Key-note Lecture au cours du 39ème Congrès de la Société Belge de Cardiologie
Maladies cardiovasculaires et cancers: principales causes de décès en Europe
Dans le monde, le nombre total de personnes en vie dans les 5 ans suivant le diagnostic de cancer est estimé à 43,8 millions, dont 200 000 en Belgique1, 2. Au total, environ 350 000 Belges sont en vie après avoir reçu un diagnostic de cancer; un grand nombre d'entre-eux ont ou sont à risque de maladies cardiovasculaires (25 %). Quelque 423 millions de personnes souffrent à l'heure actuelle de maladies cardiovasculaires, auxquelles 17,9 millions de personnes succombent chaque année. En Belgique, les maladies cardiovasculaires et le cancer sont respectivement responsables de 31 % et 23 % des décès pour les femmes et de 27 % et 29 % des décès chez les hommes2, 3. Par rapport à leurs proches, les survivants du cancer sont dix fois plus susceptibles de développer une maladie coronarienne, une insuffisance cardiaque ou un événement cérébrovasculaire. Parmi les survivants atteints de tout type de cancer diagnostiqué avant l'âge de 55 ans, le risque de décès cardiovasculaire est même plus de dix fois supérieur à celui de la population générale. Le risque de décès par maladies cardiovasculaires est 2 à 6 fois supérieur à celui de la population générale au cours de la première année de diagnostic du cancer; ce risque augmente à mesure que les survivants sont suivis pendant dix ans ou plus4, 5.
Deux maladies différentes, des facteurs de risque communs
Bien qu'ils soient communément considérés comme deux entités pathologiques distinctes, les maladies cardiovasculaires et le cancer possèdent diverses similitudes et interactions possibles. Il est ainsi possible d'identifier un certain nombre de facteurs de risque similaires, tels que l'obésité et le diabète, suggérant une biologie partagée6, 7.
Obésité
Jusqu'à 20 % des tumeurs malignes pourraient être liées au poids, à la prise de poids et à l'obésité. Environ 20 % des Belges souffrent de surcharge pondérale. Le risque de cancer chez les personnes obèses semble plus élevé avec l'augmentation de l'indice de masse corporelle (IMC). Ainsi, il augmente de 12 % de 27,5 à 29,9 d'IMC, et peut atteindre 70 % chez ceux avec un IMC de 40 à 49,9. Les effets cancérogènes de l'obésité peuvent différer selon le sexe, un phénomène dont l'incidence est particulièrement marquée pour certains cancers. à titre d'exemple, le risque de développer un cancer colorectal est plus important chez les hommes souffrant d'obésité que chez les femmes8.
Diabète
Environ 400 millions de personnes souffrent de diabète dans le monde. En Belgique, 730.000 personnes, soit 6,4 % de la population, sont touchées par cette maladie9. Le diabète sucré affecte un certain nombre de systèmes différents dans le corps. Les effets macrovasculaires délétères en font un risque de maladies cardiovasculaires. De nombreuses études établissent un lien entre le diabète sucré et le risque de cancer. Ainsi, le risque de développer un cancer est 2,5 fois plus élevé pour certaines formes de cancer, surtout chez les femmes. Le diabète aurait également une incidence sur la progression des cancers, notamment colorectaux, mammaires, endométriaux, hépatiques, pancréatiques et vésicaux10.
Hypertension
L'hypertension est un facteur de risque bien établi pour les maladies cardiovasculaires9. Elle constitue un problème de santé majeur dans le monde, car elle affecte environ 3 adultes sur 10 de plus de 20 ans, entraînant une morbidité et une mortalité élevées. En Belgique, environ 25 % de la population souffre d'hypertension artérielle. Or, elle est responsable de près de 50 % des affections coronariennes, des accidents vasculaires cérébraux et des insuffisances cardiaques. Environ 14 % des décès totaux en 2015 étaient liés à l'hypertension artérielle. En outre, environ 10 % des dépenses de santé sont directement liées à l'augmentation de la pression artérielle et à ses complications. L'hypertension est également associée à plusieurs types de cancer spécifiques avec une association particulièrement forte avec le carcinome à cellules rénales (augmentation de 1,6 fois). à titre indicatif, chaque augmentation de la pression artérielle systolique et diastolique de 10 mmHg pourrait être associée à un risque accru de 10 et 22 % de cancer du rein10.
