Compte rendu du symposium consacré à l'ATTR-CM
Introduction
Le symposium a été introduit par Bharati Shivalkar: l'amylose cardiaque (AC) entraîne une cardiomyopathie restrictive qui se complique d'une insuffisance cardiaque et dont le pronostic est sombre. L'AC résulte du dépôt extracellulaire de fibrilles amyloïdes dans le myocarde. Plus de 30 protéines peuvent être à l'origine d'une amylose: d'une part, les chaînes légères d'immunoglobulines monoclonales, provenant d'une population de plasmocytes clonaux anormaux (AL), et d'autre part la protéine de transport, la transthyrétine (ATTR), constituent les causes les plus fréquentes d'AC. Jusqu'il y a peu, aucun traitement étiologique n'était disponible pour les patients souffrant d'une cardiomyopathie ATTR (ATTR-CM). Ces dernières années, des progrès dans les 3 domaines de recherche suivants ont conduit à une évolution de la prise en charge de l'ATTR-CM: tout d'abord, les progrès sur le plan de l'imagerie cardiaque, grâce auxquels il est désormais possible de diagnostiquer l'ATTR-CM de manière non invasive. Ensuite, des études observationnelles ont montré qu'il existe un sous-diagnostic important de l'ATTR-CM dans différentes populations d'insuffisants cardiaques, de sorte que cette affection est beaucoup moins rare qu'on ne le pensait auparavant. Enfin, les études basées sur l'élucidation des mécanismes physiopathologiques sous-jacents ont conduit au développement d'un traitement étiologique qui a un impact significatif sur la symptomatologie et le pronostic de l'ATTR-CM et qui est recommandé comme traitement de classe IB par la Société européenne de Cardiologie depuis septembre 2021.1 Par la suite, Fabian Knebel et Thibaud Damy ont respectivement traité du diagnostic et du traitement de l'ATTR-CM, tandis que Steven Droogmans a clarifié les critères de remboursement du tafamidis en Belgique.
Patient cases: how to diagnose a patient with ATTR-CM from a multidisciplinary approach (MD approach)
Depuis 2008, nous constatons une augmentation exponentielle de l'incidence de la forme 'sauvage' (wild type) d'ATTR-CM (wtATTR-CM) ainsi qu'une augmentation moins prononcée de la forme héréditaire d'ATTR-CM (hATTR-CM). Sur ce plan, il s'agit principalement de patients âgés, à partir de 70 ans, chez qui l'hypothèse diagnostique est une cardiomyopathie hypertrophique.
En 2021, le Groupe de travail européen Maladies du myocarde et du péricarde a publié un algorithme diagnostique qui permet de poser un diagnostic de certitude d'AC², de manière non invasive, notamment grâce à la scintigraphie osseuse et à la recherche biochimique d'une paraprotéine (figure 1 + 2). En cas de suspicion clinique d'AC sur la base des symptômes et de signes cliniques - 'red flags' - en combinaison avec des indicateurs à l'électrocardiogramme (ecg) ou à l'imagerie (échocardiographie ou IRM), il faut de préférence réaliser une scintigraphie osseuse avec tomographie computérisée pour détecter une ATTR-CM (captation de grade 2 ou 3 de Perugini du traceur dans le myocarde), toujours en combinaison avec une électrophorèse des protéines sériques et urinaires + une immunofixation et la détermination du rapport des chaînes légères libres dans le sérum pour exclure une paraprotéine. Une biopsie (myocardique) n'est plus nécessaire qu'en présence d'une paraprotéine avec une scintigraphie osseuse négative, lorsqu'il existe des indications non invasives en faveur d'une ATTR-CM ou d'une AL-CM, et en cas de faible captation du traceur à la scintigraphie osseuse (grade 1 de Perugini).
