La maladie infectieuse provoquée par le nouveau coronavirus (COVID-19) qui est apparu fin décembre 2019 à Wuhan, en Chine, a aujourd'hui atteint une grande partie du monde. Mi-février, lorsque les vacanciers sont revenus de leur séjour dans le nord de l'Italie, l'épidémie s'est également propagée à une vitesse fulgurante dans notre pays. Pour faire face à cette épidémie, des mesures ont rapidement été prises au niveau hospitalier national, régional et local, avec un impact très important sur l'organisation des soins dans les hôpitaux, mais aussi plus généralement sur les soins ambulatoires et le suivi des patients. La priorité générale a été et est toujours accordée au triage des patients suspects de COVID-19 et à l'hospitalisation des patients COVID-19 courant un risque élevé de développer un syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA). Toutes les interventions électives et les consultations (tant intra- qu'extra-muros) ont été annulées, la capacité des services de soins intensifs a été augmentée et des services hospitaliers ont été convertis en services COVID-19. Les soins cardiologiques ambulatoires et hospitaliers ont été presque entièrement réduits à la prise en charge des maladies cardiovasculaires aiguës engageant immédiatement le pronostic vital, et les cardiologues ont été enrôlés dans les soins intensifs des patients COVID-19.
Les premiers rapports sur l'éclosion de l'épidémie de COVID-19 en Chine1-3 montraient déjà que bon nombre de patients souffraient de maladies cardiovasculaires chroniques. En outre, il est apparu que la sévérité de l'affection et la mortalité augmentaient de manière exponentielle au-delà de 65 ans. Ceci a été confirmé par les résultats épidémiologiques du COVID-19 en Italie: le taux de létalité (case fatality rate) a augmenté de manière exponentielle, passant de 1,0 % chez les patients âgés de 50 à 59 ans à 20,2 % chez les patients de plus de 79 ans4. Les patients de plus de 69 ans représentent 87,9 % des décès. La plupart du temps, il s'agissait d'hommes (70 %) souffrant d'une cardiopathie ischémique chronique (30 %), de diabète (20,3 %), d'un cancer actif (20,3 %), de fibrillation auriculaire (24,5 %), de démence (68 %) et/ou ayant un antécédent d'accident vasculaire cérébral (9,6 %). La fréquence élevée d'un syndrome COVID-19 sévère et la mortalité élevée chez les hommes âgés présentant beaucoup de comorbidités/facteurs de risque pourraient s'expliquer par une immunité fortement réduite chez ce type de patients. Inversement, on peut se demander si l'âge avancé et les comorbidités et facteurs de risque cardiovasculaire fréquemment présents ne constituent pas un substrat qui prédisposerait à une susceptibilité accrue de développer un syndrome COVID-19 grave et d'en mourir.
Les coronavirus responsables du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) (SARS-CoV) et du COVID-19 (SARS-CoV-2) pénètrent dans les cellules qu'ils infectent après la liaison de leur glycoprotéine spike à l'enzyme de conversion de l'angiotensine II (ACE2)5 présente sur la membrane cellulaire. La prévalence élevée de diabète, d'hypertension et de comorbidités cardiovasculaires chez les patients COVID-19 a été à l'origine d'une controverse quant à la poursuite ou non d'un traitement par inhibiteurs de l'enzyme de conversion de l'angiotensine (IECA) ou par antagonistes des récepteurs de l'angiotensine (ARA). Sur la base d'études animales expérimentales lors desquelles on a observé une expression accrue de l'ARN messager de l'ACE2 dans le myocarde, ainsi qu'une activité accrue de l'ACE2 sous traitement par un IECA ou un ARA6, on a suggéré que les patients souffrant de diabète et/ou de maladies cardiovasculaires, traités par ces 'médicaments stimulant l'ACE2', courraient un risque accru de développer un COVID-19 grave et fatal7. La controverse sur un risque potentiellement accru de COVID-19 en cas de traitement par IECA ou ARA a suscité un regain d'attention vis-à-vis du rôle du système rénineangiotensine (SRA) dans la physiopathologie de l'insuffisance cardiaque (tant à fraction d'éjection réduite que préservée), l'hypertension, le diabète et la cardiomyopathie liée à l'obésité8, la néphropathie diabétique9, 10, ainsi que le syndrome de détresse respiratoire de l'adulte (SDRA)11.
L'enzyme de conversion de l'angiotensine II, ou ACE2, un homologue de l'ECA, a été découverte il y a 20 ans. Cette carboxypeptidase membranaire est universellement présente dans le système cardiovasculaire, mais aussi dans le poumon, l'intestin et le rein. Elle hydrolyse l'angiotensine II (Ang II) en angiotensine 1-7 (Ang 1-7), dont les effets sont opposés à ceux de l'Ang II. De ce fait, cette enzyme a un rôle antagoniste et modulateur sur l'axe classique, plus connu, ACE-Ang II-AT1 du SRA. L'affaiblissement ou la défaillance de l'axe ACE2-Ang 1-7 a un rôle pathogène dans divers états physiopathologiques où l'axe ACE-Ang II-AT1 est hyperactivé. L'excès d'Ang II dans ces états pathologiques réduit encore plus le rôle protecteur de l'ACE2, par l'activation de l'enzyme ADAM17 qui clive l'ACE2 de la membrane cellulaire, suite à quoi elle se retrouve dans la circulation. Une concentration élevée de cette ACE2 soluble est un marqueur important d'un mauvais pronostic chez les patients souffrant de maladies cardiovasculaires.
