Les stimulateurs de la guanylate cyclase, une nouvelle classe thérapeutique dans l'insuffisance cardiaque? Washington, États-Unis. Congrès de l'American College of Cardiology 2020.
On estime que 26 millions de personnes souffrent d'insuffisance cardiaque à travers le monde, et environ 40 à 50 % de ces patients sont atteints d'insuffisance cardiaque à fonction ventriculaire gauche réduite. Chaque année, environ 30 % des patients souffrant d'une insuffisance cardiaque chronique symptomatique voient leur maladie s'aggraver, avec des hospitalisations répétées pour décompensation cardiaque. Après une hospitalisation pour décompensation cardiaque, un patient sur quatre sera réadmis dans les 30 jours et on estime qu'un patient sur cinq souffrant d'insuffisance cardiaque chronique aggravée mourra dans les deux ans.
Malgré de multiples progrès thérapeutiques, le pronostic de l'insuffisance cardiaque reste donc grevé d'une importante mortalité et morbidité. C'est pour cette raison que de nouvelles voies thérapeutiques sont actuellement explorées.
Le vériciguat (Bayer/Merck), un stimulateur oral de la guanylate cyclase soluble (SGc), une enzyme-clé de la voie du NO, est la première molécule d'une nouvelle classe thérapeutique dans l'insuffisance cardiaque (IC) à fraction d'éjection réduite.
La voie de l'oxyde nitrique (NO) est un régulateur-clé du système cardiovasculaire qui module à la fois le tonus vasculaire et les performances du myocarde. La perturbation de cet axe de signalisation NO-cGMP (cyclic guanosine monophosphate) et la diminution de production du cGMP en présence d'un dysfonctionnement endothélial entraînent une dysrégulation vasotonique, une rigidité vasculaire et ventriculaire accrue; une fibrose myocardique et une hypertrophie ventriculaire, entraînant un déclin de la fonction cardiaque et rénale. Par conséquent, la voie NO-cGMP est une cible de traitement de l'insuffisance cardiaque. Les donneurs exogènes de NO tels que les nitrates ont longtemps été utilisés pour le traitement des maladies cardiovasculaires, mais il s'est avéré que leur usage était limité en raison d'un stress oxydatif accru et de phénomènes de tolérance. Plus récemment, de nouvelles classes de médicaments ont été découvertes, qui améliorent la production de cGMP en ciblant le récepteur de NO soluble guanylate cyclase (sGC). Ces composés, appelés stimulateurs et activateurs de la sGC, sont capables d'augmenter l'activité enzymatique de la sGC pour générer la cGMP indépendamment du NO et ont été développés pour cibler cette importante cascade de signalisation dans le système cardiovasculaire.
Dans les conditions physiologiques, le SGc est un facteur de régulation de l'énergie du myocarde, de la performance cardiaque et de la fonction endothéliale. La perte de fonction entraîne une dysfonction myocardique et vasculaire. Dans l'insuffisance cardiaque à fonction réduite, la diminution de cette voie métabolique est donc associée à un pronostic défavorable. Le vériciguat améliore la production de guanosine monophosphate cyclique (GMPc), dont le rôle est essentiel pour avoir une fonction cardiovasculaire normale (figure 1).1, 2
L'année 2015 a vu la publication des résultats de l'étude SOCRATES-REDUCED (The SOluble guanylate Cyclase stimulatoR in heArT failurE patientS with REDUCED EF) sur l'utilisation du vériciguat chez des patients souffrant d'IC à fraction d'éjection réduite, après un épisode d'insuffisance cardiaque secondairement stabilisée. L'étude était négative sur le critère primaire de jugement (diminution globale du NT-proBNP à 12 semaines) mais, à la dose de 10 mg, le vériciguat réduisait plus le NT-proBNP (-4 %, p = 0,048) que le placebo avec moins d'évènements cliniques et sans problème de sécurité d'emploi (pas d'effet sur la pression artérielle, la fréquence cardiaque, la fonction rénale).3