Chez un patient présentant une insuffisance cardiaque à fraction d'éjection préservée et/ou une épaisseur pariétale du ventricule gauche > 11 mm, il faut non seulement exclure une sténose valvulaire aortique ou une cardiopathie hypertensive, mais il faut aussi penser à l'AC, a fortiori si le patient a plus de 65 ans. L'AC doit également être envisagée en cas d'intolérance au traitement standard de l'insuffisance cardiaque, comme les inhibiteurs de l'ECA ou les bêtabloquants, en cas d'anomalies orthopédiques telles qu'un syndrome du canal carpien (SCC), un canal lombaire étroit, une rupture spontanée du tendon du biceps et en cas d'arthroplastie du genou et de la hanche, en combinaison avec un épaississement de la paroi musculaire du VG. La plupart du temps, plusieurs années séparent le diagnostic d'un SCC et l'apparition d'une insuffisance cardiaque clinique. Enfin, quelques anomalies neurologiques suggèrent également le diagnostic d'AC: polyneuropathie, neuropathie autonome et perte de poids inexpliquée, associée à des symptômes gastro-intestinaux.
Outre le microvoltage, l'ecg standard révèle souvent des troubles de la conduction et des (pseudo-)ondes Q en l'absence de nécrose transmurale. Enfin, des valeurs très élevées de peptides natriurétiques chez des patients présentant une hypertrophie concentrique et une fraction d'éjection normale peuvent indiquer une AC. L'échocardiographie est l'examen de choix pour la mise au point diagnostique : outre l'HVG, elle permet de détecter des anomalies de la fonction longitudinale par l'imagerie de déformation (speckle tracking), avec une image typique de perte de la fonction longitudinale dans les segments basaux et médians, avec préservation de la fonction longitudinale dans les segments apicaux (apical sparing). L'imagerie de déformation du ventricule gauche donne également des informations pronostiques et peut révéler des anomalies dans l'oreillette gauche, y compris en cas de dépôt de fibrilles amyloïdes.
Une valvulopathie ou un épanchement péricardique peuvent également être une manifestation de l'AC. En cas d'épanchement péricardique, le pronostic est particulièrement défavorable s'il est associé à un épanchement pleural. Les patients plus âgés, adressés pour un remplacement de la valve aortique, présentent également souvent une AC (jusqu'à 1 patient sur 8). Ils présentent généralement un profil de sténose valvulaire aortique sévère paradoxale avec un faible débit systolique, un faible gradient et une fraction d'éjection préservée. On étudie encore si un remplacement de la valve aortique peut modifier l'affection et améliorer le pronostic.
LT data tafamidis clinical experience & multidisciplinary approach
Mesures générales
L'acronyme CHAD-STOP (Conduction and rhythm disorders prevention, High Heart rate maintenance, Anticoagulation, Diuretic agents and STOP bêtabloquants, antagonistes calciques et digoxine) résume les recommandations générales pour le traitement de l'ATTR-CM. De manière générale, on peut dire que tous les médicaments classiquement utilisés dans l'insuffisance cardiaque ne peuvent pas être utilisés chez les patients souffrant d'ATTR-CM. En effet, en raison de l'infiltration amyloïde, ces patients développent une cardiomyopathie restrictive qui compromet le remplissage du ventricule gauche. De ce fait, la précharge ne peut pas augmenter suffisamment, de sorte que le débit cardiaque ne peut augmenter que via une accélération de la fréquence cardiaque. Les bêtabloquants et les antagonistes calciques bradycardisants sont donc proscrits et doivent être arrêtés. Les inhibiteurs de l'ECA et les diurétiques doivent également être utilisés avec prudence en raison d'un risque accru d'hypotension dû à la dysfonction autonome, souvent présente.
En cas de troubles du rythme, l'amiodarone est le premier choix. Il convient d'être prudent avec la digoxine, en raison du risque accru de toxicité dû à la liaison avec les fibrilles amyloïdes. Compte tenu de l'augmentation du risque thromboembolique, même en rythme sinusal, le seuil d'instauration d'une anticoagulation est bas, assurément en présence de troubles du rythme supraventriculaires et/ou d'antécédents d'embolie systémique et/ou en présence d'un thrombus intracardiaque. Les patients souffrant d'amylose courent un risqu e très élevé de troubles de la conduction, ce qui explique qu'on envisage plus souvent l'indication d'une stimulation (pacing) et que certains recommandent même l'implantation d'un pacemaker chez les patients présentant un bloc AV du premier degré, des syncopes inexpliquées et un retard de conduction infrahissien à l'examen électrophysiologique.