Alimentation malsaine
La nutrition est un des facteurs majeurs qui peut influencer les maladies cardiovasculaires. En revanche, le rôle de la composition alimentaire dans le risque de cancer varie. Il existe par exemple des cancérogènes connus dans les sources alimentaires, comme les aflatoxines et les nitrosamines, dont le risque est attesté. à cela s'ajoutent toutefois des composants alimentaires contribuant à l'obésité, à l'hypertension, à l'hyperlipidémie ou à une augmentation du taux de cholestérol, aux triglycérides et aux maladies inflammatoires chroniques qui augmentent le risque de cancer17. Les effets des lipides sériques sur les maladies coronariennes sont bien connus. à l'opposé, l'hyperlipidémie en tant que facteur de risque de cancer reste peu concluante sur la base de données hétérogènes, quoi que son incidence semble plus concluante pour les cancers du sein et moins convaincante pour certains autres cancers.
Consommation d'alcool
Des niveaux élevés d'alcool sont directement associés à une mortalité accrue, des maladies cardiovasculaires, des triglycérides élevés, une hypertension artérielle, une fibrillation auriculaire, une cardiomyopathie et au risque d'accident vasculaire cérébral. Il existe également des preuves d'une relation causale entre l'alcool et les cancers du sein, oropharyngés, laryngés, oesophagiens, hépatiques, colorectaux et pré- et post-ménopausiques18.
Tabagisme
Environ 23 % des Belges fument. Cette habitude nocive exerce incontestablement une influence considérable sur les maladies cardiovasculaires et la mortalité. Elle contribue via de nombreux mécanismes à tous les stades de l'athérosclérose. Or, le tabac est un facteur de risque pour bien des cancers dont la prévention est aisée15. Le tabagisme est responsable de plus de 30 % de tous les décès liés au cancer. De plus, l'incidence de l'infarctus du myocarde est multipliée par six chez les femmes et par trois chez les hommes qui fument au moins 20 cigarettes par jour, par rapport aux sujets qui n'ont jamais fumé. Cela dit, les personnes qui ne fument que quelques cigarettes par jour courent aussi un risque accru de maladies cardiovasculaires. Même les fumeurs qui consomment moins de 5 cigarettes par jour présentent déjà un risque accru de maladies cardiovasculaires.
Prévenir en évitant/corrigeant les facteurs de risque
L'Organisation Mondiale de la Santé estime que plus de 30 % des décès liés au cancer pourraient être évités en modifiant ou en évitant certains facteurs de risque, notamment le tabagisme, l'obésité, les régimes alimentaires pauvres en fruits et légumes, l'inactivité, la consommation d'alcool, la pollution de l'air et la fumée des combustibles solides16, 17. L'utilisation de médicaments destinés au traitement des maladies cardiovasculaires peut également jouer un rôle important dans la prévention du cancer. à titre d'exemple, une méta-analyse portant sur l'association entre l'acide acétylsalicylique et le cancer colorectal a révélé que l'acide acétylsalicylique pourrait réduire le risque de cancer colorectal de 24 %18. Il en va de même pour certains nouveaux anti-inflammatoires comme le canakinumab, qui ciblent l'interleukine 1-bèta et réduit significativement l'incidence d'évènements cardiovasculaires (15 %) et de cancer du poumon (jusqu'à 67 % suivant le dosage)19.
La cardio-oncologie en tant que nouvelle discipline
progrès dans le traitement du cancer ont prolongé la vie des patients atteints de cancer, mais pour certains au prix d'événements cardiovasculaires indésirables20, 21. L'augmentation de l'âge, les maladies cardiaques sous-jacentes et d'autres comorbidités sont des facteurs contributifs22. Les complications cardiovasculaires liées au traitement du cancer (chimiothérapie, radiothérapie) sont devenues une des principales causes de morbidité et de mortalité chez les survivants du cancer. En conséquence, la communauté médicale est de plus en plus préoccupée par la santé cardiovasculaire des patients cancéreux. Le dépistage des facteurs de risque cardiovasculaire et des complications liées au cancer par des prestataires de soins dédiés a ainsi été préconisée23. Les origines de la cardio-oncologie remontent à la fin des années 1960, lorsque le dysfonctionnement cardiaque résultant des anthracyclines a été reconnu pour la première fois comme un effet secondaire important. Depuis lors, le domaine est apparu dans quelques centres, et au cours des dernières années, il a rapidement évolué et est devenu une sous-spécialité formelle de la cardiologie24. La cardio-oncologie est une discipline de cardiologie en plein essor, se concentrant cliniquement sur les soins cardiovasculaires des patients atteints d'un cancer actif, les patients traités par des thérapies anticancéreuses associées au risque de maladies cardiovasculaires, et la prévention et le traitement des maladies cardiovasculaires chez les survivants du cancer. Le but ultime est de fournir des soins optimaux aux patients atteints de cancer et/ou à risque de maladies cardiovasculaires. Les services de cardio-oncologie sont conçus comme une alliance de professionnels dévoués, pour fournir une évaluation spécialisée multidisciplinaire et des soins cohérents, continus, coordonnés et rentables, pendant le processus du cancer. La reconnaissance précoce des effets secondaires cardiaques des agents anticancéreux et de la radiothérapie, conjointe avec la connaissance de l'histoire naturelle de la tumeur maligne et les avantages des traitements oncologiques, est connue pour offrir la plus grande opportunité de survie sans maladie à long terme25-27. La mise en place d'un programme de formation et d'enseignement en cardio-oncologie est ainsi devenue une priorité pour la communauté de cardiologie et d'oncologie (oncologues, hématologues, radiothérapeutes)28.
