La 10ème session de cette édition 2019 du Belgian Heart Rhythm Meeting avait pour thème les tachycardies supraventriculaires. Deux orateurs de marque sont venus parler des plus fréquentes d'entre elles, la fibrillation atriale et la tachycardie par réentrée nodale atrioventriculaire (TRNAV), et plus spécifiquement des techniques d'ablation de ces arythmies et de leurs évolutions récentes.
1. Glace et feu: ablation par radiofréquence ou cryoablation comme traitement optimal de la FA
Professeur Serge Boveda, Toulouse, France
Le Prof. Boveda de l'équipe de Toulouse est venu exposer les derniers avancements du 'match' entre ablation de la fibrillation atriale (FA) paroxystique par radiofréquence (RF, figure 1) ou cryoablation (figure 2).
En guise d'introduction, il a mentionné les améliorations récentes de ces deux techniques avec, pour la RF, l'apparition du 'contact force' (un manomètre qui montre la pression avec laquelle le cathéter appuie contre la paroi atriale) et de l''ablation index', une valeur qui intègre pour chaque tir la durée de celui-ci, le contact moyen avec la paroi et la puissance émise, ce qui permet de connaître exactement l'énergie délivrée en chaque point. Pour la cryoablation, les ballons de deuxième génération qui possèdent plus de canaux de refroidissements, situés plus distalement sur le ballon, ce qui améliore l'effet réfrigérant.
Publications marquantes
Le match entre RF et cryoablation a été jalonné par l'étude FIRE AND ICE1, qui a montré sur plus de 700 ablatés de FA paroxystique une non-infériorité de la seconde par rapport à la première. Le taux de récidive y était assez important, d'environ 35 % à 1 an pour chacune des deux techniques. Elles y sont décrites comme très sûres avec des taux de mortalité et de complications sérieuses quasi nuls. Dès lors, les recommandations de l'ESC parues la même année les placent sur un pied d'égalité2. Une analyse posthoc publiée la même année dans l'European Heart Journal3 a montré que les patients ablatés par cryothérapie présentaient un peu moins de réhospitalisations, de réablations et de cardioversions électriques: 1 point pour la cryo.
Toutefois, en 2016, l'étude FIRE AND ICE ne comparait pas les avancées techniques les plus récentes disponibles à ce moment (le 'contact force' et les ballons de deuxième génération). C'est-ce qu'a pu faire une étude un peu moins notoire, parue en 2015 dans Europace4, qui a comparé environ 400 patients ablatés (un peu moins de 200 dans chaque groupe) avec des résultats cliniques similaires pour chaque technique, tant en termes d'efficacité que de sécurité: balle au centre.
Au tour ensuite de la RF de marquer des points, avec le protocole CLOSE publié dans le JACC: Clinical Electrophysiology en 20185. Les auteurs (belges pour la plupart, des équipes de Bruges et Gand) y montrent qu'avec l'apparition de l''ablation index' et un protocole strict (points d'ablation distants de maximum 6 mm avec atteignant chacun une valeur-cible d'énergie délivrée), les patients ablatés de FA paroxystique ont un impressionnant taux de succès à un an (absence de récidive de FA) de 91,3 % sans traitement antiarythmique, ce qui est supérieur à la cryothérapie.
On le voit, la cryothérapie et la radiofréquence sont toutes les deux sûres, avec un petit avantage pour la RF en termes d'efficacité. D'autres développements techniques sont encore en cours. Citons l'étude QDOT-Fast6, parue tout récemment dans le JACC: Clinical Electrophysiology, qui montre qu'une approche par radiofréquence avec des tirs à très haute énergie (90 W) pendant un temps très bref (4 secondes) est réalisable et semble sûre.
Autres critères d'évaluation
Mais pour être incontournables, ces techniques doivent également être simples à manier, rapides à apprendre avec suffisamment de reproductibilité dans les résultats.
