L'endocardite infectieuse (EI) est une affection grave, qui reste associée à une morbimortalité élevée, même en 2021. La mortalité peut varier considérablement d'une étude à l'autre. Une des grandes études multicentriques les plus récentes, l'EUROENDO Registry, fait état d'une mortalité de 17,1 %, mais elle inclut des patients chez qui le diagnostic d'EI était certain ou possible - possible and definite IE - selon les critères de Dukes et les recommandations de l'ESC.1, 2 Les grands articles des recommandations mentionnent une mortalité intrahospitalière de 15-30 %.2 La mortalité intrahospitalière est fortement déterminée par l'organisation locale des soins de santé: ainsi, certains hôpitaux ont un système d'orientation très rapide vers les hôpitaux périphériques locaux. La mortalité intrahospitalière semble dès lors plus favorable, mais cela ne signifie pas que le résultat final pour le patient est meilleur, a fortiori quand on tient compte des soins et de la revalidation, souvent longs, dont ces patients ont besoin. De ce fait, la mortalité à 30 jours et à 1 an constitue un meilleur paramètre. La littérature récente indique une mortalité à 30 jours de 20 %, et à 1 an de 40 %.3,4 Ces chiffres restent hallucinants, et il convient donc de savoir comment les améliorer.
La première étape consiste à appliquer effectivement les connaissances actuelles au sujet du diagnostic et du traitement, qui sont résumées dans les recommandations.2 Cela semble simple, mais le lecteur attentif ne manquera pas de remarquer que les exigences sont grandes en matière d'imagerie (ETT, ETO, CT, PET-CT, IRM, scintigraphie aux globules blancs marqués, etc.), de soutien microbiologique, de timing de la concertation pluridisciplinaire et, pour les hôpitaux périphériques, de concertation rapide avec un hôpital de référence afin de transférer le patient à temps, si nécessaire. Dans le cas de l'EI, 'Time is not Muscle, but a Question of Survival'. Les indications pour une chirurgie extrêmement urgente (dans les 24 heures), urgente (dans un délai de quelques jours) et élective (après 1-2 semaines d'antibiothérapie) sont décrites dans les recommandations, mais chaque cas est différent et des facteurs tels que des comorbidités rendent parfois les décisions individuelles beaucoup plus difficiles que ne le suggèrent les recommandations: la concertation à temps avec un centre de référence et une approche pluridisciplinaire sont cruciales ici.
Les centres de référence ne peuvent pas revendiquer ce titre sur la seule base de leur capacité à pratiquer une chirurgie cardiaque. La présence d'une équipe spécialisée dans la prise en charge de l'endocardite est nécessaire et les exigences en la matière sont également définies dans les recommandations.2 Une fois que la prise en charge des patients souffrant d'EI au sein d'un réseau a été organisée conformément à ces recommandations de l'ESC, il reste à savoir, pour chaque réseau individuel, si la morbimortalité au sein du réseau et de l'hôpital individuel correspond à celle de la littérature actuelle. À cet égard, il est important d'évaluer quelles sont les caractéristiques exactes de la population individuelle de patients souffrant d'EI, car elles peuvent avoir un impact significatif sur la mortalité escomptée, tant positif que négatif.
Convaincus que, pour une pathologie grevée d'une mortalité aussi élevée, nous devons tout mettre en oeuvre pour offrir des soins optimaux, nous avons décidé, au Centre cardiaque de l'hôpital OLV d'Alost, de conserver des données détaillées sur ces patients depuis 2014 et, en 2017, nous avons mis sur pied une équipe spécialisée dans la prise en charge de l'endocardite. Les enseignements ont été très riches.5
Il est apparu que le seul moyen d'avoir une image exacte de notre population de patients était de constituer notre propre base de données. Ainsi, les patients traités pour EI dans notre hôpital présentaient un profil de risque plus élevé (comorbidités plus importantes: l'âge médian était de 72,5 ans (62,75 - 80,00), un diabète était présent dans 33,1 % des cas, une maladie rénale chronique dans 27,5 % des cas, une BPCO dans 17,5 % des cas et un antécédent de cardiopathie ischémique dans 30,6 % des cas), l'agent causal était plus souvent un entérocoque, peut-être en raison de l'âge plus avancé, et les EI sur prothèse valvulaire ou dispositif cardiaque étaient beaucoup plus fréquentes. La mortalité à 30 jours était de 19,4 %, à 90 jours de 30,6 %, à 180 jours de 34,4 % et à 1 an de 37,5 %, ce qui est conforme aux chiffres rapportés dans la littérature. Ceci est plutôt rassurant, compte tenu des caractéristiques susmentionnées, qui sont théoriquement toutes liées à une mortalité plus élevée : un âge plus avancé, davantage de comorbidités, davantage d'EI sur prothèses et dispositifs. Comme dans l'étude EURO-ENDO, la mortalité des patients souffrant d'EI, traités médicalement ou chirurgicalement selon les recommandations était comparable. La mortalité des patients qui, d'après les recommandations, auraient dû être opérés mais qui, pour diverses raisons (refus, inopérabilité dans le contexte d'une importante comorbidité…), n'ont reçu qu'un traitement médical, s'est avérée extrêmement élevée.
