Congrès de l'ESC 2020
Compte rendu du symposium
Cette année, une session en marge du congrès de l'ESC a été consacrée à l'importance de la carence en fer dans la population des patients souffrant d'insuffisance cardiaque. La session est introduite par Andrew Coats, actuel président de l'ESC Heart Failure Association, mettant l'accent sur la qualité de vie et la capacité fonctionnelle. La deuxième partie de la session se penche sur les études existantes qui ont évalué le rôle du fer pour injection intraveineuse (IV) sur la qualité de vie des patients souffrant d'insuffisance cardiaque. Il s'ensuit une présentation de l'effet du fer IV sur la morbidité et la mortalité et des études attendues sur le sujet.
L'insuffisance cardiaque est une maladie chronique dans laquelle, ces dernières années, le traitement se concentre non seulement sur la réduction de la mortalité, mais aussi sur l'amélioration de la qualité de vie du patient. Si nous voulons améliorer la qualité de vie de nos patients atteints d'insuffisance cardiaque, nous ne pouvons pas perdre de vue la carence en fer. Une carence en fer est présente chez la moitié environ des patients avec insuffisance cardiaque à fraction d'éjection diminuée (HFrEF). La carence en fer se définit par un taux de ferritine sérique < 100 mcg/l ou un taux de ferritine de 100-299 mcg/l associé à une saturation de la transferrine < 20 %. Une anémie n'y est associée que dans 33 % des cas.1 Pourtant, on observe aussi chez ces patients une diminution significative de la capacité d'effort et de la qualité de vie (figure 1).2, 3 Cela s'explique par une production d'ATP fer-dépendante dans les mitochondries, une augmentation du stress oxydatif et un effet inhibiteur direct sur la contractilité et le relâchement des cardiomyocytes et des muscles squelettiques. 4, 5 L'hémoglobine n'est donc pas un bon paramètre pour détecter une carence en fer chez vos patients insuffisants cardiaques.
Vient ensuite une revue des études ayant évalué l'effet d'une supplémentation en fer. L'étude FAIR-HF, réalisée en 2009, est une étude majeure qui démontre l'importance de la supplémentation en fer par voie (IV) chez les patients avec HFrEF et carence en fer. 459 patients ont été randomisés pour recevoir 200 mg de carboxymaltose ferrique IV ou un placebo. 50 % des patients du groupe traité ont rapporté se sentir globalement modérément à beaucoup mieux, contre seulement 28 % des patients du groupe placebo (OR 2,51 ; IC 1,75-3,61). 24 semaines après l'administration IV de fer, 47 % des patients avaient des plaintes compatibles avec le grade I - II selon la classification de la NYHA, contre 30 % dans le groupe placebo (OR 2,40 ; IC 1,55-3,71). Une nette amélioration était observée au test de marche de 6 minutes et à l'évaluation de la qualité de vie. Son effet était même déjà observé rapidement, à savoir quatre semaines après la première administration. Ces résultats étaient similaires pour les patients avec ou sans anémie. (figure 2)6
En 2015, l'étude CONFIRM est venue confirmer ces résultats, démontrant que ces effets bénéfiques persistaient jusqu'à 52 semaines après l'administration. Cette étude a en outre démontré pour la première fois que le traitement par fer IV était associé à une réduction du risque d'hospitalisation pour insuffisance cardiaque (HR 0,39 ; IC 0,19-0,82) en plus d'une amélioration de la qualité de vie.7
Sur la base des deux études ci-dessus, les recommandations actuelles de l'ESC pour l'insuffisance cardiaque (2016) mentionnent qu'il faut envisager l'administration de fer IV (recommandation de classe IIa) en cas de HFrEF et de carence en fer en vue d'améliorer les symptômes, la tolérance à l'effort et la qualité de vie.8 Ewa Jankowska souligne que, dans la pratique, la supplémentation en fer IV reste encore trop souvent réservée aux patients HFrEF avec anémie plutôt qu'appliquée à tous les patients HFrEF avec carence en fer. Voilà qui renforce l'importance d'une détection systématique de la carence en fer (entre autres par un dosage de la ferritine sérique et de la saturation de la transferrine) chez le patient insuffisant cardiaque.
à ce jour, aucune étude dotée d'une valeur probante suffisante n'a pu démontrer un effet bénéfique de la supplémentation en fer IV sur la mortalité. En 2018, une méta-analyse d'Anker et al. a toutefois révélé des résultats positifs sur un critère d'évaluation fort associant les hospitalisations et la mortalité cardiovasculaire (figure 3).9 Trois vastes études randomisées actuellement en cours évaluent plus en détail l'effet d'une supplémentation en fer IV sur les MACE (major cardiovascular adverse events, événements cardiovasculaires majeurs) chez des patients souffrant d'insuffisance cardiaque chronique.
Ces effets bénéfiques ne sont pas obtenus par la substitution orale en fer, comme l'a démontré l'étude IRONOUT HF en 2017.10 Ce constat cadre avec une absorption réduite du fer en administration orale chez les patients souffrant d'insuffisance cardiaque chronique, étant donné l'absence d'amélioration du taux de ferritine et de la saturation de la transferrine après substitution orale.