Simple, la cryoablation l'est assurément, car l'opérateur voit tout de suite les potentiels électriques veineux (PVP) disparaître pendant le tir, via le lasso introduit distalement (par rapport au ballon) dans la veine pulmonaire. De l'avis du Prof. Boveda, la radiofréquence est un peu moins simple et intuitive à manipuler, demandant plus de dextérité. Quand l'anatomie des veines pulmonaires est atypique (veine surnuméraire, d'orientation inhabituelle, présence d'un large antrum commun …), les ballons de cryothérapie peuvent faillir à les occlure. Néanmoins, les ballons les plus récents, de plus grosse taille, peuvent pallier à cette difficulté, au moyen parfois de plusieurs applications légèrement décalées.
Quant à la courbe d'apprentissage qu'elles nécessitent et la reproductibilité des résultats, on a cité le registre français7 publié par Providencia dans Europace en 2017. Celui-ci tend à montrer, sur plus 850 procédures, que la cryoablation permet des résultats inter-opérateurs plus reproductibles avec une courbe d'apprentissage plus rapide, la radiofréquence nécessitant un plus grand nombre de procédures annuelles par opérateur pour conserver un très haut taux de succès.
Le cas de la FA persistante
Le cas de la FA persistante a été brièvement abordé: le Prof. Boveda a reconnu que la RF y était supérieure à la cryothérapie car cette dernière ne permet pas de réaliser des lignes d'ablation atriale. Néanmoins, a-t-il ajouté, on a jamais pu démontrer de façon formelle que ces lignes (qui constituent actuellement une recommandation de classe II) permettaient un meilleur maintien en rythme sinusal. De plus, la cryoablation permet sans doute une isolation un peu plus large vers le versant atrial, ce qui peut supprimer certains foyers de micro-réentrée qui seraient situés au versant atrial de l'abouchement des veines pulmonaires.
En conclusion
- Dans la FA paroxystique, la cryoablation et la RF sont deux techniques sûres. Moyennant un apprentissage un peu plus long et une pratique régulière, la radiofréquence permet un peu moins de récurrences de l'arythmie. A contrario, la cryoablation est plus rapide à apprendre et nécessite un moindre volume de procédures pour rester efficace.
- L'isolation des veines pulmonaires reste la principale cible de l'ablation (recommandation de classe I), quel que soit le type de fibrillation atriale.
- Le cas de la FA persistante reste plus problématique. La radiofréquence y est sans doute plus performante que la cryoablation mais sans qu'une littérature solide vienne étayer ce constat.
Quelques questions lui ont été posées par l'assemblée, notamment de savoir s'il observait parfois, après cryoablation de FA paroxystique, des récurrences sous forme de flutter atypique. Il a répondu que cela lui arrivait rarement (plus volontiers dans la FA persistante), mais que si tel était le cas il retournait à l'ablation, en radiofréquence pour pouvoir réaliser des lignes. Quant au fait de savoir si le risque de fistule atrio-oesophagienne (plus risquée en RF) ou de lésion du nerf phrénique (plus fréquente en cryo) guidait parfois son choix de technique, il a répondu par la négative, argumentant que les fistules en RF ne devraient normalement plus arriver avec l''ablation index' et que les lésions phréniques étaient en général réversibles en cryothérapie.
2 Comment réaliser l'ablation de l'arythmie régulière la plus fréquente chez l'homme, la tachycardie nodale atrioventriculaire par réentrée (TRNAV)
Prof. Demosthenes G. Katritsis, Athène, Grèce
Le Prof. Katritsis, d'Athènes, co-président du groupe de travail de l'ESC sur les tachycardies supraventriculaires, est venu livrer un intéressant exposé sur la tachycardie par réentrée nodale atrioventriculaire (TRNAV).
Epidémiologie et nouveautés des recommandations de 2019
Sa présentation a débuté par un petit rappel épidémiologique. L'incidence des tachyarythmies supraventriculaires (TSV) est de +/- 260 000 nouveaux cas/an en Europe. La TRNAV est la TSV régulière la plus fréquente, juste devant le flutter atrial typique et nettement devant les tachycardies par réentrée atrioventriculaire via une voie accessoire (TRAV). Elle concerne plus les femmes (avec un ratio d'environ 2/3-1/3). L'âge moyen de début se situe dans la quarantaine mais sa prévalence augmente continuellement avec l'âge, contrairement aux TRAV.
