Au commencement il y avait une démarche visant à prouver seulement la sécurité cardiovasculaire des nouvelles médications développées dans le traitement du diabète. On voulait juste s'assurer de leur neutralité après la déconvenue des glitazones et on visait simplement de faire baisser la glycémie ce qui avait un effet surtout bénéfique au niveau microvasculaire, ce qui n'est déjà pas si mal! EMPAREG avec l'empagliflozine est arrivé en 2015 avec un changement net dans la philosophie: pour la première fois on a pu démontrer un effet bénéfique au niveau macrovasculaire avec une réduction de 38 % de la mortalité cardiovasculaire chez des patients diabétiques à haut risque cardiovasculaire et, cerise inespérée sur le gâteau, on a observé une réduction de 35 % des hospitalisations pour insuffisance cardiaque. Des résultats également encourageants ont été obtenus sur le plan cardiovasculaire avec certains GLP1 agonistes mais sans effet sur l'insuffisance cardiaque. D'autres études ont confirmé par la suite les données de l'empagliflozine avec les autres inhibiteurs de la SGLT2 avec chaque fois un bénéfice sur l'insuffisance cardiaque. Cela a fait germer une hypothèse a priori un peu étrange: pourquoi ne pas trouver une autre vocation à ces médicaments destinés au départ à traiter des patients diabétiques et leur ouvrir un nouveau terrain de chasse, celui de l'insuffisance cardiaque.
DAPA-HF, avec la dapagliflozine, un autre inhibiteur SGLT2, a été la première étude d'envergure présentée à l'ESC en 2019 chez des patients ayant une mauvaise fonction cardiaque systolique (FE ≤ 40 %). Peu importe qu'il soit diabétique ou non, l'étude a randomisé 4 744 patients symptomatiques malgré un traitement relativement optimal, avec des taux élevés de NT-proBNP et une fonction rénale satisfaisante (GFR ≥ 30). Les résultats se sont révélés hautement significatifs: réduction de 26 % du critère d'évaluation primaire (indice composite de mortalité cardiovasculaire, hospitalisation ou visite urgente pour insuffisance cardiaque). Une réduction de 30 % d'évènements liés à une aggravation de l'insuffisance cardiaque (p = 0,00003) et une réduction de 18 % de la mortalité cardiovasculaire (p = 0,029) étaient notés.
L'attente était donc grande à l'ESC cette année, un an plus tard, de voir si l'empagliflozine allait confirmer ces données. Faute au Covid-19, pas de monde sur place malheureusement pour assister à la présentation qui a donc été transmise via internet et publiée directement dans le New England Journal of Medicine. L'étude EMPEROR-Reduced a randomisé 3 730 patients, diabétiques ou non, qui avaient une dysfonction systolique avancée avec une FE ≤ 40 % (HFrEF) à recevoir soit de l'empagliflozine 10 mg, soit un placebo. Une FE ≤ 30 % était exigée ou si elle était plus élevée, les patients devaient avoir été hospitalisés pour insuffisance cardiaque l'année précédant l'inclusion ou présenter des taux très élevés de NT-proBNP, dans le but d'essayer de privilégier une population avec une insuffisance cardiaque systolique. Dans une population de nouveau déjà bien traitée par les médicaments ad hoc, l'indice d'évaluation primaire combinant mortalité cardiovasculaire et hospitalisation pour insuffisance cardiaque était réduit de 25 % par rapport au placebo (figure 1).
Les hospitalisations pour insuffisance cardiaque étaient réduites de 30 % alors qu'il n'y avait qu'une petite tendance de 8 % (NS) à une réduction de la mortalité cardiovasculaire. L'étude comportait un second volet important, l'évolution de la fonction rénale, et les résultats se sont également révélés positifs. La pente de dégradation de la fonction rénale, évaluée par la GFR, était moindre chez les patients sous empagliflozine.
DAPA-HF et EMPEROR-Reduced ont donc confirmé l'hypothèse que les inhibiteurs SGLT2 méritent leur place dans le traitement optimal de l'insuffisance cardiaque à fonction réduite, en complément des bêtabloquants, des inhibiteurs de l'aldostérone et des inhibiteurs de l'enzyme de conversion ou de l'angiotensine, maintenant supplantés par le complexe valsartan/sacubitril. La figure 2 montre clairement que les deux molécules ont dans les deux études des résultats comparables, même si on peut discuter à l'infini pour savoir pourquoi la réduction de mortalité cardiovasculaire n'est pas aussi nette dans EMPEROR-Reduced que dans DAP-HF.
