir discriminant de ces critères se justifie d'autant plus que l'ECG est réalisé en phase aiguë (idéalement dans les six premières heures). Pour cause, la cinétique de modification rapide dans le temps des différentes anomalies discutées, expliquées par la physiopathologie complexe inhérente à ce syndrome, reposant sur divers processus dont un phénomène de spasme diffus de la microcirculation et une toxicité cardiomyocytaire entrainés par de fortes concentrations circulantes de catécholamines.8, 10-11
Le cas de notre patient, avec cet ECG remarquable, est caractéristique à postériori. Dans le doute, nous avons réalisé la coronarographie diagnostique ; un scanner coronaire aurait pu nous donner le même résultat.
L'intérêt d'un diagnostic différentiel précoce tient également dans l'intérêt d'une prise en charge et d'une surveillance adaptée (risque thrombotique intracardiaque, torsade de pointe, rupture du VG, mort subite sur fibrillation ventriculaire, …).1-2, 5 En guise d'exemple, le risque de gradient de pression intra-VG et les troubles cinétiques apicaux peuvent engendrer une obstruction dynamique de la chambre de chasse du VG et contre-indiquent alors l'administration d'amines vasopressives en soins intensifs, où le levosimendan peut s'avérer adéquat12-13 ; il faut, de plus éviter un traitement par dobutamine ou dopamine, vu le stress catécholergique à l'origine du syndrome.1, 10
Conclusion
Le diagnostic de Takotsubo relève le plus souvent de la réalisation d'une coronarographie urgente pour suspicion d'infarctus de type STEMI, avec une ventriculographie compatible et l'absence de lésion coronaire de type « culprit ». L'échographie cardiaque reste l'examen au centre du diagnostic.
Dans certains cas, comme le nôtre, une analyse fine de l'ECG pourrait cependant aider à faire la part des choses avec un infarctus antérieur de type STEMI et éviter une procédure invasive et néphrotoxique chez certains patients.
Références
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