Les recommandations, parues cette année, confirment en classe I l'indication d'ablation pour une TRNAV récidivante et symptomatique et abolissent l'usage de la plupart des médicaments (sauf les bêtabloquants ou anticalciques ralentisseurs mais qui sont d'efficacité faible et indiqués en classe IIa seulement si l'ablation n'est pas réalisable/pas souhaitée). Des épisodes peu fréquents et non invalidants mèneront plutôt à une abstinence thérapeutique (recommandation de classe IIa pour la non-intervention dans ce cas).
L'ablation reste donc la seule thérapeutique vraiment efficace (+/- 97 % de succès escompté) avec peu de risques de complications. La principale reste le bloc atrioventriculaire complet mais dont l'incidence est rare (< 1 %). La mortalité périprocédurale est heureusement presque nulle (0,01 %). L'important étant d'essayer de minimiser encore ce risque de complications.
Quelques nouveaux concepts
Le Prof. Katritsis s'est ensuite attelé à déconstruire certains concepts à propos de la TRNAV:
- L'oreillette ne semble pas participer au circuit de l'arythmie, comme longtemps supposé, et serait plutôt un témoin ('bystander') d'où l'on peut observer l'arythmie tournant uniquement autour du noeud AV. En témoigne la réalisation de stimulations atriales pendant l'arythmie qui ne modifient pas l'intervalle entre deux dépolarisations atriales.
- La dépolarisation hissienne n'est pas forcément plus tardive que celle de l'oreillette dans les TRNAV classiques, elle peut être concomitante voire légèrement plus précoce.
- Une TRNAV même dans sa forme typique ('Slow/Fast', telle que schématisée par la figure 3) peut parfois être provoquée ou arrêtée par des extrastimulations (ou extrasystoles) ventriculaires.
- Il n'existe pas une vraie séparation anatomique des voies rapides et lentes, qui sont plutôt l'expression d'un gradient dans les capacités conductrices des cellules du tissu cardionecteur.
- La distinction historique entre TRNAV de type Slow/Fast (descente vers le noeud par une voie lente et dépolarisation rétrograde de l'oreillette via une voie rapide), Fast/Slow (l'inverse) ou Slow/Slow (présence de plusieurs voies lentes) est souvent prise en défaut par les caractéristiques électrophysiologiques de l'arythmie (par exemple par l'inductibilité d'une TRNAV Slow/Fast par voie rétrograde) et par la localisation anatomique de la ou des voies lentes (qui peuvent être plus postérieures, voire localisées à gauche). Elle devrait donc être abandonnée, comme proposé dans les nouvelles recommandations, au profit de TRNAV dites 'typiques' (avec un rapport entre la durée de l'intervalle AH et de l'intervalle HA qui est supérieur à 1 [rapport AH/HA > 1] et un délai VA < 60 msec) et de TRNAV 'atypiques', celles qui ne rentrent pas dans ces critères.
Procédure d'ablation et abord gauche des voies lentes
Chez certains patients peuvent coexister des TRNAV typiques et atypiques, de par l'existence de plusieurs voies lentes. Le Prof. Katritsis a ainsi mené des recherches in vivo chez l'animal démontrant la localisation souvent bilatérale de la voie lente avec une dualité de conduction antérograde démontrée tant à droite qu'à gauche (en plaçant deux électrodes sur le faisceau de His de part et d'autre du septum interatrial, via ponction transseptale). De telles constatations ont également été faites sur des pièces histologiques. Il semblerait que certaines protéines constituant les 'gap junction', appelées connexines C40, soient plus exprimées du côté gauche du septum, ce qui pourrait expliquer des propriétés de conduction différentes et la présence de voies lentes plus importante que supposée du côté gauche. Il en résulte donc pour le Prof. Katritsis qu'il convient de passer sans trop d'hésitation au niveau de l'oreillette gauche (via ponction transseptale ou éventuellement abord rétroaortique) en cas d'ablation infructueuse à droite.