Les résultats de l'étude de VICTORIA (Vericiguat glObal study in subjects with heart failure with Reduced ejection fraction) ont été présentés au congrès de l'American College of Cardiology en mars 2020, en vidéoconférence, le congrès étant cette année limité à un accès virtuel, en raison des restrictions liées à l'épidémie de coronavirus. Ils ont fait l'objet d'une publication simultanée dans le New England Journal of Medicine.4
Pour participer à l'étude, les participants devaient répondre aux critères suivants:
- Hommes et femmes âgés de 18 ans ou plus, suivis pour IC chronique, classe NYHA II-IV, avec fraction d'éjection ventriculaire gauche < 45 % au cours des 12 derniers mois
- Aggravation récente des symptômes: soit une hospitalisation pour un épisode d'insuffisance cardiaque aigue dans les 6 mois qui précèdent OU un traitement par diurétiques intraveineux dans les 3 mois
- Élévation des taux de peptide natriurétique (BNP ≥ 300 pg/mLou NT-proBNP ≥ 1000 pg/mL pour les patients en rythme sinusal, et BNP ≥ 500 pg/mLou NT-proBNP ≥ 1600 pg/mL pour les patients en fibrillation auriculaire) dans les 30 jours précédant l'inscription
- Pression artérielle systolique > 100 mmHg
Les patients pouvaient été randomisés en tant que patients hospitalisés ou ambulatoires, mais devaient avoir satisfait aux critères de stabilité clinique (par exemple, SBP ≥ 100 mmHg, et hors traitements IV ≥ 24 heures).
Au final, plus de 6850 patients souffrant d'insuffisance cardiaque avancée ont été évalués, entre 2016 et 2018, à travers 616 centres dans 42 pays à travers le monde et 5 050 patients ont été inclus dans cet essai randomisé, double aveugle, contrôlé contre placebo (tableau 1).
Le vériciguat ou le placebo était administré quotidiennement, et titré pour arriver à la dose-cible de 10 mg 1 x/j en sus du traitement médical optimal.
Le traitement standard administré était en accord avec les recommandations. En effet, parmi les patients inclus, 60 % recevaient une trithérapie comprenant un bêtabloquant et un antagoniste du récepteur minéralocorticoïde avec un inhibiteur de l'enzyme de conversion (IEC), un antagoniste des récepteurs de l'angiotensine II (ARA II) ou la combinaison sacubril/valsartan. Près d'un tiers des patients était porteur d'un défibrillateur.
Plus de 80 % des participants prenant du vériciguat ou le placebo ont suivi les traitements de l'étude. Après environ 12 mois d'étude, 89,2 % des participants sous vériciguat et 91,4 % des participants sous placebo ont atteint la dose cible de 10 mg de vériciguat.
Il n'y avait pas de différences significatives en termes de caractéristiques de base entre le groupe vériciguat et le groupe placebo.
Le critère de jugement primaire est un critère composite associant la mortalité cardiovasculaire et la première hospitalisation pour insuffisance cardiaque après inclusion.
Après un suivi médian de 10,8 mois, ce critère était atteint chez 897 des 2 526 patients (35,5 %) sous vériciguat contre 972 des 2 524 patients (38,5 %) sous placebo (HR 0,90; IC 95 % 0,82-0,98, p = 0,019), soit une baisse du risque 10 % en faveur du vériciguat (figure 2).
L'effet du vériciguat sur le critère principal d'évaluation était cohérent dans la plupart des sous-groupes préspécifiés (y compris les patients recevant du sacubitril-valsartan), sauf dans les sous-groupes définis en fonction de l'âge et le niveau NT-proBNP (pas de bénéfice chez les patients > 75 ans et les patients avec des NT-proBNP > 5 314 pg/mL).
Un total de 691 patients (27,4 %) dans le groupe vériciguat et 747 patients (29,6 %) dans le groupe placebo ont été hospitalisés pour insuffisance cardiaque (HR 0,90; IC 95 % 0,81-1,00, p = 0,048) avec 414 décès cardiovasculaires (16,4 %) sous vériciguat contre 441 (17,5 %) sous placebo (HR 0,93; IC 95 % 0,81-1,06, p = 0,269). Il y a aussi moins de décès toutes causes ou hospitalisations pour insuffisance cardiaque sous vériciguat (37,9 % vs. 40,9 %; HR 0,90; IC 95 % 0,83-0,98, p = 0,021).