On verrait mal la possibilité qu'une indication de classe IA (A car deux études randomisées) ne soit accordée à ces molécules dans les futurs guidelines de l'insuffisance cardiaque de type HFrEF. Si un tel bénéfice (ou même un plus petit …) avait été prouvé en faveur d'une médication contre le covid, on pourrait être certain que nos décideurs auraient déjà donné les pleins pouvoirs à ce type de médication. Malheureusement, l'insuffisance cardiaque n'est pas assez connue du grand public et de nos politiciens et est beaucoup moins médiatisée. Le timing entre la découverte et la validation d'une molécule innovante et son application en médecine de tous les jours mériterait pourtant une discussion appropriée. La question reste posée quant à l'utilité des inhibiteurs de la SGLT2 dans l'insuffisance cardiaque à fonction ventriculaire gauche préservée (HFpEF). Dans cette pathologie, force est de constater qu'aucune étude randomisée n'a jamais montré de résultat probant et donc aucune molécule n'est approuvée spécifiquement dans cette indication. De façon pragmatique, on essaie donc d'une part d'éliminer la surcharge volémique par des diurétiques et d'autre part de traiter les facteurs favorisants style hypertension, fibrillation auriculaire, infection pulmonaire ou autre …
Le complexe valsartan/sacubitril a été validé de façon nette par l'étude PARADIGM, publiée en 2014 dans le New England Journal of Medicine, chez des patients présentant de l'insuffisance cardiaque à fonction VG réduite (HFrEF). De façon anecdotique, une étude 'pilote' à cette étude de référence, publiée par Solomon en 2012 dans le The Lancet avait montré une plus forte diminution du NT-proBNP par le LCZ 696, comme on l'appelait à l'époque, par rapport au valsartan chez des patients avec une HFpEF. À l'ESC en 2019, l'étude PARAGON avait donc tenté de lancer le valsartan/ sacubitril dans l'insuffisance cardiaque à fonction VG préservée (HFpEF). Pour ce faire, 4 822 patients avec une insuffisance cardiaque et une FE ≥ 45 % avaient été randomisés entre valsartan/ sacubitril et valsartan seul. Malheureusement, le critère d'évaluation primaire combinant hospitalisation pour insuffisance cardiaque et mortalité cardiovasculaire s'était révélé négatif (tendance à une réduction des évènements de 13 %, p = 0,059). La mortalité cardiovasculaire n'était pas modifiée et il n'y avait qu'une tendance (15 %, p = 0,056) à une réduction des hospitalisations.
Un an plus tard, en 2020 et toujours à l'ESC, l'étude PARALLAX était attendue avec curiosité devant nos ordinateurs toujours à cause de ce Covid-19! Le but était de tester, chez des patients avec HFpEF, l'hypothèse qu'un traitement par valsartan/sacubitril serait supérieur à un traitement individualisé comprenant du valsartan ou un inhibiteur de l'enzyme de conversion, l'énalapril, ou encore un placebo. Un total de 2 572 patients avec une fraction d'éjection moyenne de 56 % ont donc été randomisés (moyenne d'âge 73 ans, 51 % de femme). Le critère d'évaluation primaire était la réduction du NT-proBNP après 12 semaines. Une réduction plus importante de 16,4 % des taux de NT-proBNP a été observée, statistiquement très significative (p < 0,0001), avec le valsartan/sacubitril par rapport au traitement médical optimalisé. Mission accomplie. Mais d'une part, cela ressemble un peu à l'étude de Solomon de 2012 mais avec plus de patients et, d'autre part, les critères d'évaluation secondaire comme le test de marche de 6 minutes, le questionnaire de qualité de vie (Kansas City Cardiomyopathy Questionnaire) ou la classe fonctionnelle NYHA. L'honneur était un peu sauvé par une analyse post-hoc montrant que les effets secondaires étaient similaires dans les deux groupes de patients … à l'exception des évènements liés à l'insuffisance cardiaque qui étaient réduits de 50 % (p = 0,005?) dans le groupe sacubitril/valsartan. Devant ces résultats mitigés, je ne pense pas que cette étude permettra d'introduire le sacubitril/valsartan dans le siège désespérément vide du traitement de l'HFpEF. Une sélection appropriée des patients, basée peut être sur une meilleure définition des différents phénotypes que constitue l'HFpEF, pourrait être une piste qui permettrait de trouver une solution à moins que les inhibiteurs de la SGLT 2 ne mettent tout le monde d'accord avant!
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