L'hyponatrémie est probablement le trouble électrolytique le plus complexe auquel les médecins font face chez les patients souffrant d'insuffisance cardiaque. En effet, contrairement aux autres troubles électrolytiques, le traitement ne consiste pas uniquement à administrer l'électrolyte déficitaire. Il est important d'élucider la cause précise de l'hyponatrémie associée à une insuffisance cardiaque avant d'initier un traitement. Un récent article de synthèse de Kapłon Cieślicka et al., paru dans Heart, met l'accent sur ce point et passe en revue l'effet de divers traitements classiques et plus récents de l'insuffisance cardiaque.1
Épidémiologie de l'hyponatrémie en cas d'insuffisance cardiaque
L'hyponatrémie, soit une concentration sérique de sodium < 135 mmol/l, touche 10-25 % des patients hospitalisés pour insuffisance cardiaque.1,2 Les patients souffrant d'insuffisance cardiaque et d'hyponatrémie présentent des symptômes et des signes cliniques de surcharge volumique plus sévères et ont un risque plus élevé de résistance aux diurétiques. Indépendamment du tableau clinique et de la fraction d'éjection ventriculaire gauche sous-jacente, l'hyponatrémie en cas d'insuffisance cardiaque est associée à un moins bon pronostic, avec un risque plus élevé de décès et de nouvelles hospitalisations.3, 4 À l'heure actuelle, on ne sait toujours pas clairement si cette association reflète également une relation de cause à effet, et donc si le traitement de l'hyponatrémie entraîne systématiquement une amélioration du pronostic. Ici, il est important de faire une distinction plus précise entre l'hyponatrémie dilutionnelle, ou rétention excessive de liquide suite à une stimulation neurohormonale et à une perfusion rénale réduite, et l'hyponatrémie de déplétion, consécutive à une perte excessive de sel suite à un traitement par diurétiques, et ceci peut expliquer les données contradictoires de la littérature, selon lesquelles la correction de l'hyponatrémie lors du traitement de l'insuffisance cardiaque n'était pas toujours associée à une amélioration du pronostic.5
Hyponatrémie en cas d'insuffisance cardiaque : dilution versus déplétion
Hyponatrémie dilutionnelle
L'hyponatrémie dilutionnelle ou « dilution » du plasma se caractérise typiquement par des symptômes et des signes cliniques de surcharge volumique, une stimulation neurohormonale accrue et une mauvaise perfusion des tissus, en particulier des reins. Un important régulateur de la tonicité plasmatique est l'arginine- vasopressine (AVP), qui est sécrétée par l'hypophyse postérieure et stimule la réabsorption d'eau dans les tubes collecteurs du néphron distal (figure 1). Dans des conditions physiologiques, une tonicité plasmatique accrue stimulera la sécrétion osmotique d'AVP. Il existe une relation linéaire entre la concentration d'AVP dans le plasma et la tonicité plasmatique, cette dernière étant régulée très précisément, avec des fluctuations maximales de 1-2 %.6
Toutefois, une diminution plus prononcée du volume circulant effectif d'environ 10 % entraîne également une augmentation de l'AVP. Cet effet est largement médié par l'activation du système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA), qui résulte de l'activation des barorécepteurs dans la crosse de l'aorte, le sinus carotidien, le foie et le système nerveux central (déclenchée par une pression artérielle systémique basse) et également d'une perfusion rénale réduite. La relation entre la concentration d'AVP et la diminution du volume circulant effectif est exponentielle, avec des concentrations fortement augmentées en cas de perception d'une hypovolémie (figure 2). L'hyponatrémie de dilution associée à l'insuffisance cardiaque peut donc être considérée plus ou moins comme un marqueur de substitution pour un bas débit cardiaque avec une perfusion tissulaire compromise. Les concentrations significativement élevées d'AVP qui y sont corrélées ont non seulement une action antidiurétique (via le récepteur V2), mais elles favorisent également une vasoconstriction systémique et un remodelage cardiaque défavorable (via le récepteur V1a ; figure 1).
