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La dénervation rénale en 2020
  • Christophe Martinez 
L'hypertension artérielle (HTA) représente un facteur de risque majeur de morbidité et de mortalité cardiovasculaire. Elle représente l'affection chronique la plus fréquente en touchant près de 2 millions de personnes en Belgique, soit environ une personne sur cinq. L'HTA est l'un des principaux facteurs de risque des maladies cardiovasculaires qui représentent la première cause de mortalité en Belgique (45 % des décès). Les mesures hygiéno-diététiques associées à la reprise d'activités physiques régulières plus un traitement médical ciblé et bien suivi permettent de traiter efficacement l'HTA. Malheureusement, peu de patients arrivent à combiner ces trois objectifs et nombreux sont ceux dont l'hypertension reste incontrôlée.

L'HTA résistante

Après avoir exclu les HTA secondaires, il faut distinguer l'HTA non contrôlée ou pseudo-résistante de l'HTA résistante dont la prévalence est difficile à évaluer avec précision. Il faut la démontrer par une série de mesures, d'examens complémentaires et de tests fiables et même parfois une hospitalisation de quelques jours pour s'assurer de la compliance thérapeutique dont l'absence reste la cause la plus fréquente du mauvais contrôle tensionnel. La fréquence réelle de l'HTA résistante est inconnue et dépend de la population étudiée et de la réalisation d'un bilan étiologique plus ou moins détaillé. Cette fréquence varie entre 8 et 25 % selon les études. L'HTA résistante est définitivement démontrée si elle persiste après renforcement thérapeutique, réduction des apports sodés et adjonction d'un antagoniste de l'aldostérone (les patients résistants présentent un taux plasmatique d'aldostérone plus élevé que la moyenne des hypertendus)1. Les sujets qui présentent une HTA résistante sont exposés de façon prématurée à une atteinte des organes cibles et à la survenue précoce de complications cardiovasculaires conduisant à une augmentation de la morbi-mortalité directement associée au niveau de la pression artérielle (PA).

Principes de la dénervation rénale

Le système nerveux autonome participe à la physiopathologie de l'HTA par une activation du système sympathique dont l'origine centrale ou périphérique est sous la dépendance de réflexes (baro-, chemo-, ou mécanoréflexes) ou de substances humorales. Le système nerveux sympathique, qui innerve le rein par des fibres efférentes (SNC vers rein) et afférentes (rein vers SNC), joue un rôle important dans l'homéostasie de la PA.

L'augmentation pathologique du tonus sympathique engendre une HTA et une atteinte directe des organes cibles. Au niveau des reins, l'innervation sympathique efférente a comme destination le système vasculaire, les tubules rénaux et l'appareil juxta glomérulaire. La stimulation sympathique rénale entraîne une vasoconstriction vasculaire par deux mécanismes: la stimulation des récepteurs bêta-adrénergiques de l'appareil juxta glomérulaire entraîne la stimulation du système rénine-angiotensine et l'augmentation de la volémie et la stimulation des récepteurs vasculaires alpha-adrénergiques induit une constriction vasculaire directe et une réabsorption du sodium par le tube proximal. L'augmentation de l'activité nerveuse sympathique rénale contribue donc à la hausse de la pression artérielle par trois mécanismes principaux: la réabsorption tubulaire du sodium urinaire et donc de l'eau, la réduction du flux sanguin rénal et la libération de rénine, activant ainsi la cascade du système rénine-angiotensine (SRA) (figure 1).

Le principe de la dénervation rénale pour traiter l'HTA n'est pas nouveau. Après des travaux concluants chez l'animal, les premiers essais chirurgicaux de dénervation rénale par sympathectomie dorso-lombaire bilatérale ont eu lieu dans les années 1960 (intervention de Smithwick)2. Cette intervention réservée à des patients ayant une HTA très sévère a validé le concept en permettant une réduction tensionnelle importante, mais aux dépens de complications rédhibitoires comme l'hypotension orthostatique sévère, l'incontinence et l'impuissance. Ce traitement trop lourd a été abandonné avec l'arrivée des classes successives d'antihypertenseurs.

La dénervation rénale percutanée par radiofréquence

Un cathéter spécifique (Symplicity Catheter System, Ardian Inc.) (figure 2) a été développé en 2009 dans l'optique de permettre l'ablation des fibres sympathiques rénales afférentes et efférentes par radiofréquence après cathétérisme artériel sélectif de chacune des artères rénales.

Après mise en place du système dans une artère rénale, des impulsions brèves de radiofréquence vont détruire les fibres sympathiques qui cheminent dans l'adventice artériel (figure 3).

