Chez les patients qui présentent avec une dyspnée à l'effort et/ou des signes cliniques d'insuffisance cardiaque ayant une fraction d'éjection ventriculaire gauche de 50 % sans valvulopathie significative ni signes d'ischémie, il faut envisager la possibilité d'une insuffisance cardiaque à fraction d'éjection préservée (HFpEF). En 2018, la Heart Failure Association (HFA) de la ESC a introduit un nouvel algorithme diagnostique lors de son congrès annuel consacré à l'insuffisance cardiaque. Cet algorithme en 4 étapes avec introduction du score HFAPEFF (figure 1) a déjà été présenté dans ce périodique1. Les nouvelles recommandations HFA/ESC à ce sujet ont récemment été publiées dans le European Heart Journal2, et le score HFA-PEFF a entre-temps été validé3. Cet article traitera plus en détail de la réalisation pratique de l'imagerie non invasive et de la mise au point invasive chez les patients souffrant potentiellement d'une HFpEF sous-jacente.
1 Mise au point échocardiographique
La détermination de la fonction diastolique et des pressions de remplissage relève de l'échocardiographie standard. Lors d'une échocardiographie de routine, s'il y a des arguments en faveur d'une dysfonction diastolique sans autre explication évidente de l'insuffisance cardiaque, il faut pratiquer une évaluation plus approfondie et calculer le score HFAPEFF. En cas de score intermédiaire, on peut recourir au test de stress diastolique.
1.1 évaluation standard de la fonction diastolique et des pressions de remplissage
Les recommandations actuelles à ce sujet datent de 20164 et elles sont entre-temps largement validées5, 6. Ces études de validation invasives ont montré qu'avec un nombre limité de paramètres, on peut se prononcer sur l'existence - oui ou non - de pressions de remplissage élevées, et ce avec une précision acceptable (75-90 %).
Avant tout, chez un patient dont la fonction ventriculaire est préservée, il faut déterminer si la fonction diastolique est normale ou non. La fonction diastolique est déterminée tant par la relaxation active intrinsèque et l'elastic recoil passif du ventricule gauche que par la rigidité myocardique (au niveau des myocytes et de la matrice extracellulaire, suite à une fibrose interstitielle). Les deux premiers déterminants se traduisent par une réduction des valeurs e' au Doppler tissulaire en cas de dysfonction (e' septal < 7 cm/s; e' latéral < 10 cm/s) et, conjointement à la rigidité myocardique, par une élévation des pressions de remplissage. Si les pressions de remplissage sont augmentées et si c'est ce facteur qui initie la phase de remplissage précoce, plutôt qu'une relaxation puissante, la vitesse de l'onde e' diminuera relativement par rapport à l'onde E, ce qui entraîne une augmentation du rapport E/e'. à terme, l'élévation des pressions de remplissage entraîne une dilatation de l'oreillette gauche et une hypertension pulmonaire secondaire.
Concrètement, 3 critères sont évalués pour déterminer si les pressions de remplissage sont élevées:
- E/e' (e' septal et latéral moyen) > 14
- Volume auriculaire gauche indexé > 34 ml/m2
- Vitesse de régurgitation tricuspide > 2,8 m/s
Si 2 critères au moins sont positifs, on peut conclure que les pressions de remplissage sont élevées. Si on ne peut évaluer que 2 critères (le plus souvent parce que le signal de régurgitation tricuspide n'est pas bien délimitable) et qu'un critère est positif, on ne peut se prononcer au sujet des pressions de remplissage. Le signal des veines pulmonaires (S < D) peut être utilisé comme critère additionnel chez les patients ayant une fraction d'éjection diminuée, mais il est moins fiable en cas d'HFpEF.
S'il y a des signes de relaxation réduite, mais pas d'augmentation des pressions de remplissage, il s'agit d'une dysfonction diastolique de grade 1. S'il y a des signes d'augmentation des pressions de remplissage (augmentation du rapport E/e', dilatation de l'oreillette gauche et/ ou élévation des pressions pulmonaires), il s'agit d'une dysfonction diastolique de grade 2. S'il y a un tableau typique de dysfonction diastolique restrictive (E/A > 2, IVRT court, DT court), on parle de dysfonction diastolique de grade 3.