Hyponatrémie « de déplétion »
Une perte excessive de sel due à l'utilisation de diurétiques en cas d'insuffisance cardiaque peut également provoquer une hyponatrémie. Une déplétion concomitante de cations intracellulaires tels que le potassium, le calcium et le magnésium peut encore aggraver ce phénomène en provoquant un déplacement du sodium vers le compartiment intracellulaire. Enfin, une véritable hypovolémie via la stimulation de l'AVP entraîne également une dilution du plasma, comme expliqué ci-dessus.
Impact du traitement de l'insuffisance cardiaque sur l'hyponatrémie
Diurétiques
Le tubule rénal distal et le tube collecteur forment le segment diluant du rein, caractérisé par une faible perméabilité à l'eau. Par conséquent, les diurétiques à action distale, tels que les diurétiques thiazidiques, les antagonistes des récepteurs des minéralocorticoïdes (ARM) et l'amiloride suppriment la capacité des reins à excréter l'eau « libre » et favorisent l'hyponatrémie, quel que soit son mécanisme d'apparition.2 Les diurétiques de l'anse n'agissent pas de la sorte, ils empêchent la formation d'un gradient de tonicité dans la médulla rénale, lequel gradient est nécessaire pour concentrer l'urine. Par conséquent, leur utilisation entraîne la production d'une urine hypotonique, ce qui offre une certaine protection contre l'apparition d'une hyponatrémie. Cependant, les diurétiques de l'anse stimulent également le SRAA et donc la libération non osmotique d'AVP.7 Ceci peut (surtout en cas d'utilisation prolongée à des doses élevées) quand même entraîner une hyponatrémie, surtout si elle est (partiellement) consécutive à une déplétion.
Les diurétiques à action proximale comme l'acétazolamide stimulent l'excrétion d'eau libre, ce qui est une caractéristique intéressante pour le traitement de l'hyponatrémie dilutionnelle.2 Suite à leur action en amont de la macula densa, ils augmentent l'apport de sel (et plus précisément de chlore) à cet endroit du néphron, ce qui est associé à une activation moins prononcée du SRAA.7 Dans une petite étude pilote (n = 34) chez des patients présentant une insuffisance cardiaque aiguë, une surcharge volumique et une activation neurohormonale marquée, reflétée par la présence d'une hyponatrémie et/ou d'un rapport urée/ créatinine sérique > 50, l'ajout d'acétazolamide a amélioré la réponse aux diurétiques.8 Cependant, comme toutes les classes de diurétiques, l'acétazolamide peut également provoquer une hyponatrémie lorsque celle-ci est principalement « de déplétion ».
Antagonistes de la vasopressine ou « aquarétiques »
Étant donné le rôle central de l'AVP dans l'apparition de l'hyponatrémie de dilution associée à l'insuffisance cardiaque, les antagonistes de l'AVP semblent être une option thérapeutique valable. Le tolvaptan, un antagoniste spécifique des récepteurs V2, stimule l'excrétion d'eau libre, ou aquarèse, par un effet direct sur les tubes collecteurs du néphron. Le tolvaptan a été examiné dans l'étude EVEREST, une étude randomisée, en double aveugle, contrôlée par placebo, menée chez des patients souffrant d'insuffisance cardiaque aiguë, indépendamment de la présence d'une hyponatrémie (n = 4 133). Cependant, aucun avantage n'a pu être démontré pour les critères d'évaluation cliniques concrets.9 Les patients traités par tolvaptan présentaient néanmoins une diurèse plus prononcée avec une résolution plus rapide des symptômes et des signes cliniques de surcharge volumique, sans activation compensatoire du SRAA. Le traitement par tolvaptan était associé à une augmentation de l'osmolalité plasmatique par rapport au placebo et, dans une analyse post-hoc chez des patients souffrant d'hyponatrémie, 58 % d'entre eux ont présenté une résolution de leur hyponatrémie sous tolvaptan, contre seulement 20 % dans le groupe placebo.10,11 Dans le petit sous-groupe sélectionné présentant une hyponatrémie marquée < 130 mmol/l (n = 92), on a même observé une réduction de 40 % du risque de décès cardiovasculaire ou d'hospitalisation pour des motifs cardiovasculaires.10 Il est même possible que les molécules qui bloquent à la fois les récepteurs V1a et V2 offrent une protection cardio-rénale supplémentaire.12 De plus amples études randomisées de plus grande envergure sont nécessaires pour pouvoir tirer des conclusions définitives à ce sujet.