Un traitement spécifique: le tafamidis
L'étude ATTR-ACT
Théoriquement, l'excès de transthyrétine peut être contré de plusieurs manières. Cependant, la récente étude Tafamidis in Transthyretin Cardiomyopathy Clinical Trial (ATTR-ACT) a constitué un tournant et a fait du tafamidis le seul traitement actuellement approuvé par la FDA pour l'ATTR-CM3. Le tafamidis empêche la dissociation des tétramères de la transthyrétine, ce qui empêche l'amyloïde de se déposer dans les organes et accélère son élimination. Dans l'étude ATTR-ACT, des patients souffrant d'amylose ont été randomisés vers un groupe recevant un placebo, un groupe recevant 20 mg de tafamidis et un groupe recevant 80 mg, selon un rapport 1/2/2.3 Le critère d'évaluation primaire de l'étude était la mortalité globale et les hospitalisations liées aux maladies cardiovasculaires. À l'aide de la méthode de Finkelstein-Schoenfeld, cette étude ATTR-ACT a montré que le tafamidis améliore la survie et qu'il diminue le nombre d'hospitalisations pour maladies cardiovasculaires, et ce tant chez les patients souffrant de la forme héréditaire que non héréditaire. La qualité de vie des patients s'améliore, comme en témoignent le Kansas City Cardiomyopathy Questionnaire-Overall Summary Score (KCCQ-OS) et le déclin moins rapide au test de marche de 6 minutes (6MWT). Les effets cliniques bénéfiques ont été observés après 18 mois et ils étaient les plus marqués lorsque le médicament était administré tôt dans l'évolution de la maladie.
Tafamidis: dose élevée vs faible
L'étude LTE ATTR-ACT
Dans l'étude ATTR-ACT, une comparaison statistique directe entre le tafamidis 80 mg et 20 mg n'a pas été possible, en raison du nombre limité de patients dans chaque groupe. La dose plus élevée (80 mg) a été utilisée, car c'est elle qui permet de stabiliser la TTR à un niveau proche du maximum. Par le passé, des volontaires en bonne santé ont reçu des doses allant jusqu'à 400 mg de tafamidis en dose unique. Malgré une concentration à l'état d'équilibre 7,5 fois plus élevée que prévu, on n'a pas noté d'effets indésirables. En outre, on a démontré que le profil pharmacobiologique d'une dose unique de 'tafamidis 61 free acid' était identique à celui de 4 comprimés de 20 mg de 'tafamidis meglumine'. Étant donné qu'une dose quotidienne unique améliore la compliance, on a opté en pratique quotidienne pour la forme 'tafamidis 61 free acid'.
L'étude Long Term Extension ATTR-ACT a fourni plus d'informations sur l'efficacité du tafamidis à la dose de 20 mg vs 80 mg/jour.4 Dans cette étude, les patients de l'étude ATTR-ACT qui recevaient un placebo ont été à nouveau randomisés vers un groupe recevant 20 mg ou 80 mg de tafamidis. Grâce au plus grand nombre de patients et à la plus longue durée du traitement, on a pu démontrer que, malgré le stade plus avancé de l'amylose, le groupe sous tafamidis 80 mg a obtenu de meilleurs résultats que le groupe sous tafamidis 20 mg, avec une réduction relative significative de 30 % de la mortalité, et que les biomarqueurs tels que le NT-proBNP et la troponine, qui reflètent la progression de la maladie, ont augmenté moins rapidement dans le groupe 'tafamidis 80 mg'. Cette différence est restée significative même après correction pour l'âge, le NT-proBNP et le 6MWT.