Outre les effets positifs du fer IV dans l'insuffisance cardiaque chronique, quelques études attirent également l'attention sur son effet dans l'insuffisance cardiaque aiguë. Une étude de Jankowska et al., menée en 2014, démontre une augmentation significative de la mortalité à un an des patients avec insuffisance cardiaque aiguë et carence en fer par rapport aux patients ayant un statut martial normal.11 Par ailleurs, le risque de réhospitalisation dans les 30 jours est également augmenté chez ces patients (HR 1,72 ; IC 1,13-2,60).12 L'étude AFFIRM-AHF, dont nous pouvons attendre les résultats à court terme, est actuellement en cours pour évaluer l'effet d'une substitution en fer IV.13 Les intervenants espèrent que cette étude marquera un tournant vers un diagnostic et un traitement corrects de la carence en fer dans l'insuffisance cardiaque tant aiguë que chronique.
Cette session s'est clôturée par une discussion interactive entre les intervenants. Le principal sujet abordé a été la mise en oeuvre défaillante des données ci-dessus dans la pratique courante en dépit des recommandations existantes de l'ESC. Il y a plusieurs explications à cela. Premièrement, l'administration de fer IV n'est pas encore reprise dans l'algorithme de traitement de l'insuffisance cardiaque. Deuxièmement, les éventuels effets indésirables liés à l'administration IV suscitent une certaine réticence. Le bénéfice sur la santé et la sécurité du carboxymaltose ferrique IV ont pourtant été démontrés de manière répétée et systématique dans diverses études, y compris dans le contexte ambulatoire. Enfin, le dernier facteur explicatif est la composante logistique, compte tenu de la nécessité d'un accès intraveineux, qui requiert la pose d'une nouvelle voie (souvent en hospitalisation de jour). Au vu de la plus-value en termes de qualité de vie, nous devons surmonter ces obstacles afin de pouvoir offrir une prise en charge optimale au patient insuffisant cardiaque.
Références
- Klip, I.T. et al. Iron deficiency in chronic heart failure: an international pooled analysis. Am Heart J, 2013, 165 (4), 575-582.e3.
- Jankowska, E.A. et al. Iron deficiency predicts impaired exercise capacity in patients with systolic chronic heart failure. J Card Fail, 2011, 17 (11), 899-906.
- Comín-Colet, J. et al. Iron deficiency is a key determinant of health-related quality of life in patients with chronic heart failure regardless of anaemia status. Eur J Heart Fail, 2013, 15 (10), 1164-72.
- Hoes, M.F. et al. Iron deficiency impairs contractility of human cardiomyocytes through decreased mitochondrial function. Eur J Heart Fail, 2018, 20 (5), 910-919.
- Charles-Edwards, G. et al. Effect of Iron Isomaltoside on Skeletal Muscle Energetics in Patients With Chronic Heart Failure and Iron Deficiency. Circulation, 2019, 139 (21), 2386- 2398.
- Anker, S.D. et al. Ferric carboxymaltose in patients with heart failure and iron deficiency. N Engl J Med, 2009, 361 (25), 2436-2448.
- Ponikowski, P. et al. Beneficial effects of long-term intravenous iron therapy with ferric carboxymaltose in patients with symptomatic heart failure and iron deficiency†. Eur Heart J, 2015, 36 (11), 657-668.
- Ponikowski, P. et al. 2016 ESC Guidelines for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure: The Task Force for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure of the European Society of Cardiology (ESC). Developed with the special contribution of the Heart Failure Association (HFA) of the ESC. Eur J Heart Fail, 2016, 18 (8), 891-975.
- Anker, S.D. et al. Effects of ferric carboxymaltose on hospitalisations and mortality rates in iron-deficient heart failure patients: an individual patient data metaanalysis. Eur J Heart Fail, 2018, 20, 125-133.
- Lewis G.D. et al. Effect of Oral Iron Repletion on Exercise Capacity in Patients With Heart Failure With Reduced Ejection Fraction and Iron Deficiency: The IRONOUT HF Randomized Clinical Trial. JAMA, 2017, 317 (19), 1958-1966.
- Jankowska, E.A. et al. Iron deficiency defined as depleted iron stores accompanied by unmet cellular iron requirements identifies patients at the highest risk of death after an episode of acute heart failure. Eur Heart J, 2014, 35 (36), 2468-2476.
- Núñez, J. et al. Iron deficiency and risk of early readmission following a hospitalization for acute heart failure. Eur J Heart Fail, 2016, 18 (7), 798-802.
- Ponikowski, P. et al. Rationale and design of the AFFIRM-AHF trial: a randomised, doubleblind, placebo-controlled trial comparing the effect of intravenous ferric carboxymaltose on hospitalisations and mortality in iron-deficient patients admitted for acute heart failure. Eur J Heart Fail, 2019, 21 (12), 1651-1658.
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