1.2 Diagnostic de l'HFpEF sur la base d'une échocardiographie détaillée et des peptides natriurétiques
Pour poser un diagnostic d'HFpEF chez un patient présentant une dyspnée à l'effort sans autre explication évidente, les nouvelles recommandations HFA/ESC proposent de calculer le score HFA-PEFF à l'aide d'une échocardiographie détaillée et du dosage des peptides natriurétiques (figure 2). Un diagnostic définitif d'HFpEF peut être posé si ce score atteint au moins 5 points. Il convient de noter qu'on ne peut attribuer que 4 points maximum, sur la base des observations échocardiographiques (maximum 2 points pour les paramètres fonctionnels et morphologiques de l'HFpEF), et qu'il faut également une élévation des peptides natriurétiques pour poser définitivement un diagnostic d'HFpEF.
Les signes fonctionnels de l'HFpEF comprennent des signes de relaxation réduite (valeurs e' faibles au Doppler tissulaire), une augmentation de la rigidité myocardique (diminution du strain longitudinal global, GLS) et une élévation des pressions de remplissage (rapport E/e' et pressions pulmonaires élevés). Les signes morphologiques de l'HFpEF concernent les paramètres de dilatation auriculaire gauche et d'hypertrophie ventriculaire gauche.
Notons que les valeurs seuils de plusieurs critères majeurs du score HFA-PEFF (E/e', volume auriculaire gauche indexé, pressions pulmonaires) correspondent aux critères utilisés pour déterminer si les pressions de remplissage sont élevées, selon les recommandations actuelles au sujet de la fonction diastolique4, comme nous l'avons vu au paragraphe 1.1.
Une HFpEF est peu probable en cas de score HFA-PEFF bas, < 2. Dans ce cas, il faut rechercher d'autres explications possibles aux plaintes. Si le score est intermédiaire, entre 2 et 4, la présence d'une HFpEF reste incertaine, et il faut recourir à une évaluation fonctionnelle au moyen d'une échocardiographie de stress ou d'un test de stress diastolique invasif.
1.3 Test de stress diastolique
Une proportion importante de patients souffrant d'HFpEF ont des pressions de remplissage normales au repos, mais développent des pressions de remplissage élevées à l'effort, en raison d'une réduction de la capacité de réservoir diastolique (voir aussi paragraphe 2.1). Sur le plan échocardiographique, cela se traduit par une augmentation du rapport E/e': l'onde E augmente en raison de l'augmentation du flux diastolique au niveau de la valve mitrale, tandis que l'onde e' au Doppler tissulaire augmente à peine, car il n'y a pas d'amélioration de la relaxation myocardique. Dans la population en bonne santé, la relaxation myocardique s'améliorera à l'effort, avec une augmentation proportionnelle de l'onde E et de l'onde e', de sorte que le rapport E/e' reste plus ou moins identique. On utilise un rapport E/e' moyen > 15 comme seuil pour conclure à une élévation des pressions de remplissage à l'effort. Ce seuil a été validé de manière invasive par le groupe de recherche de Borlaug à la Mayo Clinic, où on a constaté que cette méthode est nettement plus sensible pendant un effort maximal qu'à 20 W (90 % vs 80 %), mais moins spécifique (71 % vs 88 %)7. Ce test convient donc très bien pour exclure une HFpEF sous-jacente.
En outre, l'effort aura également un retentissement sur l'évolution des pressions pulmonaires. Les patients souffrant d'HFpEF présentent une vasodilatation pulmonaire réduite et une résistance vasculaire pulmonaire plus élevée à l'effort, comparativement aux sujets normaux8. Ceci, combiné à l'élévation des pressions de remplissage gauches, entraînera une pente mPAP/CO plus raide à l'effort (> 3 mmHg/L/min). Les nouvelles recommandations HFA/ESC reconnaissent que l'élévation des pressions pulmonaires dépend du débit cardiaque mais, pour l'algorithme HFA-PEFF, elles ont néanmoins opté pour une vitesse de régurgitation tricuspide de 3,4 m/s comme valeur seuil pour déterminer s'il existe des preuves supplémentaires en faveur d'une HFpEF sous-jacente. étant donné que les recommandations optent pour une valeur seuil fixe plutôt que pour un paramètre corrigé en fonction du flux, cela peut fausser les données, tant à des débits très élevés (moins probables dans le contexte d'une HFpEF) qu'à des débits faibles (e.a. chez les patients présentant une incompétence chronotrope concomitante). Par conséquent, il semble indiqué de mesurer tant la pression pulmonaire que le débit cardiaque à différents stades de l'effort, afin de calculer la pente mPAP/ CO et de pouvoir se prononcer avec plus de certitude sur la présence ou non d'une hypertension pulmonaire liée à l'effort.
L'algorithme HFA-PEFF attribue 2 points en plus du score initial si le rapport E/e' moyen est > 15, et 3 points si la vitesse de régurgitation tricuspide est également > 3,4 m/s (figure 3). Si le score total est ≥ 5, le diagnostic d'HFpEF peut être posé. Si des doutes subsistent, on peut encore recourir à une mise au point invasive.