Le traitement était en général bien toléré. Une hypotension est apparue plus fréquemment chez les patients sous vériciguat (9,1 % contre 7,9 % dans le groupe contrôle, différence non significative). Une anémie a été également observée plus fréquemment chez les patients prenant le traitement.
Dans cette population à haut risque de complications, ce résultat se traduit par une baisse en risque absolu du taux d'événements (hospitalisation pour insuffisance cardiaque et décès d'origine cardiovasculaire) de 4,2 pour 100 patients-années, ce qui signifie que, sur une période d'un an, il faut traiter 24 patients par vériciguat (en plus du traitement standard) pour éviter un événement (figure 3).
En considérant que, rien qu'aux États- Unis, près de 3 millions d'individus sont atteints d'insuffisance cardiaque chronique à fraction d'éjection réduite et que, chaque année, près de 25 % d'entre eux voient leur état se dégrader, cette baisse du risque en valeur absolue est largement significative, a fait observer le Pr Armstrong (University of Alberta, Edmonton, Canada), principal auteur, qui estime, en conséquence, que 'le traitement est très efficace'.
Ce bénéfice est essentiellement lié à la diminution du taux d'hospitalisation, précisent les auteurs. Dans le groupe sous vériciguat, il est de 27,4 %, contre 29,6 % avec le placebo, soit une différence de 10% (HR = 0,90, IC à 95%, [0,81-1]), tandis que la mortalité cardiovasculaire, respectivement de 16,4 % et 17,5 %, est 'probablement réduite' avec le médicament, mais la différence n'est pas significative (HR = 0,93, IC à 95 %, [0,81-1,06]).
Nouvelle option thérapeutique
'Le vériciguat est un traitement oral qui ne nécessite qu'une seule prise quotidienne, il est bien toléré et, en plus, de manière exceptionnelle, son utilisation n'implique pas de surveillance de la fonction rénale. Il s'agit d'une nouvelle option qui apparait utile pour les patients insuffisants cardiaques après une aggravation de leurs symptômes', a souligné le Pr Armstrong, lors de son intervention en visioconférence.
Invité pour commenter ces résultats, le Dr Clyde Yancy (Northwestern University, Chicago, États-Unis) a salué une 'nouvelle victoire'. 'Une hospitalisation pour insuffisance cardiaque est un point de basculement dans l'évolution de la maladie, avec un changement majeur dans le risque de décès ou de réhospitalisation', a-t-il observé. 'Nous avons désormais un traitement qui pourrait être le premier à avoir un effet sur cette évolution après l'aggravation des symptômes chez ces patients atteints d'insuffisance cardiaque chronique'.
Selon lui, d'autres recherches devront à l'avenir être conduites pour comparer ce traitement à d'autres thérapies innovantes afin de mesurer son réel bénéfice dans la prise en charge des groupes de patients insuffisants cardiaques les plus à risque.
Bien que la taille de l'effet soit similaire à celui observée avec la dapagliflozine (Farxiga, AstraZeneca) dans DAPA-HF et le sacubitril / valsartan (Entresto, Novartis) dans PARADIGM-HF, la population de VICTORIA était plus malade, avec des taux de NT-proBNP très élevés et un taux d'événements étonnamment élevé, même avec un traitement de fond agressif. Si le bénéfice apparait léger en risque relatif, il est surtout significatif en considérant l'impact sur le risque absolu et peut, en ce sens, être perçu comme un progrès notable. D'autant plus qu'il existe peu d'options thérapeutiques pour améliorer le pronostic des patients en insuffisance cardiaque chronique après une aggravation des symptômes, et que ce nouveau traitement n'a pas d'impact sur la fonction rénale (tables 2 et 3).5
En résumé, administré chez des patients souffrant d'insuffisance avec fraction d'éjection réduite après une hospitalisation récente pour décompensation cardiaque, ce nouveau traitement oral par vériciguat réduit légèrement les risques de décès et d'hospitalisation, selon l'essai randomisé VICTORIA. Le bénéfice s'observe essentiellement sur la baisse des admissions à l'hôpital. Le bénéfice paraît toutefois plus important en termes de risque absolu.