Inhibiteurs de la rénine-angiotensine et de la néprilysine
Les inhibiteurs du SRAA, tels que les inhibiteurs de l'enzyme de conversion de l'angiotensine et les antagonistes des récepteurs de l'angiotensine, suppriment la stimulation neurohormonale qui provoque l'hyponatrémie de dilution. En raison de leurs effets vasodilatateurs, les inhibiteurs du SRAA améliorent aussi souvent le débit cardiaque et la perfusion tissulaire chez les patients souffrant d'insuffisance cardiaque à fraction d'éjection réduite. La titration de ces médicaments à la dose cible recommandée est donc une bonne idée chez les patients souffrant d'insuffisance cardiaque et d'hyponatrémie, si la pression artérielle le permet. Le sacubitril/valsartan, un inhibiteur du récepteur de l'angiotensine et de la néprilysine, stimule en outre le système des peptides natriurétiques, ce qui améliore encore la perfusion rénale.
Inhibiteurs du cotransporteur sodiumglucose de type 2
Entre-temps, les inhibiteurs du cotransporteur sodium-glucose de type 2 (SGLT2) font partie intégrante du traitement médicamenteux de l'insuffisance cardiaque et peuvent contribuer à la correction de l'hyponatrémie. En stimulant la glycosurie, ils favorisent l'excrétion d'eau libre.13 Dans l'étude EMPA-RESPONSE-AHF portant sur l'insuffisance cardiaque aiguë (n = 80), un traitement par empagliflozine était en effet associé à une augmentation de l'osmolalité sérique.14 Chez les patients souffrant du syndrome de sécrétion inappropriée d'hormone antidiurétique, un traitement par inhibiteurs du SGLT2 peut également augmenter le sodium sérique.15
Administration d'une solution saline hypertonique et de diurétiques de l'anse L'administration d'une solution saline hypertonique est efficace pour corriger l'hyponatrémie. Cependant, cette stratégie reste controversée chez les patients souffrant d'insuffisance cardiaque. Une solution saline hypertonique augmente immédiatement la tonicité plasmatique, ce qui crée un effet de succion du compartiment interstitiel/intracellulaire vers le compartiment intravasculaire/extracellulaire et entraîne une diminution de la créatinine sérique, une augmentation de la natriurèse et une suppression de l'activation neurohormonale.16 En combinant ce traitement avec l'administration de diurétiques de l'anse, le volume recruté peut alors être excrété par la suite. Toutefois, à ce jour, il n'existe pas d'études randomisées convaincantes étayant que l'utilisation systématique de cette stratégie améliore le pronostic des patients souffrant d'insuffisance cardiaque et d'hyponatrémie.
Conclusion
En cas d'hyponatrémie et d'insuffisance cardiaque, il faut distinguer l'hyponatrémie de dilution (ou rétention excessive de liquide suite à la stimulation neurohormonale et à une perfusion rénale réduite) de l'hyponatrémie de déplétion, ou perte excessive de sel consécutive à un traitement par diurétiques. La figure 3 présente un algorithme pour une prise en charge individualisée. Cependant, des études portant sur des patients souffrant d'insuffisance cardiaque correctement phénotypés sont nécessaires pour utiliser les modalités thérapeutiques adéquates pour l'hyponatrémie spécifique du patient.
Références
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