Les recommandations se limitent à la mesure du rapport E/e' et des pressions pulmonaires, mais il est certainement utile de recueillir des informations complémentaires lors de cet examen, pour détecter d'autres causes possibles de dyspnée, p.ex. vue apicale 4, 2 et 3 cavités (ischémie?), insuffisance valvulaire mitrale (composante dynamique?), lignes B (congestion pulmonaire?) ...
1.4 Méthodologie du test de stress diastolique
Idéalement, le test est effectué à l'aide d'un vélo incliné sur lequel le patient est en position mi-assise et peut être basculé vers la gauche afin que l'on puisse enregistrer des images pendant la totalité de l'effort. Une alternative est l'acquisition des images immédiatement après l'effort, en décubitus latéral gauche (< 2 minutes après l'arrêt de l'effort). Cependant, cette méthode ne permet pas de suivre l'évolution des pressions pulmonaires par rapport au débit cardiaque. En outre, une diminution très rapide de la pression pulmonaire et du rapport E/e' peut se produire, si la fréquence cardiaque diminue rapidement.
Il n'y a pas de consensus général concernant le protocole, et il n'y a pas de données comparatives. On peut opter pour un protocole standard avec une charge de départ de 25 W et des augmentations de 25 W toutes les 3 minutes, mais il est préférable d'adapter ce protocole à la capacité à l'effort (présumée) du patient, car certains patients souffrant d'HFpEF atteignent à peine 50 W. Une charge de départ de 10 W avec des augmentations de 10 W par minute est probablement préférable chez les patients âgés ou fragiles.
Il est préférable de réaliser les mesures à différents stades de l'effort: au repos, à faible charge (20-30 W), à une fréquence cardiaque d'environ 100 bpm (avant la fusion des ondes E-A) et lors de la charge maximale. à chaque stade, il est indiqué de prendre les images suivantes pour une mise au point complète: vues apicales du ventricule (ischémie), influx mitral, e' septal et latéral au Doppler tissulaire (rapport E/e'), color flow dans l'oreillette gauche (insuffisance valvulaire mitrale), diamètre du LVOT, LVOT VTI et vitesse de régurgitation tricuspide (pente mPAP/CO). Si le signal de régurgitation tricuspide ne peut être bien délimité, un petit bolus de colloïdes agités (0,5 à 1 cm3) peut être administré par voie intraveineuse pour renforcer le signal. éventuellement, on peut encore évaluer la fonction ventriculaire droite. Enfin, on peut encore pratiquer une échographie des poumons pour voir s'il y a des signes de congestion pulmonaire (lignes B).
2 Mise au point invasive
2.1 L'hémodynamique en cas d'HFpEF
Chez une personne en bonne santé, le débit systolique augmente pendant l'effort, en raison d'une augmentation du volume télédiastolique, d'une part, et d'une diminution du volume télésystolique, d'autre part. Simultanément, l'augmentation du retour veineux entraîne une surcharge volumique et la fréquence cardiaque augmente, ce qui raccourcit la diastole et donne au coeur moins de temps pour se remplir. Le coeur sain compense ces phénomènes et il dispose d'une 'fonction de réservoir diastolique' ; l'effort entraîne une relaxation de meilleure qualité et plus rapide (τ), suite à quoi la charge volumique consécutive au retour veineux accru est compensée (figure 4, gauche). De ce fait, les pressions de remplissage n'augmenteront pas, ou peu. En cas d'HFpEF, cette fonction de réservoir diastolique est perturbée, et on observe, pendant l'effort, une relaxation paradoxalement ralentie (τ), suite à quoi les pressions de remplissage augmentent (figure 4, droite).
2.2 Le test à l'effort invasif
Plusieurs études ont démontré que les patients souffrant d'HFpEF ont souvent des pressions de remplissage normales au repos. De ce fait, la sensibilité d'un cathétérisme cardiaque droit avec mesure de la PCWP est faible pour détecter une HFpEF (56 %). La mesure des pressions de remplissage est en outre un instantanée, et les pressions de remplissage sont déterminées par de nombreux facteurs tels que la volémie du patient et l'utilisation ou non de diurétiques ou de bêtabloquants10. On essaie de remédier à ces limitations grâce à un test à l'effort invasif qui permet d'évaluer de manière plus standardisée la réponse du coeur à un stimulus prédéterminé. C'est Borlaug qui a démontré pour la première fois que la mesure des pressions de remplissage, plus précisément de la PCWP, lors d'une cycloergométrie, permet de diagnostiquer une HFpEF10. Chez plus de 50 % des patients souffrant de dyspnée à l'effort et ayant des pressions de remplissage normales au repos, il a observé une augmentation significative de la pression artérielle pulmonaire bloquée pendant l'effort. En plus de la cycloergométrie classique, on a également évalué si la charge peut être simulée par une charge volumique. Toutefois, quand on compare la sensibilité des deux méthodes, le test à l'effort invasif classique est supérieur au test de charge volumique aiguë pour détecter une HFpEF.