Premières études cliniques sur la dénervation rénale (DNR) par radiofréquence dans le traitement de l'HTA résistante

Après une première petite étude non randomisée de faisabilité très encourageante, notamment SIMPLICITY-HTN 1 (n = 45 patients), la seconde étude SIMPLICITY-HTN 2 (n = 106 patients) fut la première étude randomisée qui va montrer des résultats probants avec une réduction de la pression artérielle systolique (PAS) de 20 à 25 mmHg par rapport au groupe contrôle traité seulement par médicaments3. Cette nouvelle stratégie qui semblait particulièrement prometteuse va provoquer un engouement international. Plusieurs dizaines de milliers de procédures seront réalisées dans 80 pays. Cependant, ces études prometteuses portaient sur un nombre très réduit de patients avec peu de recul rendant les résultats peu consistants. Pour contrer cette critique, en 2013, un nouvel essai beaucoup plus ambitieux a été mis en route aux USA: l'étude SIMPLICITY HTN-3, avec 535 patients inclus randomisés. Les patients avaient tous une mesure ambulatoire de la pression artérielle (MAPA), et un traitement optimal adapté en continu. Enfin, et surtout, une procédure dite SHAM (simulacre de procédure) était réalisée dans un groupe contrôle chez lequel une angiographie artérielle rénale était effectuée en laissant penser aux patients qu'ils avaient bénéficier de la procédure de dénervation, on avait donc dans cette étude un groupe contrôle aveugle, ce qui n'était pas le cas dans les essais précédents. Les données de l'étude SIMPLICITY HTN-3 à 1 an, après la levée à 6 mois de suivi du double-aveugle, ont été communiquées à l'ESC puis publiées4. Les patients dénervés (n = 322 à 1 an de suivi) ont été comparés aux patients du groupe SHAM (n = 171), dont 101 avaient eu un cross-over (n = 93) et 70 non. Le double-aveugle ayant été levé, on a constaté que la baisse de PA était parfaitement similaire à 1 an de suivi dans les trois groupes précités, aussi bien pour la PA clinique que sur les données de MAPA, ces résultats ont sonné l'arrêt de la technique. Cependant, bien que les résultats de SIMPLICITY HTN-3 étaient globalement négatifs, l'analyse post-hoc de certains sous-groupes a montré une baisse significative de la pression artérielle chez les patients de moins de 65 ans avec fonction rénale normale et les patients afro-américains ont été identifiés comme non répondeurs à la DNR. Une analyse multivariée a identifié une PAS minimale ≥ 180 mmHg, l'absence traitement par vasodilatateurs et l'utilisation d'antagonistes de l'aldostérone comme facteurs prédictifs positifs de réduction de la PAS à 6 mois après DNR. De plus, le nombre d'ablations (> 9) et d'ablations dans les quatre quadrants de l'artère rénale était un élément prédictif positif de la réussite de la DNR5. Une autre étude de Kario et al. a mis en évidence que les patients souffrant d'apnée obstructive du sommeil étaient plus sensibles à la DNR que le groupe contrôle avec SHAM procédure6. Les résultats de ces études montraient que la sélection des patients et l'efficacité intrinsèque de la technique elle-même laissait à désirer. En effet, le cathéter monopolaire ne garantissait pas une ablation circulaire complète du système sympathique rénal et des travaux anatomopathologiques précis ont permis de démontrer que les fibres nerveuses étaient plus proches de la lumière sur les branches distales des artères rénales7 (figure 4).

Sur base de ces nouveaux éléments, le cathéter, le générateur de radiofréquence et l'ensemble de la technique elle-même sont adaptés. On a conçu un nouveau cathéter multipolaire spiralé souple (Simplicity Spiral TM) permettant de réaliser une dénervation complète des branches distales extraparenchymateuses de l'artère rénale principale (figure 5).

Après cette refonte complète tant sur le plan conceptuel que sur le plan technologique, le nouveau programme SPYRAL destiné à prouver l'efficacité de la dénervation rénale dans sa version améliorée a été lancé. Plus de 80 patients ont été inclus dans ce programme préliminaire.

SPYRAL HTN-OFF MED est un essai randomisé avec groupe contrôle bénéficiant d'une procédure factice qui évaluait le traitement par DNR en l'absence de tout médicament antihypertenseur8. Avant la randomisation, les patients subissaient une période de sevrage des médicaments pendant 3 à 4 semaines. Le traitement de DNR a été appliqué à l'aide du cathéter à électrodes multiples Symplicity Spyral et du générateur Symplicity G3 (Medtronic Inc.). Pour minimiser la variabilité technique, la procédure était limitée à un médecin par centre.