Il est difficile de modifier les caractéristiques d'une population de patients, mais il est nécessaire de décider à temps de recourir à la chirurgie pour éviter les complications de l'EI comme les embolies, la formation d'abcès, la destruction valvulaire avec répercussions hémodynamiques, qui peuvent induire une inopérabilité, en dépit de l'indication chirurgicale théorique d'après les recommandations.
La constitution d'une équipe spécialisée dans la prise en charge de l'endocardite (au Centre cardiaque de l'OLV: le patient est hospitalisé en CCU dès la première suspicion d'EI (par échographie ou microbiologie), l'équipe pluridisciplinaire discute au Jour 0 de la stratégie diagnostique et thérapeutique et le patient est ensuite évalué par l'équipe cardiaque au moins une fois par semaine) a conduit à une réduction significative de la durée d'hospitalisation de 8 jours. L'approche de l'équipe spécialisée dans la prise en charge de l'endocardite était indépendamment associée à une durée d'hospitalisation plus courte, probablement en raison d'une prise de décision plus rapide au sein de l'équipe. En outre, nous avons observé une tendance à une meilleure survie (la mortalité à 1 an a diminué de 41,2 % à 34,8 %) malgré un indice de fragilité plus élevé. Après un propensity score matching, la mortalité à 1 an a diminué (de façon non significative) de 41,2 % à 26,5 % avec la constitution d'une équipe spécialisée dans la prise en charge de l'endocardite (p = 0,0699).
En cardiologie, peu de pathologies entraînent un nombre de décès aussi élevé que l'EI. La prise en charge de ces patients mérite donc toute notre attention. La connaissance des caractéristiques de la population de patients souffrant d'EI traités dans son propre hôpital et son réseau et une prise en charge pluridisciplinaire intégrée, rapide et efficace de ces patients au sein d'une équipe spécialisée dans la prise en charge de l'endocardite peuvent contribuer à améliorer la survie de ces patients.
Références
- Habib, G., Erba, P.A., Iung, B., Donal, E., Cosyns, B., Laroche, C. et al. Clinical presentation, aetiology and outcome of infective endocarditis. Results of the ESCEORP EURO-ENDO (European infective endocarditis) registry: A prospective cohort study. Eur Heart J, 2019, 40 (39), 3222-3233.
- Habib, G., Lancellotti, P., Antunes, M.J., Bongiorni, M.G., Casalta J.P., Del Zotti, F. et al. ESC Guidelines for the management of infective endocarditis. Eur Heart J, 2015, 36 (44), 3075-3123.
- Mostaghim A.S., Lo, H.Y.A., Khardori, N. A retrospective epidemiologic study to define risk factors, microbiology, and clinical outcomes of infective endocarditis in a large tertiary-cary teaching hospital. SAGE Open Med, 2017, 5, 1-9.
- Murdoch, D.R., Corey, R., Hoen, B., Miro, J.M., Fowler, V.G., Bayer, A.S. et al. Clinical presentation, etiology and outcome of infective endocarditis in the 21st century: The International Collaboration on Endocarditis- Prospective Cohort Study. Arch Intern Med, 2009, 169 (5), 463-473.
- Van Camp, G., Beles, M., Penicka, M., Schelfaut, D., Wouters, S., De Raedt, H. et al. J Clin Med, 2021, 10, 3832. https://doi.org/10.3390/jcm10173832.
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