De nombreuses études ont confirmé ces premières observations et ont démontré que la mesure directe des pressions de remplissage pendant un test de stress invasif peut être très utile pour diagnostiquer l'HFpEF. Chez les individus en bonne santé, la PCWP ne dépassera pas 25 mmHg à l'effort, et la PVGTD ne dépassera pas 20-23 mmHg. Par conséquent, lorsque le pic de PCWP est inférieur à 25 mmHg, la dyspnée n'est très probablement pas d'origine cardiaque10.
Les recommandations récentes pour le diagnostic de l'HFpEF prévoient donc un rôle de premier plan pour le test de stress invasif. Les recommandations récentes indiquent que si les pressions de remplissage sont normales au repos, et assurément si le score HFpEF à l'étape 2 est intermédiaire ou si l'échocardiographie à l'effort n'est pas concluante, une épreuve d'effort invasive peut s'avérer contributive. Si les pressions de remplissage sont normales au repos, mais si la PCWP augmente jusqu'à 25 mmHg ou plus à un effort maximal, le patient souffre d'HFpEF10.
2.3 Valeur pronostique de la PCWP en cas d'HFpEF
La mesure de la PCWP au repos et pendant l'effort fournit également des informations pronostiques. Les personnes qui ont une PCWP normale au repos et une réponse normale lors d'une cycloergométrie ont une mortalité à 10 ans de 6,6 %. La mortalité à 10 ans chez les patients présentant une PCWP normale et une réponse pathologique lors d'une cycloergométrie atteint 28,2 %, et elle passe à 35,2 % lorsque la PCWP au repos et la réponse à l'effort sont anormales10.
2.4 Méthodologie du test à l'effort invasif
Le protocole habituellement utilisé pour diagnostiquer l'HFpEF est celui du groupe Mayo, lors duquel le patient pédale en position couchée, mais le plus souvent en position assise. Après la mise en place d'un cathéter de Swan Ganz 7Fr via la veine jugulaire, la veine sous-claviculaire ou la veine antécubitale, on mesure la pression auriculaire droite, la PCWP, la pression artérielle pulmonaire systolique, diastolique et moyenne après 15-30 minutes de repos. Il est important que l'équilibrage du transducteur de pression soit correctement effectué, au milieu du thorax, le patient étant en position assise, que les pressions soient mesurées en fin d'expiration et moyennées sur 3 et 5 battements, selon que le patient est en rythme sinusal ou en fibrillation auriculaire, respectivement. Les pressions doivent être enregistrées en continu. Le débit cardiaque est mesuré par thermodilution ou par la méthode directe de Fick (spiro-ergométrie simultanée requise).
Au début de l'épreuve d'effort, le patient pédale pendant 2 minutes sans résistance. Ensuite, la résistance est augmentée de 20 W toutes les 2 minutes. à la fin de chaque étape, la tension artérielle et les pressions mentionnées ci-dessus sont enregistrées via le cathéter de Swan Ganz. Lorsque l'effort maximal est atteint, on détermine également le débit cardiaque, en plus des pressions. Juste après l'arrêt de l'effort et 2 minutes plus tard, on enregistre les pressions.
Si le patient ne collabore pas suffisamment et si l'effort est interrompu prématurément, on observe parfois une PCWP 'faussement basse'. Dans ces cas, la PCWP lors de l'effort maximal, normalisée pour le poids corporel et la charge (PCWL (mmHg/W/kg), peut fournir des informations supplémentaires11 (figure 5).
Conclusion
étant donné le nombre croissant de patients souffrant d'HFpEF, il est nécessaire de formuler des recommandations claires pour aider le clinicien à poser le diagnostic. Les nouvelles recommandations proposées dans le document de consensus HFA/ESC fournissent au cardiologue un outil pratique pour diagnostiquer rapidement et précisément l'HFpEF, en plusieurs étapes. L'expertise du spécialiste de l'insuffisance cardiaque, du spécialiste en imagerie et du cardiologue interventionnel est cruciale pour aboutir à un diagnostic correct.
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