Concernant l'ablation (figure 4), afin d'éviter tout risque de bloc AV, il convient de rester le plus loin possible du faisceau de His, sur la berge antérieure du sinus coronaire voire légèrement à l'intérieur de celui-ci, mais de ne jamais tirer sur le septum interatrial ni sur le toit du sinus coronaire, au risque de léser le noeud AV ou la voie rapide. Dans son expérience, les seuls facteurs prédictifs de succès d'ablation sont l'obtention d'un rythme jonctionnel lent pendant le tir et l'absence d'inductibilité de l'arythmie. Il ne sert à rien de vouloir à tout prix supprimer la dualité de conduction, auquel cas on risquerait d'être plus délétère que bénéfique.
Le Prof. Katritsis insistera enfin sur le fait que le circuit et le mécanisme exact de l'arythmie n'étant toujours pas élucidés, il faut rester vigilant et parfois remettre en question le diagnostic de voie lente ou la localisation anatomique supposée de celle-ci. Ensuite, les TRNAV typiques et atypiques sont invariablement dépendantes d'une ou plusieurs voies lentes, qui doivent toujours être les cibles de l'ablation.
Références
- Kuck, K.H., Brugada, J., Furnkranz, A., Metnzer, A., Ouyang, F., Chun, K.R., et al. Cryoballoon or Radiofrequency Ablation for Paroxysmal Atrial Fibrillation. N Eng J Med, 2016, 374 (23), 2235-2245.
- Kirchof, P., Benussi, S., Kotecha, D., Ahlsson, A., Atar, D., Casadei, B., et al. 2016 ESC Guidelines for the management of atrial fibrillation developed in collaboration with EACTS. Eur Heart J, 2016, 37 (38), 2893-2962.
- Kuck, K.H., Furnkranz, A., Chun, K.R., Metnzer, A., Ouyang, F., Schlüter, M., et al. Cryoballoon or Radiofrequency Ablation for Paroxysmal Atrial Fibrillation: reintervention, rehospitalization, and quality of life outcomes in the FIRE AND ICE trial. Eur Heart J, 2016, 37 (38), 2858-2865.
- Squara, F., Zhao, A., Marijon, E., Latcu, D.G., Providencia, R., Di Giovanni, G., et al. Comparison between radiofrequency with contact force-sensing and second-generation cryoballoon for paroxysmal atrial fibrillation catheter ablation: a multicentre European evaluation. Europace, 2015, 17 (5), 718-724.
- Taghji, P., El Haddad, M., Phlips, T., Wolf, M., Knecht, S., Vandekerckhove, Y., et al. Evaluation of a Strategy Aiming to Enclose the Pulmonary Veins With Contiguous and Optimized Radiofrequency Lesions in Paroxysmal Atrial Fibrillation: A Pilot Study. JACC Clin Electrophysiol, 2018, 4 (1), 99-108.
- Reddy, V.Y., Grimaldi, M., De Potter, T., Vijgen, J.M., Bulava, A., Duytschaever, M.F., et al. Pulmonary Vein Isolation With Very High Power, Short Duration, Temperature-Controlled Lesions: The QDOT-FAST Trial. Jacc Clin Electrophysiol, 2019, 5 (7), 778-786.
- Providencia, R., Defaye, P., Lambiase, P.D., Pavin, D., Cebron, J.P., Halimi, F., et al. Results from a multicentre comparison of cryoballoon vs. radiofrequency ablation for paroxysmal atrial fibrillation: is cryoablation more reproducible? Europace, 2017, 19 (1), 48-57.
Aucun élément du site web ne peut être reproduit, modifié, diffusé, vendu, publié ou utilisé à des fins commerciales sans autorisation écrite préalable de l’éditeur. Il est également interdit de sauvegarder cette information par voie électronique ou de l’utiliser à des fins illégales.