Cardio-oncologie: enquête menée par la Société Belge de Cardiologie
La cardio-oncologie exige une organisation complexe susceptible de différer grandement suivant les hôpitaux et les communautés. En Belgique, cependant, on ne sait pratiquement rien des connaissances, de la structure et du travail actuels des cardiologues qui s'occupent de patients belges atteints de cancer. C'est pourquoi la Société Belge de Cardiologie (SBC) a décidé en 2019 de poursuivre l'enquête du Conseil de cardio-oncologie de la Société Européenne de Cardiologie29. Le questionnaire revu par le bureau de la SBC a été envoyé à 606 de ses membres. Au total, 159 d'entre eux ont répondu, soit 26,2 % des destinataires du questionnaire. La majorité des répondants avait entre 30 en 60 ans (83 %). La plupart des participants travaillaient dans un centre hospitalier universitaire (47 %) ou dans un hôpital public (40 %). L'enquête montre que seuls 40 % des hôpitaux disposaient d'un service ou d'un secteur de cardio-oncologie spécialisé. La plupart des répondants ont jugé 'raisonnables' leurs connaissances du traitement des patients cancéreux atteints de maladies cardiovasculaires, telles que l'altération de la fonction du ventricule gauche (49 %) ou la fibrillation auriculaire (45 %). Environ 11 % s'estimaient experts pour traiter ces deux pathologies. Par rapport aux données recueillies par le conseil européen de cardio-oncologie (30 %), le nombre d'experts de l'étude de la SBC (11 %) était bien plus faible. En pratique, ce manque de compréhension et de connaissance de l'interaction entre les deux disciplines explique partiellement pourquoi 36 % des patients en phase active de leur cancer reçoivent moins rapidement des traitements invasifs pour un infarctus aigu du myocarde. Le diagnostic est souvent établi trop tard et le traitement des complications liées aux traitements du cancer n'intervient pas assez tôt. Il est également frappant de constater que 44 % des répondants n'étaient pas au courant des recommandations publiées par la Société Européenne de Cardiologie en 2016 concernant la prise en charge des patients atteints du cancer28. à la question de savoir si la SBC devrait organiser des cours ou des formations en cardio-oncologie, une majorité (97 %) a répondu par l'affirmative. Actuellement, la Belgique fait moins bien que ses voisins européens en matière de cardio-oncologie sur le plan de l'organisation, de la formation, des connaissances et de l'approche. Par exemple, la France, l'Italie et les Pays-Bas ont déjà structuré une approche multidisciplinaire pour les patients atteints de cancers qui présentent un risque de maladies cardiovasculaires. Ces pays ont par ailleurs conçu un programme d'enseignement et de formation approfondi en la matière. Ils ont également mis sur pied un conseil de cardio- oncologie ou introduit un programme d'enseignement exhaustif. Certains pays organisent, en plus de cela, un congrès annuel qui se consacre spécifiquement à cette problématique. Enfin, en France, en Italie et au Royaume-Uni, un diplôme est délivré pour l'exercice de la cardio-oncologie. Afin de lutter contre les maladies cardiovasculaires chez les patients cancéreux, la SBC a créé un nouveau conseil de cardio-oncologie. Celui-ci est chargé d'informer les médecins sur la prévention et la gestion des maladies cardiovasculaires liées aux traitements anticancéreux et à la radiothérapie. Une bourse de recherche spécifique de la Fondation Belge du Coeur ('Belgian Heart Foundation') a également été créé pour promouvoir la recherche dans ce domaine.
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