Compte tenu de ces résultats, 'l'ajout du vériciguat au traitement standard apparaît innovant chez les insuffisants cardiaques à haut risque', a commenté le Pr Paul Armstrong. Selon lui, ce traitement ouvre de nouvelles perspectives dans la prise en charge de ces patients, ainsi que dans la recherche en cardiologie.
Des questions subsistent maintenant quant à la stratégie de traitement optimale pour un patient atteint d'insuffisance cardiaque à fonction réduite. Dans cette nouvelle ère de thérapies médicales comprenant un ARNI, des inhibiteurs de la sGLT2 (sodium-glucose cotransporter-2) et les modulateurs de la sGC, les combinaisons potentielles de thérapies sont désormais très nombreuses et nous devons poursuivre nos recherches pour comprendre comment établir au mieux les priorités de ces nouvelles thérapies. Il reste important d'utiliser les agents connus comme les IEC/ARB, les bêtabloquants et les antagonistes des récepteurs minéralocorticoïdes, mais la connaissance des avantages et inconvénients de chacun de ces nouveaux agents permettra de personnaliser des régimes spécifiques en fonction des risques et des comorbidités sous-jacents. Par exemple, un patient récemment hospitalisé traité avec un régime d'ARNI, de bêtabloquant et de spironolactone pourrait bénéficier de l'ajout de vériciguat. De même, chez un patient diabétique atteint d'insuffisance cardiaque à fonction réduite, un SGLTi serait la première préférence pour une thérapie progressive. Mais n'oublions pas que les thérapies traditionnelles restent sous-utilisées.6 La 'quintuple thérapie' avec des inhibiteurs du système rénine- angiotension-aldostérone (ACEi/ARB/ ARNI et ARM), un bêtabloquant, un SGLTi et un modulateur de la sGC pourrait être le régime idéal, mais il reste à voir comment, à quel prix, et quelle sera l'observance de ces médications en ambulatoire.
Références
- Burnett, J.C. Jr. Vériciguat - Another Victory for Targeting Cyclic GMP in Heart Failure. N Engl J Med, 2020, 382 (20), 1952-1953.
- Breitenstein, S., Roessig, L., Sandner, P., Lewis, K.S. Novel sGC Stimulators and sGC Activators for the Treatment of Heart Failure. Handb Exp Pharmacol, 2017, 243, 225-247.
- Gheorghiade, M., Greene, S.J., Butler, J., Filippatos, G., Lam, C.S., Maggioni, A.P., et al.; SOCRATES-REDUCED Investigators and Coordinators. Effect of Vériciguat, a Soluble Guanylate Cyclase Stimulator, on Natriuretic Peptide Levels in Patients With Worsening Chronic Heart Failure and Reduced Ejection Fraction: The SOCRATES-REDUCED Randomized Trial. JAMA, 2015, 314 (21), 2251-2262.
- Armstrong, P.W., Pieske, B., Anstrom, K.J., Ezekowitz, J., Hernandez, A.F., Butler, J., et al.; VICTORIA Study Group. Vériciguat in Patients with Heart Failure and Reduced Ejection Fraction. N Engl J Med, 2020, 382 (20), 1883-1893.
- Butler, J., Anstrom, K.J., Armstrong, P.W., VICTORIA Study Group. Comparing the Benefit Of Novel Therapies Across Clinical Trials: Insights from the VICTORIA Trial. Circulation, 2020, E-pub ahead of print.
- Chang, L.L., Xu, H., DeVore, A.D., et al. Timing of postdischarge follow-up and medication adherence among patients with heart failure. J Am Heart Assoc, 2018, 7, e007998.
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