L'ACE2 est aussi abondamment présente dans le poumon, dans les cellules épithéliales alvéolaires et dans les cellules endothéliales des capillaires pulmonaires. Les coronavirus pénètrent dans la cellule après la liaison de leur glycoprotéine spike à l'ectodomaine de l'ACE2 (figure 1). L'endocytose de l'ACE2, liée à la particule virale, diminue le nombre d'enzymes ACE2 à la surface cellulaire et affaiblit ainsi la protection tissulaire médiée par l'ACE2. En outre, un certain nombre de mécanismes de rétrocontrôle positif renforcent l'expression réduite de l'ACE2. L'incorporation du virus dans la cellule s'accompagne d'une stimulation de l'ADAM17, une protéase qui clive l'ectodomaine de l'ACE2 de la membrane cellulaire. La production accrue d'Ang II augmente l'activité d'ADAM17, ce qui favorise encore la libération d'ACE2. L'ADAM17 stimule également la libération de cytokines qui, à leur tour, activent d'autres enzymes protéolytiques, ce qui entraîne une libération supplémentaire d'ACE2 de la membrane cellulaire. Suite à tous ces mécanismes intercorrélés, qui se renforcent mutuellement, l'infection par le coronavirus provoque, dans les tissus, un affaiblissement progressif de l'axe protecteur ACE2-Ang 1-7 et, partant, une activité accrue de l'axe ACE-Ang II-AT1 du SRA, avec toutes les conséquences pathogènes qui y sont associées.
Des études précliniques fondamentales montrent que les lésions pulmonaires alvéolaires diffuses, telles qu'elles se produisent après une aspiration ou une infection par des coronavirus ou des virus influenza, sont favorisées par l'activation de l'axe ACE-Ang II-AT1 du SRA, suite à une activité réduite de l'ACE211-13. Un traitement par ARA a un effet protecteur sur les lésions pulmonaires induites par une aspiration d'acide11, par la glycoprotéine spike du coronavirus12 ou par les LPS14. Il est apparu que l'administration d'ACE2 recombinante a un effet protecteur sur les lésions pulmonaires provoquées par l'aspiration d'acide et qu'elle a amélioré les paramètres de ventilation chez de grands animaux de laboratoire, après un SDRA induit expérimentalement par des LPS. Des études animales expérimentales ont également montré que la sénescence est associée à une importante diminution de l'expression d'ACE2 dans le poumon15.
En résumé, les résultats des études précliniques indiquent que l'ACE2 constitue bien la porte d'entrée pour l'infection par les coronavirus, mais que l'axe ACE2-Ang 1-7 a un effet protecteur important contre le développement de lésions pulmonaires du type SDRA. Sur la base de cette constatation, l'inhibition de l'axe ACE-Ang II-AT1 hyperactif dans les tissus pulmonaires, résultant de l'administration d'IECA ou d'ARA, semble plutôt protectrice contre le développement d'un SDRA dans le cadre du COVID-19. De nombreuses associations scientifiques et des publications recommandent donc de ne pas arrêter ces médicaments chez les patients COVID-1916-20.
Les études précliniques et cliniques indiquent également que l'axe ACE2-Ang 1-7 joue un rôle protecteur important dans le système cardiovasculaire et que sa dysfonction contribue au développement de diverses formes d'insuffisance cardiaque consécutives à l'hypertension artérielle, aux lésions cardiaques ischémiques, au diabète et à l'obésité8.
La grande diversité de tableaux cliniques du COVID-19, allant de symptômes respiratoires légers - à peine perceptibles - chez les jeunes enfants à l'insuffisance respiratoire critique, souvent mortelle, chez les patients âgés, en passant par un syndrome grippal avec une toux non productive tenace chez les adultes, est intrigante. La prévalence croissante de sénescence, d'obésité, de diabète, d'hypertension, d'insuffisance cardiaque et de cardiopathies ischémiques chez les patients qui développent un syndrome COVID-19 grave à critique suggère l'existence d'une signification physiopathologique. Il semble que la pandémie de COVID-19 devienne la plus meurtrière à l'intersection avec les maladies cardiovasculaires, qui adoptent également une forme pandémique21. L'inactivation directe de l'ACE2 liée à la membrane cellulaire, provoquée par l'infection cellulaire par le virus SARS-CoV-2, est probablement l'élément déclencheur qui brise de façon spectaculaire le fragile équilibre du SRA entre l'axe ACE2-Ang 1-7 et l'axe ACE-Ang II-AT1 chez les patients cardiaques âgés, entraînant une évolution explosive de l'infection pulmonaire avec développement d'un SDRA, fréquemment mortel (figure 2).
Une fois le calme revenu, après cette pandémie de COVID-19, il est probable qu'on prêtera une grande attention à la prévention d'une pandémie infectieuse ultérieure. Espérons qu'on n'oublie pas d'accorder une plus grande attention à la prévention de la pandémie croissante d'obésité, de diabète et de maladies cardiovasculaires, substrat de la létalité de l'actuelle pandémie de COVID-19.
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