Tafamidis: Real World Evidence (RWE)
Les études RWE confirment également l'effet bénéfique du tafamidis. Dans une étude observationnelle portant sur 908 patients souffrant d'ATTR (605 de la forme wild type, 303 de la forme héréditaire), 80 % des patients répondant aux critères d'inclusion de l'étude ATTR-ACT ont été mis sous tafamidis. 8 % n'entraient pas en ligne de compte en raison d'une insuffisance cardiaque trop avancée (classe NYHA IV), 12 % n'étaient pas suffisamment atteints sur la base de la classe NYHA (classe I) et/ou des taux de NT-proBNP (< 600 pg/ml). L'impact sur la survie, le 6MWT et le KCCQ-OS était identique à celui observé dans l'étude randomisée en double aveugle ATTR-ACT. En outre, le propensity score matching a montré que le traitement est bénéfique, non seulement chez les patients souffrant d'amylose ATTR présentant un phénotype à prédominance cardiaque, mais aussi chez eux présentant un phénotype mixte, cardiaque et neurologique. Une autre étude française RWE a montré que grâce à l'amélioration du diagnostic et à un dépistage plus systématique, le nombre de nouveaux diagnostics d'amylose ATTR a augmenté de 24,1 % par an, entraînant une incidence 3 fois plus élevée en 2017 par rapport à 2011. Dans cette étude, les patients étaient âgés de 79 ans en moyenne, et 67 % d'entre eux étaient du sexe masculin. Il convient de noter qu'un dépistage plus systématique a non seulement entraîné une augmentation de l'incidence du nombre de patients détectés, mais que les patients étaient moins malades, grâce à cette détection plus précoce, ce qui permet l'instauration rapide d'un traitement.
Comment surveiller l'amylose cardiaque?
Dans la dernière partie de son exposé, Thibaud Damy a abordé le suivi optimal de l'AC. À l'aide des paramètres cliniques et fonctionnels, de l'évolution des biomarqueurs, des modifications de l'ecg et de l'imagerie, on peut évaluer la progression de la maladie. À cet égard, il faut au moins 1 paramètre de chaque catégorie (figure 3) pour parler de progression.2 Il existe également plusieurs scores basés soit sur la hs-troponine et le NT-proBNP (score Mayo), soit sur le DFGe et le NT-proBNP (score NAC), soit encore sur une combinaison des scores Mayo et NAC, la quantité de diurétiques par jour et/ou la classe NYHA, qui permettent de mieux évaluer la progression et les chances de survie. Le récent document de consensus d'experts de l'ESHF postule dès lors que ces scores devraient être déterminés tous les 6 à 12 mois, afin qu'on puisse détecter une progression à temps.2
Conclusion
Une meilleure stratégie permet un diagnostic plus rapide et donc plus précoce de l'ATTR-CM. Le tafamidis stabilise l'amyloïde, allongeant de ce fait la survie, et il réduit les hospitalisations. La plupart des patients souffrant d'ATTR-CM tirent des bénéfices de ce traitement, les meilleurs effets étant observés lorsque le traitement est instauré tôt.
Références
- McDonagh, T.A. 2021 ESC Guidelines for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure. Eur Heart J, 2021, 42, 3599-3726.
- Garcia-Pavia, P. et al. Diagnosis and treatment of cardiac amyloidosis. A position statement of the European Society of Cardiology Working Group on Myocardial and Pericardial Diseases. Eur J Heart Fail, 2021, 23 (4), 512-526.
- Maurer, M.S. et al. Tafamidis Treatment for Patients with Transthyretin Amyloid Cardiomyopathy. N Engl J Med, 2018, 379 (11), 1007-1016.
- Damy, T. et al. Efficacy and safety of tafamidis doses in the Tafamidis in Transthyretin Cardiomyopathy Clinical Trial (ATTR-ACT) and long-term extension study. Eur J Heart Fail, 2021, 23 (2), 277-285.
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