Les résultats ont montré une réduction significative et substantielle à la fois de la PA mesurée au cabinet et du MAPA de 24h00 après la randomisation (7,7 / 4,9 mmHg de la PA au cabinet et de 5,0/4,4 mmHg au MAPA de 24h00)9. Cette étude a pour la première fois fourni une réelle preuve clinique de l'efficacité du traitement par DNR pour réduire la pression artérielle.

SPYRAL HTN-ON MED est également un essai randomisé avec un groupe contrôle bénéficiant d'une procédure factice mais cette fois-ci dans une population de patients traités avec une HTA mal contrôlée malgré une trithérapie aux doses optimales10. Depuis juin 2015, un nombre de 467 patients a été inclus. Les patients avaient tous une mesure ambulatoire de la pression artérielle (MAPA 24h00), et un traitement optimal basé sur une trithérapie adaptée en continu. Les résultats sur les 80 premiers patients ont été publié en juin 2018, les mesures de PA ambulatoires et les MAPA de 24 h montraient une diminution significative de la PA chez les patients qui avaient bénéficié d'un traitement par DNR comparé au groupe contrôle (7,4/4,1 mmHg au MAPA de 24 h et 7,7 / 3,5 mmHg à la mesure ambulatoire p = 0,0292).

La dernière étude du programme SPYRAL (SPYRAL-HTN Pivotal) vient d'être publiée dans le Lancet11. Elle a randomisé 331 patients recrutés dans 44 sites (États-Unis, Europe, Australie, Japon) avec 166 patients bénéficiant d'une DNR comparés à un groupe contrôle bénéficiant d'une procédure factice (n = 165) en l'absence de tout médicament antihypertenseur. L'objectif primaire était la mesure de la pression artérielle sur 24h00 et en ambulatoire comparée aux mesures avant DNR trois mois après la procédure. Les résultats de cette étude montrent une réduction significative de la pression artérielle en faveur du groupe traité par DNR en dehors de toute médication (tableau 1).

Autres cathéters de dénervation rénale

Parallèlement au programme Medtronic, St. Jude a lancé aussi le développement de son cathéter de dénervation rénal avec un cathéter quadripolaire également (figure 6) avec un programme d'étude moins ambitieux mais néanmoins positif. Ce cathéter de seconde génération a démontré son efficacité et sa sécurité dans une étude multicentrique non randomisée incluant 39 patients hypertendus résistants12 avec une diminution significative de la pression artérielle sur un suivi de 24 mois (tableau 2).

La DNR par ultrasons

La DNR par ultrason est une alternative à l'ablation par radiofréquence. La DNR par ultrason fait appel à un dispositif utilisant un cryo-ballonnet qui engendre une ablation thermique circonférentielle des fibres nerveuses. Le système a été testé dans l'étude RADIANCE HTN SOLO, un essai multicentrique randomisé en simple aveugle incluant 21 centres. Au total, 146 patients présentant une PA entre 135/85 mmHg et 170/105 mmHg après 4 semaines d'arrêt des médicaments antihypertenseurs ont été randomisés entre DNR (n = 74) et SHAM procédure (n = 72). Les résultats ont montré une réduction significative de la PA ambulatoire de jour dans le groupe DNR sans aucun effet indésirable majeur rapporté dans l'un ou l'autre groupe13.

Conclusion

Malgré les résultats assez encourageants des deux premières études SPYRAL, la Société Européenne de Cardiologie a estimé que les données en faveur de la DNR étaient insuffisantes (classe III en 2018), et donc que la technique n'est pas recommandée en dehors d'études cliniques. Les résultats du programme SPYRAL sont tous en faveur d'une efficacité significative de la DNR mais ils montrent aussi que le bénéfice n'est pas spectaculaire en matière de chute de la pression artérielle. Cependant, on sait aussi qu'une réduction même minime de la PA est associée à une réduction significative du risque cardiovasculaire. On peut donc considérer la DNR comme un traitement adjuvant qui pourrait être réservé à des malades très sélectionnés afin que la réponse soit maximale pour un bénéfice optimal. En dehors du domaine des hypertendus résistants, la technologie de DNR pourrait s'appliquer à d'autres pathologies en relation avec une activation chronique du SNS, telles que l'insuffisance cardiaque, la fibrillation auriculaire, le SAOS et la résistance à l'insuline. Plusieurs études-pilotes ont démontré les avantages potentiels de la dénervation rénale dans ces différentes pathologies9, 14-17 et ces nouvelles indications possibles sont encore en cours d'évaluation.

Références

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